En cette année 1831, ils furent trois. Trois chimistes à synthétiser, de façon indépendante, pour la première fois, un composé qui devait modifier le paysage de la chirurgie. L’Américain Samuel Guthrie (1782-1848), de Sacketts Harbor (New-York), produisit ce qu’il appela l’« éther chlorhydrique ». Eugène Souberian (1797-1859) l’obtint en France et Justus von Liebig (1803-1873) en Allemagne. Mais c’est le chimiste français Jean-Baptiste André Dumas (1800-1884) qui élucida finalement la structure de ce composé qu’il nomma chloroforme en 1834.
Quelques années passèrent : le chloroforme, le « whisky sucré » comme l’appelait plaisamment Guthrie, était administré sous forme de gouttes, en solution alcoolique, comme sédatif chez les patients souffrant de maladies respiratoires notamment. En 1842, le pharmacologue anglais Robert M. Glover (1815-1859) nota que son injection endormait des chiens sans imaginer que cette observation pourrait être utile au chirurgien : par quelque étrange ironie de l’histoire, il devint addict au solvant et décéda prématurément d’une intoxication aiguë…
Succéder à l’éther
C’est, curieusement, l’introduction de l’éther en thérapeutique qui, paradoxalement, permit de prendre conscience de l’intérêt potentiel du chloroforme.
James Young Simpson (1811-1870), un obstétricien écossais, avait été le premier à utiliser l’éther en routine pour les accouchements. Malheureusement, il lui devenait difficile d’escalader les escaliers d’Edinburgh chargé des nombreuses bouteilles de solvant indispensables à son exercice - vu la relative inefficacité de la technique du masque ouvert -. De plus, les appartements commençaient à être dotés du gaz et le risque d’explosion n’était pas négligeable. En un mot, Simpson était en quête d’une alternative à l’éther…
Il testa divers solvants avant qu’un ami pharmacien à Liverpool, David Waldie, ne lui conseille de s’intéresser au chloroforme qu’il dispensait à des patients asthmatiques. C’est donc chez lui, au 52 Queen St., le 4 novembre 1847, qu’il le testa avec deux collègues devant de nombreux invités : ils s’endormirent aussitôt pour se réveiller quelques minutes plus tard. Simpson y reconnut le digne successeur de l’éther qu’il cherchait : puissant, d’action rapide, d’odeur plaisante et… non-inflammable. Il l’utilisa aussitôt dans sa pratique.
Toutefois, les chirurgiens londoniens qui essayèrent le chloroforme peu après furent confrontés à plusieurs décès par arrêt cardiaque : ils semblèrent alors liés à l’inhalateur, qui ne laissait pas passer assez d’oxygène. Un médecin anglais, John Snow (1813-1858) - le premier anesthésiologiste de l’histoire -, améliora ce dispositif, théorisa la proportion du mélange gaz anesthésiant-air mais il décéda trop tôt pour conclure ses travaux - probablement fragilisé par l’expérimentation personnelle de nombreux solvants -. N’empêche : il popularisa le chloroforme, en l’administrant à la reine Victoria lors de la naissance du Prince Léopold, le 7 avril 1853 à Buckingham.
Quoiqu’il en soit, et malgré l’amélioration de son utilisation, le chloroforme occasionna 120 morts mystérieuses en dix ans (1870-1880). Finalement, Alfred Goodman Levy (1866-1954), du Guy’s Hospital de Londres, montra qu’elles faisaient suite à un arrêt cardiaque soudain. Malgré ce risque, l’anesthésie au chloroforme resta pratiquée jusqu’en 1937, année où l’on comprit qu’elle sensibilisait le pacemaker sinusal à l’action des catécholamines endogènes ou exogènes - d’où les décès inattendus -.
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