LIEU DE SPLENDEURS, de fastes et d’intrigues, la Cour de Versailles fascine autant qu’elle répugne, par la cruauté de ses mœurs. Et par, dit-on, l’hygiène déplorable qui régnait à l’époque dans le plus grand château du monde. Il semble toutefois qu’il n’en était pas vraiment ainsi. Certes, on se méfiait de l’eau, source de maladies infectieuses. Et puis les miasmes étaient légions, véhiculés par la présence de chevaux écumants, de chèvres ou de vaches dont on tirait le lait jusque dans les appartements. Le raffinement français du Grand Siècle ne pouvait souffrir une telle malaisance odorifère. Patchouli, musc et tubéreuse sont diffusés par des soufflets ou des pastilles à brûler. Les gants sont parfumés et le savon figure en bonne position. En 1675, Louis XIV fait installer une salle de bain au premier étage de son château. Comme pour le lever et les repas, la toilette royale se tient en public, donnant lieu à un protocole bien réglé. Le roi se lave au retour de la chasse, en fin d’après-midi. Une baignoire sert à se savonner, l’autre, à se rincer. À la fin de sa vie, le Roi Soleil se vaporise d’eau de fleur d’oranger et ne souffre pas le parfum incommodant de ses visiteurs. Louis XV lui succède sur le trône de France en 1 722. S’il fait démolir une bonne moitié des salles de bain de Versailles pour agrandir ses appartements, le « Bien-Aimé » n’en néglige pas pour autant l’hygiène élémentaire. Les bains sont pris très chauds et nécessitent un temps de repos. Les femmes, qui se baignent le matin, en profitent pour recevoir des leçons de langue étrangère. Louis XV se méfie des maladies et en particulier de la vérole (dont il finira par mourir). Il se doit à ses conquêtes et notamment ses favorites, la marquise de Pompadour et, plus tard, la comtesse Du Barry. Le roi demande à l’un de ses médecins, le dentiste Edme-François-Julien Botot, de lui confectionner une eau de bouche assainissante et désodorisante. La solution est élaborée vers 1755. Le roi s’en gargarise. Cette eau « balsamique et spiritueuse » renferme des extraits de plantes, de racines et d’aromates, soumis à longue macération. Dans la formule alcoolisée à 80°, trois ingrédients phares : le clou de girofle, la cannelle et l’essence de menthe. On y trouve aussi des extraits naturels d’anéthole et de benjoin.
Promotion sous la Révolution.
L’eau de Botot ne demeure pas un royal apanage. Elle fait mouche. La cour l’utilise en bain de bouche et en frictions sur les gencives. Et même pour soulager les affections rhumatismales ! Fort de ce succès, Botot décide de commercialiser son produit. L’activité est installée rue du cloître Saint-Jacques l’Hôpital, à Paris, un bâtiment aujourd’hui disparu. En parallèle, le médecin développe une pâte dentifrice, dite « opiat pour les dents », en référence aux usages dans l’Égypte antique. Avec cette commercialisation viennent les premières reconnaissances scientifiques. En 1777, la faculté de médecine de Paris reconnaît que la « composition est de nature à blanchir, conserver les dents et fortifier les gencives ». Six ans plus tard, la « liqueur dentifrice du Sieur Botot » est approuvée par la Société royale de médecine. Sans en attendre davantage, le médecin se fait publicitaire. Des encadrés promotionnels paraissent dans les journaux. L’inventeur de la solution obtient l’autorisation d’afficher sur les murs de la capitale un « Avis sur la manière de conserver ses dents ». Alors que Paris bruit de la fureur révolutionnaire, Botot obtient une distinction toute monarchique, « le Privilège Général de Louis XVI », pour la publication de son livre sur les soins buccaux. La solution garde les faveurs royales. Il se dit qu’incarcérée au Temple, la reine Marie-Antoinette s’en faisait apporter quelques flacons par son gardien. En cette fin du XVIIIe siècle, la France coupe des têtes et se lave les dents. Mais pas forcément au moyen d’une brosse. On a recours à de petites éponges ou plus simplement à l’index, sur lequel on étale un peu de pâte dentifrice. La solution devint vite populaire, tant et si bien que des contrefaçons alimentent le marché. Au point que, en 1793, la « Gazette Nationale » publie un article dans lequel « le citoyen Botot prévient ses concitoyens que l’on délivre sous son nom une eau qui n’est nullement de sa composition. »
En disgrâce de Bonaparte.
Peut-être pour se consacrer davantage à son épouse, et en dépit de son succès croissant, Julien Botot passe la main à son neveu François-Marie. Ce dernier a acquis les droits sur la découverte de la solution peu avant la Révolution. Dévoré d’ambition, le jeune homme préfère la politique au commerce. En 1789, il cède son héritage pharmaceutique à sa sœur, Marie-Sophie, épouse de Jean-Charles Haudouard, un avocat au Parlement de Paris. François-Marie Botot est secrétaire de Bonaparte, proche de lui (on lui prête une liaison avec Joséphine de Beauharnais). Mais il se brûle les ailes à son irrésistible ascension. Le futur Empereur le prend violemment à parti, en public, à son retour d’Égypte. Il reproche à Botot son engagement auprès de Paul Barras, l’homme fort du Directoire, un gouvernement que Bonaparte va renverser par le coup d’État du 18 brumaire. Mais l’Empereur ne semble pas tenir rigueur à la lignée Botot. On a retrouvé des missives de son épouse, l’impératrice Marie-Louise, demandant à l’une de ses amies, la duchesse de Montebello, de lui envoyer une douzaine des « petites précieuses bouteilles » depuis la capitale. En disgrâce napoléonienne, François-Marie ne revient pas aux affaires familiales. C’est sa sœur qui les tient solidement en main. Et qui imprime sa marque, jusque sur le flaconnage de la solution. Il porte encore sa signature et cette inscription, la devise « Cui fidas vide », qui signifie « Regarde à qui tu te fies ». Certainement une référence aux nombreuses copies de l’eau de Botot. Marie-Sophie mène avec succès la barque patrimoniale. Elle suscite des jalousies et doit même affronter une perfide allusion d’Honoré de Balzac qui affirme, dans un récit, que le nom Botot est usurpé. Ce qui, bien sûr, est faux.
Un produit de luxe.
L’eau de Botot est inscrite au Codex le 22 août 1831 et franchit le seuil des apothicaireries. Un siècle plus tard, on retrouve sa trace dans les beaux quartiers parisiens. La solution est considérée comme un produit haut de gamme, soumise à une taxe de luxe. Elle est alors propriété de la société d’exploitation des produits Botot, qui comprend des parfums et des dentifrices. Son siège est rue de la Paix, à Paris. En 1930, il est déplacé à quelques rues de là, place de La Trinité. L’usine de fabrication se trouve quant à elle dans la banlieue toute proche de Levallois-Perret. Il n’est pas encore venu le temps de la rencontre entre la célèbre solution et son détenteur actuel, le groupe international Bolton. Entre-temps, la marque est passée dans le giron de Blend-A-Pharm, puis de la société italo-anglaise Manetti et Roberts.
Créé en 1949, le groupe Bolton reprend les gammes Botot et Rogé Cavaillès en 1998. Elles côtoient d’autres grands noms hexagonaux comme Sanogyl (acquise en 2006), mais aussi les marques d’aliments Saupiquet ou d’adhésifs UHU. Dans le portefeuille du groupe, Botot reste associé à Rogé Cavaillès, un laboratoire qui trouve lui aussi ses marques aux abords de l’Opéra Garnier. Au milieu du XIXe siècle, en effet, le pharmacien Rogé vend son officine à Prosper Cavaillès, aujourd’hui encore située sur le boulevard Haussmann. Cette officine est le point de départ de préparations dermatologiques durant la première moitié du XXe siècle. On y créé une ligne de savons pour la toilette quotidienne intégrant lanoline, glycérine et beurre de cacao. C’est le repreneur, le pharmacien Lachartre, qui met au point le fameux savon surgras, à base d’huile d’amande douce et de noyau de pêche. Il décline son idée en élaborant un gel surgras, avant que son activité devienne propriété de Procter et Gamble, en 1984. Les références se multiplient, avec notamment l’incorporation d’un lait hydratant dans la formule du gel douche.
Composée de la solution et de la pâte dentifrice, la gamme Botot ne comprend plus la poudre et le savon dentifrice d’autrefois, tombés en désuétude. Après plus de 250 ans au service de l’hygiène buccale, la marque connaît quelques rares ajustements, comme un nouveau packaging pour le dentifrice en 2007. Tradition et formule sont conservées. L’eau dentaire a depuis longtemps mérité sa couronne.
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