« MA CHÈRE petite maman, (…). Hier, après que je vous aie écrit, je fus victime d’une crise d’asthme et d’un écoulement nasal intarissable, ce qui m’obligea à doubler le nombre de cigarettes anti-asthmatiques que j’achetais à chaque débit de tabac, etc. Et, le pire, je ne parvins à me coucher avant midi, après d’interminables fumigations (…) ». Ce samedi 31 août 1901, Marcel Proust (1871-1922), comme chaque jour, adressa une lettre à sa mère Jeanne (1849-1905), évoquant ses fumigations anti-asthmatiques : ce traitement s’inscrivait dans une pratique médicale populaire du XIXe au milieu du XXe siècle.
L’Occident connut cette technique par la médecine ayurvédique qui traite la crise d’asthme par l’inhalation de feuilles de Datura ferox dans une pipe à eau. James Anderson (1739-1809), exerçant à la fin du XVIIIe siècle pour la Compagnie des Indes Orientales à Madras était chirurgien mais aussi… asthmatique. Il recommanda ce médicament à William Gent (1770-1811), major de l’armée anglaise, lequel en fit l’éloge auprès d’un ami : le docteur Sims d’Edinburgh, dont l’une des publications, en 1812, ouvrit la page des inhalations de datura. Faute d’imports indiens en suffisance, un médecin anglais, Alexander J. Marcet (1770-1822) puis ses collègues exploitèrent le datura local, Datura stramonium, l’« herbe-du-diable » alors fréquente dans les jardins. Cet usage fut rapidement popularisé : René Laennec (1781-1826) à Paris et Francis H. Ramadge (1793-1867) à Londres, deux sommités médicales du temps, contribuèrent à leur tour à faire du datura un remède de choix contre la crise d’asthme.
Potter, Asthmador, Legras…
L’engouement pour cette solanacée, riche en hyoscyamine et scopolamine, dut beaucoup à la découverte de la bronchoconstriction associée à l’asthme, qui supplanta la théorie de l’encombrement muqueux à la suite des travaux du physiologiste allemand Franz Daniel Reisseissen (1773-1828). Son usage devint rapidement excessif : toute personne se trouvant le souffle « court » se voyait, au milieu du XIXe siècle, prescrire du datura. De nombreuses poudres fumées à la pipe ou vaporisées dans l’atmosphère puis, plus fréquemment à partir de 1880, des cigarettes furent commercialisées. Remède de Potter, cigarettes Asthmador, poudre Legras ou Escouflaire, antiasthme bengalais,… d’autres encore étaient utilisées massivement malgré un index thérapeutique défavorable (sédation, irritation bronchique, troubles psychiques, voire intoxication aiguë). Ainsi, Proust - pour en revenir à ses préoccupations -, disposait rue de Courcelles d’un « fumoir » où il inhalait parfois des heures durant des vapeurs de datura.
L’intérêt voué aux inhalations de datura déclina avec l’amélioration des connaissances physiopathologiques sur l’asthme (sa composante allergique et inflammatoire fut suggérée dès les années 1910) et, surtout, des doutes quant à leur tolérance : dès 1911, Joseph B. Berkart, pneumologue londonien, mit en garde contre les dangers des cigarettes de Solanacées. Dans les années 1930, le développement de médicaments anti-asthmatiques spécifiques concourut à mettre un terme à l’usage médical du datura qui n’en perdura pas moins encore plusieurs décennies…
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