Imaginerait-on que la saga de la clonidine aurait pu commencer dramatiquement ? Elle montre ce que la pharmacie doit au hasard - cela nous l’avons de longue date découvert dans cette rubrique - mais témoigne aussi la spontanéité avec laquelle de nouveaux médicaments étaient testés chez l’homme il y a de cela un demi-siècle.
Au début des années 1960, un jeune pharmacien nouvellement embauché dans le centre de recherche du laboratoire Boehringer à Ingelheim am Rhein, Helmut Stähle, se vit en effet chargé d’y réaliser la synthèse d’un agoniste alpha-adrénergique susceptible de traiter la congestion nasale par instillations locales : l’indication du rhume des foins avait sûrement tout de modeste, mais le volume des ventes attendu n’en restait pas moins prometteur !
Stähle constata rapidement que la plupart des décongestionnants commercialisés à l’époque partageaient une structure imidazoline, qu’il s’agisse de la tolazoline, de la naphazoline ou de la phentolamine. Ces produits restaient peu maniables en raison de leurs effets indésirables. L’analyse des corrélations structure-activité au sein de cette famille suggéra au chimiste diverses pistes en vue de la synthèse de composés proches mais mieux tolérés : il eut notamment l’idée d’introduire des atomes de chlore, à une époque où les composés halogénés passaient pour être avant tout des pesticides. C’est ainsi qu’il produisit en 1962 un dérivé di-chloré de structure simple, le ST-155 (dichlorophénylimidazoline) qui se révéla, une fois testé sur le chien par Wolfgang Hoefke, l’un des pharmacologues du laboratoire, bénéficier d’intéressantes propriétés décongestives. Il fut sitôt adressé au département médical pour être intégré à des essais cliniques. C’est là que le cours de l’histoire s’infléchit.
Une sieste prolongée
L’histoire bascula car M. Wolf, l’un des directeurs en charge de la supervision des essais cliniques chez Boehringer, eut l’idée - aujourd’hui pour le moins étonnante - de tester directement le fameux ST-155 sur sa secrétaire. Cette mademoiselle Nickel (devenue peu après, détaillent certaines des publications d’époque, Madame Schwandt) se plaignant d’un rhume tenace qui lui bouchait le nez et l’empêchait de dormir, Wolf lui proposa d’instiller dans ses narines douloureuses quelques pulvérisations d’une solution à 0,3 % du ST-155 censé faire merveille. Souhaitait-elle s’investir dans le développement de l’entreprise ? Se sentait-elle l’obligée du docteur Wolf ? Toujours est-il qu’il lui fallait nourrir une confiance aveugle dans la R&D Boehringer pour accepter de servir ainsi de cobaye humain !
Quel ne fut pas l’effarement de Wolf lorsque sa collaboratrice, aussitôt ou presque les gouttes prises, se sentit mal, pâlit, s’allongea dans un état d’extrême faiblesse, avec un pouls filant, avant de sombrer dans un sommeil profond qui dura quasiment une journée ! Le médecin appelé en urgence constata qu’une tension artérielle effondrée associée à une bradycardie expliquaient ce malaise…
Mademoiselle Nickel se remit de sa mésaventure heureusement sans séquelles. Le ST-155 passa ainsi du statut d’anti-rhume à celui, plus enviable, d’antihypertenseur d’action centrale sous le nom de clonidine et reste toujours commercialisé - même si les anhihypertenseurs centraux n’ont plus le succès de jadis -. Rétrospectivement, on sut que la secrétaire dont l’audace n’avait d’égale que la naïveté avait environ vingt fois plus de produit que la dose thérapeutique usuelle : de quoi effectivement bien dormir !
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