Portrait

Jean-Luc Leroy, l'histoire en partage

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Publié le 19/01/2017
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Jean-Luc Leroy expose des peintures dans son bureau, au-dessus de son officine. Une longue tradition pour cette pharmacie qui a vu passer écrivains, peintres, et poètes.
Leroy

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Crédit photo : J.Gravend

Il y a des lieux qu'enchante leur histoire. C'est évidemment le cas de la Pharmacie centrale du port, à Trouville-sur-Mer (Calvados). Créée en 1831, elle s'insérait autrefois dans le grand bâtiment de l'hôtel de l'Agneau d'or. Et le bureau de Jean-Luc Leroy, titulaire de l'officine depuis 2005, était une chambre d'hôtel. La même chambre où Gustave Flaubert (1821-1880) a écrit en partie « Madame Bovary », et « L'éducation sentimentale ».

M. Homais, le pharmacien de Yonville dans « Madame Bovary », a largement été inspiré par le pharmacien Labigne, titulaire à Trouville, et voisin de Flaubert. Quant à Mme Arnaux, l'héroïne de « L'éducation sentimentale », elle n'est autre que Elisa Schlesinger, la femme du propriétaire d'un autre hôtel que Flaubert voit par la fenêtre de sa chambre. Jean-Luc Leroy est intarissable sur sa pharmacie, comme d'ailleurs sur sa ville d'adoption, lui qui vient de Rouen, la ville de Flaubert. Il parle de cet autre pharmacien, Jean-Baptiste Tirel, titulaire en 1870, et sollicité par les marins-pêcheurs pour trouver un produit antirouille pour empêcher leurs apparaux de laisser des traces sur les voiles. Il invente la Rubigine, « antirouille de linge », et fait fortune.

Plus tard, Daniel Wallard sera titulaire à Trouville, de 1939 jusqu'à 1983, moins le temps de la guerre. Pharmacien atypique, Wallard a participé à la guerre d'Espagne, à la création de la Maison de la culture, au temps du Front populaire. Il était aussi photographe, se liera avec le poète Louis Aragon (1897-1982), dont il sera le biographe. Avec sa femme, Elsa Triolet, avec l'écrivain Louis Pauwels (1920-1997), journaliste à « Combat », et fondateur du « Figaro magazine », avec André Malraux et le peintre Jean Dubuffet. Tous séjournent à Trouville et fréquentent la Pharmacie du port. C'est sur un papier à en-tête de la pharmacie qu'Aragon rédige (ou recopie), en 1944, le poème Il n'y a pas d'amour heureux, plus tard chanté par Brassens.

C'est un autre artiste qu'a rencontré Jean-Luc Leroy, le peintre Antony Russel, à La Courneuve (Seine Saint-Denis). Comme Daniel Wallard, le pharmacien de Trouville veut exposer des œuvres. Russel est fasciné par les horizons, il met Trouville dans un livre, rend hommage à cette plage où tant d'enfants, notamment de La Courneuve, découvrent la mer. Hommage aussi à la ville port, populaire et vivante, face à Deauville, de l'autre côté de la Touques.

Aux murs du bureau de Jean-Luc Leroy sont suspendues des toiles, déclinaisons de bleu, ouvertures vers la mer, vers les horizons. Autant d'ouvertures vers le port. « La mer appartient à tout le monde, m'a dit Russel. Les clients, ou des Trouvillais, viennent voir ses peintures. Je les guide par le petit escalier, ils savent qu'ici a travaillé Flaubert. Je leur raconte des anecdotes. »

Jean-Luc Leroy arrive à la mairie, à 100 mètres de la pharmacie. Là, c'est lui qui expose. L'association caritative Les Petits frères des pauvres fête ses 70 ans, et lui a commandé, à titre gracieux, une exposition de photos. Ce sont des portraits de personnes âgées, en maison de retraite, prises après de longues conversations. « Je ne vole pas leur image, précise le confrère. Je parle longtemps, puis je leur demande de les photographier, et leur explique pourquoi»

« On n'est pas pharmacien sans aimer les gens », aime-t-il à répéter.

Jacques Gravend

Source : Le Quotidien du Pharmacien: 3318