AU-DELÀ des vestiges de l’ancien sanctuaire de la chrétienté, en un lieu plus discret où malades et indigents faisaient halte pour se faire soigner, l’Hôtel-Dieu offre au regard du visiteur plusieurs chefs-d’œuvre de l’art. Il suffit de pousser quelques portes. Celle de la chapelle d’abord, vaste et d’une belle hauteur sous plafond, plafond où l’on remarque d’emblée une peinture contemporaine (de Marc-Camille Chaimowicz), sorte de grand décorum original aux couleurs pastel. Cette commande publique est intervenue en 2003 pour restaurer et embellir la chapelle, pour faire dialoguer l’ancien et le moderne, comme une résonance artistique à l’immense façade d’autel peinte de faux marbres dans un goût très classique. De cette vision théâtrale, on plonge ensuite dans l’histoire avec plusieurs objets précieux issus de l’ancienne abbaye de Cluny, miraculés grâce à la bienveillance des sœurs hospitalières. Le vieil hospice prend tout à coup des airs de musées.
Jean-Yves Gonod, de l’association « Julien Griffon 1625 » qui œuvre pour la sauvegarde, la valorisation et la promotion du patrimoine de l’Hôtel-Dieu, nous montre le pavement du XIIe siècle, l’autel de marbre, les ferronneries du moine Saint-Placide et un remarquable chandelier pascal (de 3 mètres de haut !), tous des objets sacrés rescapés de l’ancienne abbaye détruite à la Révolution. La mémoire est partout, alors que les malades viennent toujours chercher dans ces lieux historiques un peu de réconfort. L’ancien Hôtel-Dieu et l’hôpital moderne semblent se côtoyer, pour le moment, en bonne intelligence.
Quand le cardinal voulait rivaliser avec le roi…
C’est en 1625 que le prêtre de l’église Notre-Dame de Cluny, Julien Griffon, lègue une petite fortune pour la construction d’un Hôtel-Dieu. En 1660, la première pierre est posée, et, en 1674, les lettres patentes du roi officialisent la construction. Ce premier hôpital, qui était déjà doté d’une apothicairerie, sera malheureusement fortement endommagé par une tempête. Le puissant cardinal de Bouillon engage alors la construction d’un nouvel édifice, de 1703 à 1713, constitué de deux salles des malades avec, au centre, une chapelle. La salle des hommes a été gardée dans son état de fonctionnement (jusqu’en 1990) avec ses lits métalliques. Les anciens lits en bois n’ont pas complètement disparu puisqu’ils ont servi à faire les lambris de la salle.
Emmanuel Théodose de la Tour d’Auvergne, cardinal de Bouillon, connaissait bien Louis XIV. Les deux hommes étaient du même âge et partageaient la même soif de pouvoir. Quand le cardinal, lors d’un de ses nombreux séjours à Rome, fit la connaissance du sculpteur Pierre Legros le Jeune, il se mit à imaginer quel mausolée grandiose à la gloire de sa famille il pourrait faire réaliser pour une des chapelles de son abbaye de Cluny. Il souhaitait prouver que sa lignée était aussi puissante, sinon plus, que celle du souverain, et fit sculpter dans du marbre de Carrare la figure de son père, Frédéric-Maurice de la Tour d’Auvergne, duc de Bouillon, et de sa mère, Eléonore-Fébronie de Bergh, surmontées d’un ange. Quelle erreur de croire que Louis XIV allait applaudir un tel projet ! À la vue des maquettes, le roi voit rouge et pose les scellés sur les marbres acheminés à Cluny dans des caisses. Ces derniers resteront dans la cave de l’abbaye jusqu’en 1825. Redécouverts fortuitement, ils furent pris en charge par les sœurs de l’Hôtel-Dieu. Comble de l’histoire, la jalousie royale aura permis la survie de ces chefs-d’œuvre exposés dans la chapelle. Aujourd’hui, conservateurs et historiens d’art se succèdent pour admirer ces pièces de musées à l’histoire incroyable.
Des pots de pharmacie en peinture.
Les découvertes ne s’arrêtent pas là puisque, au XIXe siècle toujours, un autre objet d’art est retrouvé par hasard, par le Dr Ochier, dans les cuisines de l’hôpital : un magnifique tableau du XVIe siècle (v.1530) représentant les Saintes Femmes au tombeau, un des rares tableaux où sont peints des pots d’apothicaire, dont un superbe albarello de style hispano-mauresque qui ressemble beaucoup à certains pots conservés dans l’apothicairerie. Les couleurs et le dessin sont délicats. On reconnaît la facture flamande, probablement du peintre Grégoire Guérard. Au revers, en grisaille, une très belle scène représentant Saint-Georges terrassant le dragon et Sainte-Catherine d’Alexandrie.
Poussons une autre porte, un peu plus loin au bout d’un couloir. Derrière, l’apothicairerie dans le style Empire avec ses 139 pots, sa belle collection d’étains et son alambic. Elle date de 1824, mais pour les pots c’est une autre histoire qui remonte à la Renaissance. Certains pots viennent de l’ancienne apothicairerie dont on a plus de traces, d’autres ont été acquis plus récemment. Cette apothicairerie, dans sa variété de styles, constitue un vrai petit musée de pots à pharmacie, des faïences italiennes aux faïences lyonnaises, dans le style hispano-mauresque du XVIe siècle, aux chevrettes nivernaises du XVIIe siècle jusqu’aux nombreux pots-canons de porcelaine du XIXe siècle. Pour ces derniers, on en compte 87 commandés à l’atelier parisien Deroche, en 1825. Leur décor polychrome constitué d’un cartouche orné de palmiers et d’un drapé rose est particulièrement original. La pharmacie est complétée par des récipients de verre, quelques mortiers, une balance du XIXe siècle et, plus étonnant, un sucrier, une cafetière et une chocolatière.
Pourquoi pas un musée ?
Dans l’histoire des Hôtels-Dieu et des apothicaireries, on découvre souvent des trésors oubliés, insoupçonnés. Le charme réside dans cette conservation discrète d’un patrimoine précieux. Mais il est souvent compliqué de préserver de telles richesses, faute de moyens suffisants. Pourtant, au vu de la qualité de ses collections, l’Hôtel-Dieu de Cluny se rêve de plus en plus en petit musée attaché à l’hôpital et souhaiterait acquérir un statut officialisant sa mission de valorisation et de sauvegarde. D’autant plus que l’hôpital moderne est en train de s’agrandir de l’autre côté de la rue, menaçant de laisser désaffectées les parties anciennes. Jean-Yves Gonod, qui est aussi secrétaire général du « Réseau des Hôtels-Dieu et Apothicaireries », ne cache pas son inquiétude même si l’enthousiasme l’emporte. Le trésor de Cluny ne peut être rangé à nouveau dans des caisses ! La visite est si belle, étonnante, enrichissante.
En visite libre : la chapelle et les salles des malades de 9 heures à 17 heures En visite guidée sur rendez-vous : la salle des administrateurs avec le tableau des Saintes Femmes au tombeau et l’apothicairerie (sauf dimanche et jours fériés).
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