Parmi les progrès médicaux induits par la Grande guerre, il serait injuste d’oublier les travaux qui permirent à un médecin et biologiste mondialement connu pour ses recherches en cardiologie et sur les greffes d’organes, Alexis Carrel (1873-1944), d’améliorer considérablement l’antisepsie. Exerçant à l’Institut Rockfeller de New York, il avait été récompensé en 1912 par le Prix Nobel de médecine. Mobilisé dès le 2 août 1914, alors qu’il passait des vacances en Anjou, il fut affecté au tri des blessés à Paris où il constata les ravages induits par la gangrène gazeuse sur des plaies traitées trop tardivement en raison du transport. Il put convaincre le ministre de la guerre, Étienne Millerand, de créer une « ambulance » proche du front, à Compiègne, dans un ancien hôtel de luxe : le Rond-Royal. Il s’agissait là d’un véritable hôpital, très bien équipé et disposant de son propre laboratoire de biologie. Carrel obtint de plus du directeur de la fondation Rockfeller, le docteur Simon Flexner (1863-1946), que fût dépêché pour l’aider un biochimiste d’origine anglaise, désireux d’aider son pays mais trop âgé pour combattre : Henry Drysdale Dakin (1880-1952). Ce dernier commença dès décembre 1914 à tester sur l’animal d’innombrables formulations antiseptiques à l’hôpital Beaujon, dans le service d’un ami de Carrel, le chirurgien Théodore Tuffier (1857-1929) ; il gagna lui-même Rond-Royal en mars 1915.
Les deux hommes améliorèrent les désinfectants à base d’hypochlorite : leur formulation, associant à l’eau de Javel du permanganate de potassium, un oxydant puissant, fut finalisée fin mai 1915. Plus puissante et mieux tolérée que les solutions d’acide phénique ou d’iode, elle faisait merveille après débridement chirurgical des plaies nécrosées, sous un contrôle bactériologique quotidien des tissus auquel Carrel tenait particulièrement. Le « Dakin » irriguait en continu la plaie, à partir d’un flacon surélevé, distribué par de petits tuyaux en caoutchouc perforés au plus profonde des blessures. La surveillance de cette irrigation imposait une présence constante et des infirmières de qualité que Carrel recruta spécialement à Lausanne.
L’action de cet antiseptique sur la gangrène gazeuse fut constaté par l’Américain Harvey W. Cushing (1869-1939), qui exerçait en arrière du front de l’Yser, ou le bactériologiste anglais Almroth Wright (1861-1947), pourtant fort réticent initialement. Elle évita à des milliers de soldats l’amputation.
Le Dakin jalousé.
Cependant, le succès de Carrel lui voua de nombreuses jalousies. Des confrères aussi éminents qu’Auguste Broca (1859-1924) ridiculisèrent ses travaux devant l’Académie : « Et nous apporter cela d’Amérique, laissez-moi rire ! » mais il eut l’intelligence de ne pas prêter flanc aux critiques. Soutenu par d’illustres confrères étrangers dont le docteur Antoine Depage (1862-1925), en Belgique, il fut décoré de l’Ordre de Léopold. Il regagna New York en janvier 1919.
Dakin, quant à lui, s’en était allé œuvrer à Gallipoli dès 1916 pour enrayer la gangrène auprès des « Poilus d’Orient ». Revenu malade, et sûrement désabusé - entre-temps, Carrel s’était largement attribué la découverte du Dakin -, il repartit lui aussi aux États-Unis où il finit sa carrière de chercheur en acceptant un poste de direction au laboratoire Merck.
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