Portrait

Jean-Pierre Leblanc, pharmacien hors du temps dans une pharmacie hors norme

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Publié le 27/02/2017
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À Châtelus le Marcheix, bourg creusois de 360 habitants, la pharmacie est une des plus petites de France : à peine 15 m2 de surface de vente, et des rayonnages réduits à leur plus simple expression. Derrière le comptoir, pas d’ordinateur, juste un système de lecture de carte vitale, et en façade une vitrine sans présentoirs, qui laisse passer la lumière du jour.
leblanc

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Crédit photo : DR

Leblanc

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Jean-Pierre Leblanc (64 ans) est depuis trente ans le titulaire des lieux. Diplômé de la faculté de Paris, il est revenu sur la terre de ses ancêtres – il est né dans les environs – après avoir servi dans la recherche fondamentale. Marié à un professeur, il habite à quelques pas de là, loin des grandes villes pour lesquelles il se déclare « ne pas être fait ».

« J’avais un but, dévoile-t-il, vendre uniquement des produits médicamenteux, des molécules, pas de parapharmacie ou de crèmes cosmétiques. Uniquement des prescriptions sur ordonnance, car je ne voulais pas dévoyer notre profession, qui est de vendre et de conseiller du vrai médicament, et pas autre chose. J’ai peu de flux, je peux donc prendre mon temps pour expliquer à mes patients les posologies et les effets. »

Dans cet environnement atypique, où l’officine retrouve son rôle d’origine, le pharmacien ne se dégage aucun salaire, se contentant de régler frais et taxes, assurances sociales, retraite. Chiffre d’affaires : 78 000 €, pas d’employé, et une trentaine seulement de clients, qui passent régulièrement, suivis médicalement pour des pathologies importantes. Côté préparations, il s’est réservé un petit stock dans son minilabo pour répondre aux besoins prescrits, notamment en dermato. Il fait également des livraisons – à vélo – pour ceux qui ne peuvent se déplacer, et est ouvert 4 heures par jour.

« Comprenez bien, dit-il, j’ai très peu de monde qui passe me voir, il y a parfois des jours où je ne vois personne, mais ce peu de monde a énormément besoin de mes services. Ils n’ont pas de moyens de transport, ou peu, et je suis pour eux le seul recours, avec l’infirmière du secteur qui sert également de lien entre nous. »

Très occupé malgré tout

Jean-Pierre n’est pas seulement un pharmacien au service de ses concitoyens. Il assume d’autres responsabilités, dont le secrétariat des chasseurs et pêcheurs locaux, pratique la photo animale, pourchasse lapins et belettes pour enregistrer leur bobine. Dans ses mains, pas d’appareil numérique, mais un ancien Leica en parfait état de marche, qui ne fonctionne qu’en argentique. Entomologiste, il observe les insectes à courte distance et les amphibiens fort nombreux dans son environnement. Sa joie, repérer au soir couchant un lièvre à l’arrêt, ou regarder de près à la jumelle des petites bêtes que personne d’autre que lui ne voit.

« Des distractions purement hédonistes, affirme-t-il. Qui me permettent d’avoir une vision d’un autre monde que celui dans lequel nous vivons. Un univers simple, tranquille, où la nature dirige, et pourtant je n’ai pas la fibre écologique militante. Je suis chasseur, car je crois à la gestion des espèces par cette activité, comme le faisaient nos ancêtres, les miens étant chasseurs depuis toujours. À la maison j’ai des armes anciennes à poudre noire, dont certaines que j’ai remises en état. »

Pas de retraite

Sur le plan professionnel, il assiste en spectateur aux dérives d’un métier dans lequel tout est mercantile ou presque, estimant que les regroupements fréquents dans sa région ne sont que de simples affaires d’argent. Pour lui, les pharmaciens doivent garder un maillage territorial et un service public correspondant à leur éthique.

Jean-Pierre Leblanc ne veut pas non plus d’Internet ou de téléphone portable, refusant de devenir l’esclave d’outils fabriqués souvent dans des pays à la dérive, par une population exploitée. Il n’a pas non plus de voiture – il n’en a jamais possédé – se contentant de sa bicyclette vieille de cinquante ans.

Pas de retraite en vue pour lui, « tant que Dieu lui prête vie », en sachant que, en cas de cessation son commerce est invendable, faute de revenus. Ce dont par ailleurs il se moque, hormis qu’il voudrait bien que son village conserve une officine.

« Je suis à l’abri des vibrations de ce monde cupide, où tout est basé sur l’argent, sur le confort, avec des gens qui ne pensent qu’à leur retraite. Comme s’il fallait attendre d’être retraité, autrement dit près de la mort, pour être heureux. On a l’impression qu’ils attendent la « quille ». Ce qui fait que, sauf maladie, je n’ai nulle intention de fermer boutique. J’espère bien mourir pharmacien. »

Jen-Pierre Gourvest

Source : Le Quotidien du Pharmacien: 3330