Il a souvent été comparé à ses deux contemporains, Bernard Palissy et Léonard Limosin, célèbres émailleurs au service de la cour de France, mais le peu de sources écrites à son sujet a longtemps créé des difficultés pour identifier ses productions. C’est au XIXe siècle que les contours de son activité commencent à se préciser grâce à la découverte de quelques archives.
Il apparaît sur le port de Rouen sous le qualificatif d’« emballeur » pour l’année 1526, vraisemblablement chargé de recueillir les cargaisons venues d’Italie, d’Espagne, des Pays-Bas, ou d’Angleterre… Là, sur les navires, Masséot Abaquesne remarque des objets plus colorés que d’autres, des carreaux de pavement en faïence émaillée et des majoliques ornés de fleurs, d’animaux, de rinceaux et de symboles héraldiques plus beaux les uns que les autres, en transit au port de Rouen, dans l’attente d’une destination prestigieuse, château ou chapelle de nobles et de courtisans. Rouen, au début du XVIe siècle, est la deuxième ville de France et la plaque tournante du commerce maritime et fluvial.
Une livraison en particulier aurait attiré son attention, celle des carreaux de faïence destinés au pavement de la chapelle du château d’Anne de Montmorency à Fère-en-Tardenois (aujourd’hui au Rijksmuseum d’Amsterdam). A-t-il admiré le dessin des figures à l’antique ou de personnages contemporains, entourées de fruits, de fleurs et de plantes, ce répertoire iconographique caractéristique des majoliques italiennes - celles de Venise, de Castel Durante, d’Urbino ou de Faenza alors très en vogue sur le marché européen ?
Mais, cette fois-ci, ces faïences ne viennent pas d’Italie mais d’Anvers où l’italien Guido Andries (originaire de Castel Durante) a créé son atelier avant 1508, faisant bénéficier, dans les décennies suivantes, les pays du Nord et la France du savoir-faire et du goût italien en répondant à des commandes luxueuses (tel le pavement de l’abbaye d’Herkenrode en 1532-1533, aujourd’hui au musée des Beaux-Arts de Bruxelles, ou celui de la résidence de William Sandys, un proche de la cour du roi Henri VIII, à The Wyne dans le Hampshire, en Angleterre).
Parallèlement à cette activité qui le rendit célèbre, Guido Andries produisit de nombreux vases d’apothicaire sur lesquels on retrouve les mêmes motifs décoratifs que ceux utilisés sur les pavements. Comme lui, Masséot Abaquesne créera son propre atelier à Rouen (mentionné comme « esmailleur en terre » en 1538), répondant également à des commandes d’Anne de Montmorency et réalisant des milliers de pots à pharmacie.
La commande de l’apothicaire Pierre Dubosc
C’est probablement l’une des plus incroyables productions de pots à pharmacie de l’histoire dont on a retrouvé le bon de commande précis, daté du 24 mai 1545 : 3 720 albarelli « façon de bouettes » et 432 « pots façon chevrettes », soit un ensemble de 4 152 pots à pharmacie, dont une soixantaine de pièces nous sont parvenues.
Pierre Dubosc fait partie de la quinzaine d’apothicaires présents à Rouen. Son officine est installée paroisse Saint-Martin-du-Pont, à proximité d’un hôpital. La quantité importante de pots de cette commande peut interroger. Étaient-ils tous destinés à l’officine de Dubosc ou ce dernier prévoyait-il d’en revendre une partie ?
En tout cas, le contrat stipule que Masséot Abquesne ne doit s’occuper d’aucune autre commande tant que celle-ci n’est pas terminée. Pierre Dubosc voulait sans doute s’octroyer le monopole de contenants de belle facture réalisés par un atelier désormais réputé, grâce à la commande, trois ans plus tôt, par le connétable de François Ier d’un pavement pour la décoration de son château d’Ecouen.
Abaquesne était désormais le pourvoyeur des plus grands, à l’instar des artistes appelés par François Ier pour son chantier de Fontainebleau à la même période. En 1549, il fournira à nouveau Montmorency pour Ecouen, avec un autre pavement aux armes du connétable et de sa femme, Madeleine de Savoie, aux côtés de celles d’Henri II et de Catherine de Médicis.
L’étonnante découverte archéologique de 2007
L’intense activité de l’atelier d’Abaquesne laisse supposer qu’il était capable de faire face à plusieurs commandes et qu’il aurait pu fournir d’autres apothicaires ainsi que des pharmacies hospitalières, comme en témoignent les découvertes archéologiques effectuées à Evreux en 2007 qui ont permis d’exhumer des pots à pharmacie attribués de manière certaine à l’atelier d’Abaquesne. Cette découverte, proche de l’hôpital Saint-Louis d’Evreux, pourrait indiquer l’activité d’une apothicairerie d’hôpital qui fonctionna dans la durée, où se côtoyèrent pots anciens et plus récents, également retrouvés lors de ces fouilles.
S’il s’est inspiré des réalisations italiennes et anversoises, Masséot Abaquesne a su créer son propre style de pots à pharmacie, reconnaissables à son monogramme MAb (ou celui de son fils LAb pour Laurent Abaquesne) mais aussi à une gamme de couleurs simple et vive : jaune d’antimoine, vert de cuivre, bleu de cobalt et violet de manganèse. Ses chevrettes sont arrondies aux anses plates et au bec court, ornées de visages entourés d’une couronne de feuillage.
Ses albarelli sont élancés, souvent décorés d’un visage de profil très expressif, non idéalisé, entourés de rinceaux et de feuillages, souvent d’une fleur de tulipe ; des portraits pouvant suggérer le contenu du pot à la manière de figures de malades : les hommes chauves pour des remèdes contre la calvitie, les femmes hirsutes avec des fleurs de moutarde pour des remèdes contre les humeurs…
Dans l’exposition, deux pots se distinguent des autres par leur qualité décorative. Le premier est l’albarello dit « au cerf », très prisé des collectionneurs et toujours en mains privées, original par ses deux registres ornementaux comprenant un cerf et un mascaron. L’animal peut faire penser que cet albarello a contenu un remède à base de cornes de cerf, réputé dans la pharmacopée de l’époque contre les morsures de serpent.
Le deuxième pot est une gourde armoriée au décor très raffiné dit « à grotesques » sur fond blanc, caractéristique de la seconde Renaissance. Datée des années 1555-1560, elle marque un tournant dans la production du faïencier qui réalise dans les mêmes années un pavement au décor similaire pour la chapelle du château de La Bâtie d’Urfé (Loire). Cette gourde témoigne de l’entrée de l’histoire de la pharmacie dans la grande histoire de l’art, les vases d’apothicaire ayant recueilli sur leurs flancs des motifs inspirés des plus grandes réalisations artistiques de leur temps.
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