Michel Vandermeersch le confirme : « En France, il n’y a pas eu de ventes d’une telle qualité depuis la grande vente Adda de 1965 réalisée par Maurice Rheims. » Parole d’expert ! Alors, quand il a vu les majoliques de la collection Guerlain, Michel Vandermeersch a senti son cœur battre un peu plus fort qu’à l’habitude. Au premier coup d’œil, il a su qu’il ne s’agirait pas d’une vente comme une autre. L’histoire de ces objets est en effet merveilleuse. Ils ont tous la particularité d’être mentionnés dans plusieurs ouvrages de référence sur la majolique, comme celui du Dr Chompret, et d’avoir appartenu à de grandes collections publiques et privées, comme la célèbre collection Damiron, vendue chez Sotheby’s à Londres en 1938, dont de nombreux objets enrichissent aujourd’hui les musées.
C’est justement à l’occasion des ventes londoniennes de 1938 et 1939 que Jean-Pierre Guerlain a acquis des pièces. Avec sa femme, Christiane, décédée en septembre dernier, il formait un couple de collectionneurs avertis, dans la tradition de la famille. Car les Guerlain, parfumeurs avant tout, ont toujours été les amis des artistes et des amateurs d’art reconnus. Pour que l’on se rende mieux compte du prestige de la vente, l’expert nous reçoit dans sa galerie parisienne du Quai Voltaire et nous déniche les anciens catalogues de Sotheby’s d’avant-guerre, à la couverture vieillie, couleur vert suranné. Les pages sentent bon le livre ancien et l’on y aperçoit les pâles photos en noir et blanc de quelques lots dont les couleurs éclatent aujourd’hui sur le catalogue de 2017. On y lit aussi des prix griffonnés à la main.
Des pièces de musée
Le lot 18, une coupe ronde au décor polychrome de Castel Durante ou du Duché d’Urbino, orné d’un buste de femme, dit Bella, sur un magnifique fond bleu nuit, daté de 1531, valait à l’époque 210 livres. Il est aujourd’hui estimé entre 20 000 et 25 000 euros. Pareillement, de même provenance et datation, le lot 14, un petit plat rond orné d’un buste de femme en son centre, entourée d’un magnifique décor constitué de têtes d’angelots, de mascarons et de volutes feuillagées couleur grisaille, valait à l’époque 130 livres et est aujourd’hui estimé entre 12 000 et 15 000 euros. Castel Durante, c’est l’un des grands centres de majoliques au XVIe siècle dont provient également un superbe plat aux armoiries de la famille Agostini ainsi qu’une coupe ronde ornée d’une tête de saint, « un motif très rare et en plus remarquablement peint », précise l’expert. Autre exemple, les deux superbes albarelli de Naples (lots 4 et 5), ornés respectivement d’un buste de femme et d’un buste d’homme de profil, valaient à l’époque 190 et 260 livres et sont estimés aujourd’hui entre 30 000 et 40 000 euros. Sur ces deux pièces, Michel Vandermeersch précise que leur attribution a évolué, ce qui est d’ailleurs fréquent sur les majoliques. On a pensé pendant longtemps qu’ils provenaient de Faenza, mais les recherches récentes ont exploré la piste napolitaine en les attribuant au « Maestro della capella Brancacci ». La série à laquelle appartiennent ces deux albarelli est précieuse, comptant déjà des pièces visibles au Louvre, au musée des Arts Décoratifs de Lyon, au Victoria & Albert Museum de Londres et au musée Capodimonte de Naples. D’ailleurs, l’intérêt de cet ensemble de majoliques présenté à la vente réside dans le fait que plusieurs des pièces peuvent se targuer d’avoir leur homologue bien au chaud dans la vitrine d’un musée.
Faenza, Forli, Sienne, Urbino, Venise, les plus célèbres foyers de création de majoliques italiennes sont représentés dans cette collection. Les plus anciennes pièces viennent de Montelupo et de Deruta. Notamment, le lot 1 daté de 1460-1470, un magnifique albarello muni de deux anses qui présente, sur une face, un motif de fleur gothique, et de l’autre, un homme coiffé d’un bonnet blanc. Peut-être un médecin ou un apothicaire ? Autre pièce remarquable de la fin du XVe siècle, un grand plat rond aux armes de la puissante famille Orsini.
Le grand rendez-vous des collectionneurs
Enfin, à ne pas manquer, la production française constituée de trois pots à pharmacie de Montpellier et de deux gourdes de Nevers. Les deux pots canons montpelliérains au décor jaune et bleu portent deux inscriptions pharmaceutiques : « Filoni roi » indiquant que le pot contenait du philonium romain, c’est-à-dire un électuaire opiacé tirant son nom du médecin grec Philon, et « U. Agrippa » signifiant Uguentum Agrippa, soit un onguent dont l’invention est attribuée au roi Agrippa. La chevrette, elle, rappelle, pour les connaisseurs, d’autres chevrettes semblables, provenant d’une série à l’effigie des rois de France, attribuée par certains au potier de Montpellier Pierre Estève et dont une pièce appartient au musée des Beaux-Arts de Dijon. Celle de la collection Guerlain est à l’effigie du roi Dagobert II, 18e roi des Francs. Sur l’autre face, l’inscription pharmaceutique « Mel Anthos. » indique qu’elle contenait du miel de romarin.
Chaque majolique de la collection Guerlain a une histoire et une particularité, ce qui ajoute à sa valeur. C’est pourquoi le 31 janvier sera le grand rendez-vous des collectionneurs de pots à pharmacie et des coupes émaillées de la Renaissance. La vente promet d’être intense. Qui sera l’heureux acquéreur de ce petit plat rond de Faenza, au décor complexe, dont l’expert nous précise qu’il est très rare, seulement quatre ou cinq pièces semblables étant connues à ce jour (lot 6) ? Le coup de cœur de Michel Vandermeersch reste la grande coupe de Castel Durante ou Urbino, ornée d’un très beau visage de Bella au regard mélancolique dont les cheveux tressés en deux nattes se rejoignent singulièrement pour former un nœud au niveau du cou de la jeune femme. Même si vous n’êtes pas enchérisseur, ces objets d’art valent le détour, pour le plaisir des yeux.
Renseignements : Exposition privée, du 24 au 27 janvier sur rendez-vous, chez l’expert au 21 Quai Voltaire, 75007 Paris. Exposition publique, samedi 28 et lundi 30 janvier de 11 heures à 18 heures, mardi 31 janvier de 11 heures à 12 heures Vente aux enchères publiques : mardi 31 janvier à 14 h 30 chez Drouot, salle n° 9.
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