En 1810, le Bas-Rhin institua, à l’initiative du préfet Adrien de Lezay-Marnésia, des « médecins cantonaux » qui, dans chaque canton, soignaient gratuitement les pauvres et veillaient à l’hygiène et la salubrité publique, tout en rendant compte régulièrement de l’état de santé des populations. Les malades pouvaient déjà, sous certaines conditions, faire honorer gratuitement leurs prescriptions par les pharmaciens, mais le système fut amélioré et complété en 1856 par le préfet Stanislas Migneret, qui mit en place des « pharmacies cantonales » spécifiquement chargées de cette mission. Les pharmaciens qui souhaitaient assurer cette fonction devaient fournir un certificat de l’École de Pharmacie assurant que leur officine était bien tenue et faire la preuve de leurs compétences. Les contrôles étaient sérieux et il n’était pas rare qu’une pharmacie candidate soit « recalée ».
Les pharmaciens sélectionnés s’engageaient à délivrer aux indigents les médicaments prescrits par les médecins cantonaux, à l’intérieur d’un formulaire spécifique. Ils devaient les préparer aussi bien que les médicaments destinés aux patients payants car « le pauvre a droit à d’aussi bons médicaments que le riche », leur rappelait la préfecture. Les tarifs étaient identiques pour les deux groupes, mais les pharmaciens délivraient « en tiers payant » les prescriptions aux pauvres, et se faisaient rembourser tous les mois en fournissant un état récapitulatif des délivrances. Par ailleurs, les pharmaciens étaient associés aux « conseils de salubrité » chargés de surveiller la santé et l’hygiène du département, et de proposer des mesures dans ces domaines.
De nombreux pharmaciens volontaires
Le dossier relatif aux pharmacies cantonales, conservé aux archives du Bas-Rhin, montre que les pharmaciens ont été nombreux à se porter volontaires. Ils s’engagent, dans leurs demandes, à assurer honnêtement leur mission. Comme l’écrit par exemple au préfet un pharmacien de Barr, M. Schmidt, « je vous promets d’agir envers les indigents aussi scrupuleusement qu’envers les plus riches clients ». Globalement, les pharmaciens semblent avoir retiré « un petit bénéfice » de cette activité, mais le gain était variable selon les cantons et les officines. Deux pharmaciens de Sarre-Union, MM. Küss et Kablé, déclenchèrent une polémique en refusant d’adhérer au dispositif, qu’ils considéraient comme inadapté aux petites officines rurales ayant peu de clients. Dans leurs échanges avec la préfecture, ils expliquent que travailler ainsi leur occasionnerait des pertes, car les patients sont très dispersés, les préparations trop spécifiques et les dosages trop faibles. De plus, les patients pauvres n’ont pas de fioles pour aller chercher les médicaments à l’officine, et ce sont donc les pharmaciens qui doivent leur en prêter… La protestation des deux pharmaciens n’aboutira pas mais, en 1857, le Conseil de salubrité se prononcera toutefois pour une augmentation de 6 centimes par ordonnance délivrée par les pharmaciens cantonaux.
Une charge renouvelable à l’année
À cette époque, le département compte 73 officines, soit environ une pour 8 000 habitants, dont 16 à Strasbourg et 57 à la campagne. Les pharmacies strasbourgeoises étaient exclues du dispositif, car les médicaments étaient délivrés aux pauvres de la ville par la pharmacie de l’hôpital. Dans les cantons où il y avait plusieurs pharmacies, la charge de pharmacien cantonal était renouvelable chaque année, afin de ne pas fausser la concurrence et de permettre à toutes les pharmacies d’y participer à tour de rôle. Le système était toutefois très compliqué pour le patient, qui devait, une fois muni de son ordonnance, aller d’abord à la mairie pour obtenir une attestation de sa prise en charge, avant d’aller la faire honorer à la pharmacie. À la campagne, ces procédures occasionnaient parfois de longs déplacements et des retards de délivrance : les modalités furent donc assouplies un peu plus tard, et les renouvellements d’ordonnances gratuites facilités. Par contre, certaines communes se plaignent, à plusieurs reprises, du coût des prescriptions et incitent les médecins à prescrire les produits les moins chers du formulaire, pourtant déjà limité aux produits les moins onéreux. Les communes les plus pauvres pouvaient d’ailleurs se faire rembourser une partie de leurs frais par le département.
Le système des pharmacies cantonales fut élargi au Haut-Rhin quelques années plus tard, puis à une dizaine d’autres départements français. La formule disparaît progressivement avec l’introduction d’autres formes d’assistance et de prévoyance publique, y compris les assurances sociales obligatoires. Aujourd’hui encore, en Alsace notamment, certaines officines rurales ont conservé le nom de « pharmacies cantonales », évoquant, par leur enseigne, cette toute première mission de santé publique confiée aux officines.
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