Il se trouve que je connais bien l’hôpital du Kremlin-Bicêtre pour de tragiques raisons personnelles. Refaire le trajet jusqu’au bout de la ligne 7 pour en passer l’immense porche resté gravé dans ma mémoire depuis plus de 10 ans s’est d’abord apparenté à un nébuleux pèlerinage. Je me souvenais évidemment que le vénérable établissement émaillé de dizaines de bâtiments était une ville dans la ville. De sa maternité à sa morgue, les vies y passent, de leur plus lumineuse éclosion à leur sombre trépas, uniquement séparées par quelques mètres et quelques froids labyrinthes de portes. J’avais cependant oublié que ce territoire de santé était aussi grand et aussi alambiqué. La tête un peu perdue, j’ai donc mis une bonne demi-heure pour arriver au bâtiment dit « Pavillon Matthieu-Jaboulay, porte 36 », d’autant qu’aucune signalétique n’indique que s’y loge le musée de l’AP-HP et le service des archives. Après avoir demandé à trois personnes en blouse blanche très aimables mais restées complètement perplexes quant à ma requête, incapables donc de m’aider dans ma recherche, j’ai fini par trouver un plan, peu clair, dont les lignes m’emmenèrent finalement par derrière la maternité justement, au pied d’une vieille façade flanquée d’une date remontant aux années 1880. J’étais arrivée ! Probablement le plus ancien immeuble du site. À l’intérieur, Aurélie Prévost, responsable de la communication et des publics et Agnès Virole, responsable du musée, m’accueillent, tout sourire, pour me faire la visite. Je suis, évidemment, la seule visiteuse à cette heure vide de l’après-midi, pour découvrir, dans l’unique petite salle d’exposition, une minutieuse présentation, en quatre temps, de l’histoire de la pharmacie hospitalière.
13 000 numéros à l’inventaire des collections
Vaste programme décliné en beaux cartels et en proprettes vitrines, flanqué même d’un petit recoin reconstituant une officine avec table de pharmacie en bois sur fond d’une grande photographie en noir et blanc de la Pharmacie Centrale des Hôpitaux, remontant probablement aux années 1950, tapissée de ses étagères garnies de pots en faïences et en verre. « Depuis son déménagement ici en 2017, toutes les collections sont en réserve mais nous les sortons ponctuellement grâce à ces expositions-dossier thématiques que nous organisons » précise Agnès Virole.
Les collections, près de 13 000 numéros à l’inventaire, dont 1 700 recensés au titre de la « pharmacie », furent en effet longtemps conservées et exposées à l’Hôtel de Miramion, quai de la Tournelle à Paris, siège de l’ancienne Pharmacie Centrale des Hôpitaux. « Lorsque le musée de l’AP-HP fut créé en 1934 à l’Hôtel de Miramion, ce sont les collections pharmaceutiques, au vu de leur qualité et de leur importance, qui en constituèrent un des noyaux durs et qui incitèrent l’administration hospitalière à penser à la patrimonialisation de ces objets, à titre mémoriel », développe la directrice. Aujourd’hui, si les espaces d’exposition manquent cruellement pour ce musée, pourtant labellisé « musée de France », ce sont les expositions temporaires qui permettent de valoriser les collections « à destination des personnels de l’AP-HP et nous essayons aussi de développer des actions vers d’autres hôpitaux que celui du Kremlin-Bicêtre » abonde-t-elle. L’institution a même participé à la Nuit des Musées le 13 mai avec l’organisation d’une déambulation musicale et théâtrale.
Les plus beaux spécimens de l'histoire de la pharmacie hospitalière
L’histoire de la pharmacie hospitalière se lit et se comprend à travers ses objets techniques et utilitaires, ses médicaments et ses magnifiques faïences. L’exposition a vocation à en montrer les plus beaux spécimens pour conter l’histoire probablement la moins connue de l’hôpital, mais qui est pourtant au cœur de son activité : la fabrication, le stockage et la distribution des médicaments. Évidemment, le fait de se trouver justement au cœur de ce grand poumon de santé est d’autant plus signifiant pour la découverte de ces objets historiques. Pour évoquer les premières heures de l’apothicairerie de l’Hôtel-Dieu, quelques gravures représentant des religieuses, un plan d’un jardin des simples (celui de l’Hôtel-Dieu qui se trouvait en fait à côté de l’Hôpital Saint-Louis, alors une annexe), une Pharmacopée Universelle de Nicolas Lémery - véritable bible de l’apothicaire - ou encore une enseigne en bois et bronze rehaussée de la représentation d’un serpent s’enroulant autour de la coupe d’Hygie et un très rare exemplaire d’un contenant de poids à godets coniques, attribué aux Ateliers de Nuremberg, témoignant des mesures qui avaient cours avant l’instauration du système métrique décimal en 1793. Orné de sirènes et de chevaux marins, cet objet est un des plus précieux de l’exposition, avec la série de faïences qui orne une grande vitrine, issues majoritairement de manufactures d’Île-de-France. À admirer en particulier, un grand vase de monstre de l’hôpital Necker, une bouteille à sirop de chicorée de l’hôpital de la Salpêtrière ou un vase à extraits d’opium de l’hôpital Beaujon.
Cigarettes anti-asthmatiques et pastilles de cocaïne
De cette première partie, nous retenons notamment l’évolution de la profession de pharmacien et la qualité esthétique des contenants de faïence qui, de simples pièces utilitaires, sont aujourd’hui des pièces muséales. La suite de l’exposition s’intéresse aux trois grandes innovations du XIXe siècle, à savoir la morphine, le chloroforme et l’aspirine, pour illustrer l’avènement de la pharmacie chimique puis industrielle. Sur l’imposante table du pharmacien, apparaissent aussi, à la même époque, de nombreux objets en verre, des contenants bien sûr mais aussi un alcoomètre, une cornue à distiller, des éprouvettes, un appareil de Kipp (générateur alternatif de gaz) ainsi qu’un microscope, un moule à suppositoire et un trébuchet. La visite se poursuit avec l’apparition des boîtes de médicaments en cartons et des petites seringues (jusqu’alors beaucoup plus grosses et utilisées uniquement pour les lavements) ainsi que des ampoules à sérum physiologique. Dans une vitrine, des objets plus insolites comme les cigarettes anti-asthmatiques ou les pastilles de cocaïne.
Enfin le voyage se poursuit avec des vitrines bien garnies d’échantillons de boîtes de médicaments témoignant de la production et de la distribution massive au cours du XXe siècle : Dioparine « Forte », Suppovita, Papavérine Houdé, Sérum antitétanique Ronchèse, Novismuth… Cette section permettant de rappeler le rôle de l’Apothicairerie générale des hôpitaux de Paris (créée en 1795 dans les locaux de l’apothicairerie de l’Hôtel-Dieu), devenue en 1796 la Pharmacie Centrale des Hôpitaux, d’abord installée à l’Hôpital des Enfants Trouvés créé par Saint-Vincent de Paul avant d’être déménagée en 1812 à l’Hôtel de Miramion où elle restera jusqu’en 2012, témoin de profonds bouleversements. En effet, avec l’amélioration de la connaissance des maladies, les besoins en médicaments augmentent rapidement.
La Pharmacie Centrale des Hôpitaux va ainsi devenir un véritable laboratoire doublé d’un centre de recherche dont le cœur est une ancienne usine à Courbevoie. Dans ce lieu, de nouveaux médicaments à échelle industrielle sont produits grâce à la collaboration d’un spécialiste de la chimie organique, d’un pharmacologue et d’un chimiste. Puis c’est à Nanterre, à partir de 1983, que les activités de production de masse s’installent en même temps que se développe la fabrication de monodose sur mesure. Aujourd’hui, la Pharmacie Centrale des Hôpitaux est remplacée par son héritière, l’Agence générale des équipements et des produits de santé (AGEPS). C’est elle qui a en charge l’évaluation des médicaments et dispositifs médicaux en vue de leur bon usage, l’achat et la distribution des produits de santé pour les 39 hôpitaux de l’AP-HP ainsi que la recherche et développement. Depuis 2020, des chaînes de production robotisées prennent le relais, notamment pour la production de doses unitaires. C’est notamment à l’AGPS que furent recueillis les milliers de flacons de doses de vaccins anti-Covid à un rythme effréné.
« La Pharmacie à l’APHP d’hier à aujourd’hui ». Exposition jusqu’au 3 novembre 2023, du lundi au jeudi, 9 h-17 h, Hôpital du Kremlin-Bicêtre, Pavillon Matthieu-Jaboulay, porte 36, contact.musee@aphp.fr
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