Man Ray, André Breton, Max Ernst, Salvador Dali, Marie Toyen, Yves Tanguy (photo 1), Victor Brauner… Voici quelques-uns des grands noms d’artistes qui constituent la collection de Paul et Jacqueline Duchein. Durant des années, le couple incarna la vie culturelle de Montauban, où siégeait leur pharmacie, la plus grande de la ville (rue de la Résistance). Elle est décédée en 2022, lui en janvier dernier, clôturant une page d’une passion artistique construite à deux, au point qu’il était devenu habituel de dire qu’après le musée Ingres Bourdelle de Montauban, il y avait celui, privé et intime, des Duchein.
Collectionneur d’art brut et de curiosités populaires
Initiateur des « Rencontres d’art » à partir de 1972, collectionneur d’art brut et de curiosités populaires, fin connaisseur d’œuvres surréalistes, Paul Duchein était lui-même artiste, s’adonnant à la création de singulières petites boîtes qu’il appelait ses « théâtres de l’imaginaire » - il en fit plus de 1 000 - dont plusieurs exemplaires seront dispersés cette fin septembre. Mais il était aussi critique d’art et marqua de son empreinte l’histoire de l’art moderne en publiant des articles remarqués dans la Revue nationale des Pharmaciens - qu’il dirigea pendant 20 ans - et qui éveillèrent la curiosité d’amateurs et de collectionneurs. « Il dénichait des objets d’art populaire aussi bien dans les brocantes et les marchés aux puces qu’auprès des galeries et des collectionneurs » raconte Antoine Lebouteiller, expert de la vente et chef du département Impressionnisme et art moderne chez Christie’s. « Il était aussi très proche des artistes, notamment de Toyen, de Vieira da Silva, de la fille d’André Breton, d’Henri Michaux et de Sam Francis. Cette collection est très harmonieuse car chaque objet raconte une histoire, que ce soient les masques africains, les tableaux des femmes surréalistes ou ceux des peintres modernes d’après-guerre tels que Roger Bissière ou Serge Poliakoff » développe l’expert, citant en point d’orgue une magnifique huile de Marie Toyen Flux et reflux de la nuit de 1955 (estimée 800 000 – 1,2 million d’euros).
Des signatures féminines recherchées
Il faut dire que depuis deux ans, la cote des artistes femmes surréalistes s’est envolée à la faveur d’une remise en lumière salutaire de leur créativité que ce soit par le musée d’art moderne de Paris qui consacra une belle exposition à Marie Toyen en 2022 ou par le musée de Montmartre qui dédia une exposition entière aux femmes surréalistes en 2023. Ainsi, Leonor Fini – dont quelques études sur papier sont présentées à la vente – Dorothea Tanning – dont une belle huile sur toile est estimée entre 45 000 et 65 000 euros – ou encore Jane Graverol – avec une toile estimée entre 30 000 et 50 000 euros – sont les autres signatures féminines recherchées qui pourront enflammer les enchères. Elles prennent place aux côtés d’une très belle cire à l’encaustique sur carton de Victor Brauner (100 000 – 150 000 euros), d’un assemblage d’empreintes sur papier découpé de Jean Dubuffet (150 000 - 250 000 euros) ou d’un Max Ernst fantomatique, intitulé La Horde (350 000 – 550 000 euros). Beaucoup plus modeste mais tout aussi emblématique, une boîte de coléoptères confectionnée par André Breton (Photo 2) (1 000 – 1 500 euros) fera office de rareté aux côtés des boîtes reliquaires traditionnelles et des céramiques émaillées de Picasso (Photo 4).
Un cabinet de curiosité où les objets éclairent aussi les liens du couple avec André Breton ou Vieira da Silva
D’objets symboliques et pittoresques très abordables (seulement quelques centaines d’euros) à de véritables chefs-d’œuvre de l’art moderne (à plus d’un million d’euros), cette vente chez Christie’s s’adresse à tous types de collectionneurs. Et si elle éblouit par sa qualité, elle attendrit aussi par sa dimension intime. Comme dans une officine de pharmacie où la magie des essences et des ingrédients se mêle aux histoires humaines, c’est dans l’appartement des Duchein que nous entrons ici. Véritable cabinet de curiosité où les objets éclairent aussi les liens du couple avec André Breton ou Vieira da Silva qui leur firent don de plusieurs de leurs œuvres. Cette histoire est aussi contée dans la vente de Drouot, chez Gicquello & Associés, dont les lots, beaucoup plus abordables, évoquent l’attachement que les Duchein avaient pour leur région, l’Occitanie, à travers de nombreux masques, statuettes, enseignes, épis de faîtage émaillés (Photo 3), coffret ou boîtes de reliquaires, autant d’objets populaires et merveilleux qui rappellent aisément les étonnants mirabilia et naturalia qui habitaient les anciennes apothicaireries. Au point qu’on se dit que tout pharmacien a au fond, quelque part, une âme de collectionneur. Paul Duchein a su l’exploiter avec son goût et son regard aussi facétieux que précis.
Mais aussi quelques pots à pharmacie, piluliers et albarelli en faïence de Delft
En guise de clin d’œil, les derniers lots de la vente Gicquello déclinent quelques pots à pharmacie, piluliers et albarelli en faïence de Delft ou issus d’ateliers italiens et montpelliérains. « Chez lui, il y avait un mur entier de pots à pharmacie réinterprétés par ses amis artistes : Georges Mathieu, Roger Bissière, Jacques Villeglé, Jean Hélion… Mais ceux-là sont restés dans la famille » abonde Antoine Lebouteiller. Ces trois ventes exceptionnelles sont aussi l’occasion pour les maisons d’enchères d’ouvrir la saison consacrée au mouvement surréaliste qui fête cette année son centenaire, portée par la magnifique rétrospective du Centre Pompidou qui a ouvert ses portes début septembre. La magie, le rêve, les curiosités de la nature, voici ce qui animait le pharmacien Duchein et sa femme, aujourd’hui légués aux mains de collectionneurs avisés. Car plutôt que d’en faire un don à un musée, il préférait que les objets vivent et circulent, et se mettent à tisser d’autres histoires. En attendant, en amont de la vente, Christie’s invite Florence Viguier-Dutheil, directrice du musée Ingres Bourdelle de Montauban et le marchand Marcel Fleiss, fondateur de la galerie 1900-2000, pour raconter l’histoire des Duchein, qu’ils ont bien connus.
Christie’s France, 9 avenue de Matignon – Exposition du 18 au 24 septembre – Vente le 24 septembre à 14 heures – Christies.com
Giquello & Associés – Exposition à Drouot du 24 au 27 septembre (salle 10 et 16) – Vente aujourd’hui 26 septembre à 18h et le 27 septembre à 11h – Gicquelloetassocies.fr
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