Balzac et sa peau de chagrin n’ont qu’à bien se tenir. L’arsenal conseil du pharmacien pourrait de nouveau se réduire. Allant à l’encontre de l’avis du Pharmacovigilance risk assessment committee (PRAC) de l’Agence européenne du médicament (EMA) du 12 février 2024, son homologue française, l’Agence nationale de sécurité des médicaments et des produits de santé (ANSM), menace - encore - de lister la pseudoéphédrine, accusée d’être à l’origine d’accidents cardiovasculaires. Rapide rappel des faits. Un an auparavant, le gendarme du médicament français avait saisi le PRAC, qui avait tranché en faveur du non-listage du produit. La balance bénéfice-risque étant considérée comme favorable.
Mais alors, si le dessein de l’ANSM venait à être exécuté, dans un contexte où la démographie médicale rend l’accès aux soins ardu pour nombre de Français, le rétrécissement potentiel de l’arsenal conseil du pharmacien ne poserait-il pas problème ? C’est en tout cas ce que pense Béatrice Clairaz-Mahiou, co-présidente de la Société francophone des sciences pharmaceutiques officinales (SFSPO) : « Si la dynamique se poursuit ça va devenir compliqué pour nous de répondre aux problèmes des patients, les gens n’auront plus de médecin et nous, on ne pourra plus rien conseiller ». Un constat partagé par le directeur général de NèreS, l'organisation professionnelle représentant les laboratoires pharmaceutiques produisant et commercialisant des produits de santé et de prévention de premier recours. Il se déclare même « surpris par cette démarche paradoxale » de l’ANSM, qui intervient alors qu’il n’y a ni augmentation des consommations de pseudoéphédrine, ni hausse des cas de pharmacovigilance liés au produit.
À rebrousse-poil
Le projet de l’ANSM est d’autant plus incompréhensible que la dynamique est à l’élargissement des compétences du pharmacien officinal, y compris vers la prescription. À rebrousse-poil de l’agence du médicament, chez NèreS, on prône plutôt le délistage. L’organisation a identifié 97 molécules disponibles en prescription médicale facultative (PMF) dans au moins un des cinq pays suivants : le Royaume-Uni, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne et le Portugal. D’une pierre, deux coups. « Ce serait un excellent moyen d’économiser du temps médical, que de donner les moyens aux pharmaciens de pouvoir répondre aux petites pathologies des patients » explique Luc Besançon, avant de poursuivre « sans parler des économies pour l’assurance-maladie ».
Les produits sans ordonnance aujourd’hui plébiscités par les patients, ce sont les compléments alimentaires. À l’origine de cette tendance, la recherche d’une santé plus « naturelle » et surtout une demande croissante de « prévention du quotidien » (NèreS). Le marché du complément atteignait ainsi 1,351 milliard d’euros en officine en 2023. Une croissance de 9,6 % par rapport à l’année précédente et stable depuis quelques années (Baromètre 2023 des produits de santé et de prévention de premier recours en pharmacie, NèreS). Cependant, même s’ils ont le vent en poupe, les compléments alimentaires restent controversés. Ils ne sont « pas la solution » pour Béatrice Clairaz-Mahiou, tout au plus « une piste intéressante » dans le cadre d’un rétrécissement du panel de molécules en PMF pour Jacques Chevallet, pharmacien et ex-vice-président du Synadiet, le Syndicat national des compléments alimentaires. Ce dernier reconnaissant tout de même que le complément remplit un rôle de « maintien d’un état optimal de l’organisme », mais en aucun cas un rôle curatif, ni un rôle préventif.
Parcours de soins
Le siège de la pseudoéphédrine resterait donc vide. Tout comme, avant elle, les spécialités codéinées, la Périactine, le Plaquénil ou le malathion… Interrogé sur une perte de crédibilité dans son rôle de professionnel de santé pour le pharmacien qui conseillerait trop souvent des compléments alimentaires, Jacques Chevallet ne se montre pas inquiet. « La crédibilité du pharmacien est bonne, son importante montée en compétences depuis la crise Covid joue en sa faveur. Le conseil de compléments alimentaires n’est pas de nature à affaiblir sa position. »
La solution à la problématique de restriction de l’arsenal conseil du pharmacien se trouverait-elle ailleurs ? Au-delà de l’arsenal que l’officinal a en main, il y a la question de la traçabilité de ces molécules, souvent dispensées sans carte Vitale. Comment le gendarme du médicament peut-il évaluer correctement la balance bénéfice/risque d’une molécule alors qu’il n’a pas accès à des chiffres précis ? Agir sur ce levier pour sécuriser le parcours d’automédication et par la même occasion le conseil pharmaceutique, tel est le cheval de bataille de la co-présidente de la SFSPO. Cela économiserait des débats sur des molécules qui ont fait leurs preuves. Parmi les voies aujourd’hui explorées, l’expérimentation article 51 Orientation dans le système de soins (OSyS) représente « une piste très intéressante », considère Béatrice Clairaz-Mahiou. En rendant obligatoire le passage par la carte vitale ou par le DP, le pharmacien aurait accès aux antécédents du patient et donc à d’éventuelles contre-indications, la traçabilité serait assurée et l’on aurait un meilleur accès aux soins. Si le parcours de soins était ainsi organisé, une rémunération à l’acte « sur ce qu’on fait et non sur ce qu’on vend » pourrait être envisagée, argumente Béatrice Clairaz-Mahiou qui, elle, s’inquiète de la perte de crédibilité du pharmacien, face aux restrictions envisagées.