Histoires de plantes

Le quinquina ou la « poudre de la Comtesse »

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Publié le 15/01/2021
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Quinquina, Cinchona pubescens, C. ledgeriana, C. calisaya

Quinquina, Cinchona pubescens, C. ledgeriana, C. calisaya
Crédit photo : J. Fleurentin

Il y a 200 ans, les chimistes français Pelletier et Caventoux découvrent la structure de la quinine extraite des écorces du quinquina. C’est une découverte majeure dans la lutte contre la malaria, probablement l’une des parasitoses les plus mortelles pour l’homme depuis l’émergence de l’humanité. Le plasmodium et son transmetteur, un moustique Anophèle, ont probablement co-évolué avec l’homme depuis 50 000 ans.

Les Indiens n’utilisaient pas le quinquina en médecine traditionnelle, mais l’amertume de son écorce poussa les Conquistadors européens à l’expérimenter avec succès contre les fièvres. Cependant des missionnaires avaient remarqué au XVIIe siècle que des mineurs boliviens prenaient une poudre d’écorce pour se soigner. En 1638, la comtesse Del Chinchon, mariée au vice-roi du Pérou, étonnée par le succès thérapeutique du quinquina commercialisa la poudre sous le nom de « poudre de la Comtesse ». La poudre fut interdite et en raison de sa rentabilité, les Jésuites commercialisent alors le remède dont la composition était tenue secrète, sous le nom de « poudre des jésuites ». Louis XIV racheta le remède secret qui fut alors identifié à un vin de quinquina concentré.

Les botanistes espagnols et français partent à la recherche des quinquinas d’Amérique du Sud pour récolter des écorces et développer des cultures.

Ce sont de grands arbres atteignant les 25 m de haut des forêts humides de la cordillère des Andes qui bordent le bassin de l’Amazone et de l’Orénoque. Ils portent des feuilles opposées, des fleurs odorantes blanches ou rouges et les troncs sont recouverts d’une écorce amère de couleur brun gris.

Les écorces ont eu du succès depuis 300 ans dans les fièvres alors que l’agent du paludisme n’a été découvert qu’en 1880 par le médecin militaire français Laveran basé à Constantine, qui recevra le prix Nobel de médecine en 1907.

Un antipaludéen puissant

L’écorce renferme une trentaine d’alcaloïdes avec la quinine majoritaire, la quinidine et la cinchonine ainsi que des composés phénoliques et des proanthocyanidols.

La quinine est un antipaludéen puissant, le seul efficace pendant des décennies, sur tous les plasmodium (vivax, falciparum, malariae) infectant les hématies et aussi sur les formes trophozoïtes jeunes. La quinine réduit la fièvre et la douleur et diminue l’activité cardiaque.

Les chercheurs se sont inspirés de la structure chimique de la quinine pour synthétiser d’autres antipaludéens comme la chloroquine, la méfloquine ou le proguanil. La quinidine ralentit la conduction et régule le rythme cardiaque.

L’écorçage intensif des quinquinas menaça l’espèce de disparition, seuls les Jésuites eurent conscience de ce problème et proposèrent de replanter 5 jeunes arbres pour un arbre écorcé. De nombreuses tentatives de replantation en Asie se soldèrent par des échecs car les écorces contenaient très peu de quinine. La sélection des bonnes espèces et des terroirs permit la culture de 9 millions d’arbres à Java en 1907 qui fournirent 11 000 tonnes d’écorce, soit 90 % des besoins mondiaux en quinine.

Plantes des dieux, des démons et des hommes (2019) Fleurentin J., Éditions Ouest France, 208 p. www.ethnopharmacologia.org

Jacques Fleurentin
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Source : Le Quotidien du Pharmacien