LIMA. XVIIe siècle. Exténué par sa course, le soldat tend le sac contenant la poudre obtenue auprès des Indiens que le médecin administre aussitôt à une femme alitée. Elle n’est autre que l’épouse du vice-roi du Pérou, Luis Geronimo Cabrera, comte de Chinchon (1589-1647). Passés trois jours, n’ayant plus de fièvre, la vice-reine se lève en pleine forme, entendant faire bénéficier toute la ville de ce médicament qui ne tarde pas à être appelé « poudre de la comtesse ».
Quelques années plus tard, la comtesse étant décédée, son mari se retira près de Madrid où il mourut. Le bruit courut qu’il avait ramené en quantité l’écorce qu’il distribuait aux paysans de son fief pour les préserver des fièvres… puis disparut des mémoires. Quelle que soit sa véracité, cette histoire prit consistance grâce à Linné, qui devait nommer en 1742 l’arbre producteur de l’écorce Cinchona, en l’honneur de… la comtesse de Chinchon.
C’est donc au XVIIe siècle que l’Occident découvrit les vertus du « kinakina » (« écorce des écorces ») récolté par les indiens Aymaras sur l’« arbre de la fièvre » - rien ne prouve toutefois qu’ils l’aient utilisé comme fébrifuge ; de plus, le kinakina n’était probablement pas l’écorce du quinquina qui pourtant en tira son nom -.
Un cardinal jésuite, Juan de Lugo, pressa alors le médecin du pape Innocent X d’étudier cette écorce. Ce dernier l’ayant jugée miraculeuse, les religieux s’attribuèrent le monopole de l’importation de ce qui devint… « poudre des Jésuites ». Toutefois, tiraillé entre partisans acharnés et détracteurs opiniâtres, le quinquina sembla sombrer dans l’oubli vers 1660 une fois constaté qu’il ne préservait pas de la peste.
Mais la poudre continua une aventure clandestine. Un jeune apothicaire de l’Essex, Robert Talbor (1642-1681), se présenta en 1668 à Londres comme « pyrétiâtre », il stigmatisa la poudre des Jésuites et proposa un autre fébrifuge qui ne tarda pas à faire sa fortune et sa notoriété (il fut nommé médecin du roi !).
En 1678, le Dauphin de France étant tiré d’une mauvaise fièvre par notre pyrétiâtre, la Cour s’enthousiasma pour sa poudre révolutionnaire et le quinquina devint, plus qu’un médicament, une boisson à la mode. Le secret de Talbor fut levé en 1682 par le médecin du roi Nicolas de Blégny (1652-1722) : l’Anglais administrait du quinquina en masquant son amertume par des aromates.
Personne ne sut pendant longtemps comment était fait l’arbre dans sa globalité : les indiens refusaient de dévoiler leurs lieux de récolte. Il fallut attendre 1737 pour que La Condamine (1701-1774), le premier, puisse le décrire ; quant au botaniste Joseph de Jussieu (1704-1779), il en distingua diverses espèces mais resta 36 ans en Amérique du Sud pour mourir, fou, peu après son retour en France : son témoignage ne fut retrouvé qu’en… 1936 !
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