IL NE SE LASSE jamais d’admirer la devanture de sa pharmacie où sont inscrites ces lettres « G. Brun pharmacien de 1re Classe », assez rares pour les mentionner, signifiant que le pharmacien Brun a fait sa thèse avant 1900. Au cœur du vieux Montélimar, au 3, rue Sainte-Croix, une charmante petite rue pavée, la façade de l’ancienne pharmacie est un peu en saillie. Gilles Bonnefond explique qu’il s’agit déjà d’un acte de rébellion de la part du pharmacien qui n’a pas respecté la règle de l’alignement des façades. On se poste en face pour mieux voir : est-ce du papier mâché ou de la pierre peinte ? La texture semble à la fois friable et centenaire… Gilles Bonnefond nous donne la réponse : « c’est du régule, un alliage de plomb et d’antimoine » (on pense que ça tombe bien pour une pharmacie d’être faite de cette substance métallique miracle qui sauva un jour le roi Louis XIV !). C’est fait pour imiter le bronze. Il fut d’ailleurs appelé le « bronze du pauvre », utilisé dans l’ornementation à la fin du XIXe siècle et jusqu’à la seconde Guerre Mondiale. La façade de la pharmacie date justement de 1880, dans un style néogothique qui rappelle les décors sculptés des églises de Savoie et de Haute-Savoie. L’École des Beaux-Arts est venue la restaurer, la gratter même, pour enlever la couleur vert Empire et retrouver le vert-gris d’origine que l’on voit actuellement.
Brun, c’est le nom de famille de cinq générations de pharmaciens qui se sont succédé avant Gilles Bonnefond. Ils ont fabriqué des médicaments dans le laboratoire d’analyses chimiques et bactériologiques (aujourd’hui disparu) mais pas seulement. Comme l’indique cette phrase sur la devanture « Eaux minérales, fabrication instantanée de la glace pour malades », l’officine fournissait de la glace et de l’eau minérale, provenant d’une source située à Bondonneau à 4 kilomètres de Montélimar, découverte par le pharmacien Brun qui en obtint la commercialisation en 1855. Les malades partaient même en calèche de la pharmacie jusqu’à Bondonneau, où se développa une petite station thermale devenue à la mode dans les années 1900.
Et puisqu’ils savaient se diversifier, les Brun fournissaient également des produits pour fabriquer le fromage comme la Présure Brun (obtenue grâce à l’élevage de porcs dans une grange à l’arrière de la pharmacie), ou le célèbre Caille-Lait Brun, toujours en vente aujourd’hui.
Un labo photo dans la pharmacie.
Gilles Bonnefond raconte aussi que, au début de son installation dans la pharmacie, on lui demandait du ferricyanure de potassium, ce qui l’intriguait beaucoup. Il finit par apprendre qu’il existait en fait un laboratoire de photographie à l’intérieur de la pharmacie. Cette information confirme la deuxième mention figurant sur la devanture : « Spécialités produits chimiques pour les arts », et non « pour lézards ! » comme un apothicaire imaginatif pourrait le penser.
Depuis les Brun, la pharmacie a été adaptée aux besoins du monde pharmaceutique moderne, sans réellement changer. Les belles boiseries en noyer fabriquées pour le lieu par un ébéniste, les vieilles étiquettes sur les tiroirs, les lourds comptoirs, les précieux pots à pharmacie, dont une thériaque en faïence du XVIIe siècle, un pot à Diascordium en porcelaine bleue de Sèvres et des pots du XIXe siècle… tout est classé au titre des Monuments Historiques depuis 1981. Sans oublier le magnifique plafond peint sur place, sur trois toiles, par l’artiste de Montélimar Marantier (daté de 1910) dans le style Art Nouveau, représentant avec de tendres couleurs pastel plusieurs plantes médicinales entrelacées, dont le pavot et le ricin.
Une atmosphère qui apaise.
Au-delà de la beauté du lieu, le plus important, ce sont les clients et les curieux de passage, souvent étrangers, qui entrent, un peu timides, comme dans un musée. Leurs yeux commencent par pétiller puis ils posent des questions. N’est-ce pas cela avant tout le patrimoine à préserver, cette sorte de joie que procure un moment unique, celui de découvrir un petit trésor, celui de s’imaginer où nos arrière-grands-parents allaient acheter leurs « remèdes » comme ils disent toujours. Les vieilles pharmacies, c’est ce charme d’antan qui, comme par magie, fait que l’échange humain y est plus présent. Les personnes se saluent et se sourient, que ce soit un vieil homme fatigué, venu chercher ses pilules quotidiennes, la jeune fille angineuse ou l’épouse anxieuse, en attente des mêmes médicaments, ceux qui sont censés soulager son mari qu’elle sait condamné. Pourquoi la pharmacie est-elle plus agréable ? Parce qu’on essaye de croire encore au produit miraculeux ou peut-être parce que l’atmosphère de l’ancien apaise un peu une vie souvent trop précipitée.
Gilles Bonnefond aime à rappeler l’importance du lien entre passé et futur : « Quand on se projette dans l’avenir, il ne faut jamais oublier les racines de sa profession, surtout quand on s’occupe d’un syndicat. C’est sur son histoire qu’on construit un avenir solide. » Puis il continue en défendant la position du pharmacien, seul expert des médicaments : « Le pharmacien c’est le gardien des drogues. On était le temple de la phytothérapie et des médicaments préparés à l’officine. Le métier a changé avec les produits manufacturés, mais ce sont toujours des produits toxiques. » Puis, il se souvient de cette anecdote : « Un jour, un vieux médecin spécialiste entre. Je lui propose un générique. Il me dit : nous, avant, on préparait aux pharmaciens des pommades pour les bébés, mais on rajoutait toujours FSA, c’est-à-dire « Fiat secundum artem » (Fait selon ton art), car nous, médecins, on ne savait pas faire. » Avec un petit regret sur l’ancienne complémentarité qui existait entre médecins et pharmaciens, Gilles Bonnefond déplore la dévalorisation du métier de pharmacien aujourd’hui, trop souvent associé à un simple commercial, alors que c’est le médecin qui est hissé au rang de « super-prescripteur ». Il semble nous dire que le combat est encore long à mener pour reconsidérer le rôle et la responsabilité du pharmacien. Son ancienne pharmacie a toutefois cette faculté miraculeuse de pouvoir replacer le pharmacien dans son vrai rôle, celui de conseiller, d’accompagnateur et d’expert dans tout ce qui a trait au médicament.
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