Disséminés sur la colline de Châtenay-Malabry (Hauts-de-Seine), les cubes gris-vert de béton et d'acier à l'esthétique discutable n'attirent pas vraiment les regards. Pourtant, lorsque 35 ans plus tard, Rémi, Marianne, Alain et Anne-Marie foulent à nouveau le parvis de la faculté, les gorges se nouent un peu. Il faut dire que ce 2 juin 2022 n'est pas un jour tout à fait comme les autres. Après 50 rentrées universitaires sans interruption, une page se tourne pour la faculté de pharmacie de Châtenay-Malabry, dont la dernière promotion quittera les lieux à l'été. C'est donc un anniversaire un peu triste que l'on célèbre aujourd'hui, mais aussi un nouveau départ car, dès l'automne, les activités de formation et de recherches seront toutes transférées au Pôle Biologie-Pharmacie-Santé du plateau de Saclay (lire encadré).
Créée pour délester Paris V
Réputée plus grande école de pharmacie d'Europe, la fac de Châtenay a ouvert ses portes en 1972. Le projet de sa création était né quelque 10 ans plus tôt. Car au début des années 1960, l'école de pharmacie de Paris V (Luxembourg), pleine à craquer, réclame à grands cris son annexe. Un peu la faute au baby-boom, « mais aussi à une appétence de plus en plus grande pour le métier de pharmacien », explique le Pr Dominique Porquet, étudiant de la première promotion installée sur le site… et doyen de la faculté de 2005 à 2015. Sur la question de savoir si on construira des locaux supplémentaires pour éponger l'excédent d'effectif ou un établissement autonome, les avis divergent. On pense d'abord à laisser les étudiants les plus avancés - ceux des années supérieures - profiter, jusqu'au diplôme, de l'animation du quartier latin, et à installer les « petites et moyennes sections » au vert, à Châtenay, loin des tentations de la Capitale, explique l'ancien doyen. Mais on se ravise pour décider finalement, en 1970, la construction d'« une fac complète de plein exercice ». À Châtenay, donc, les étudiants jouiront de locaux plus neufs, plus vastes et plus modernes que leurs camarades parisiens, mais leur verte banlieue leur offrira aussi moins de distraction… Même si, reconnaissons-le, la « cafète » de Pierrot, les belles installations sportives, le resto U pas si mauvais, et les larges pelouses font un peu oublier Paris. On se console comme on peut…
Certains disent que la structure architecturale de la faculté - bloc central et bâtiments satellites - serait héritée d'un projet d'hôpital que la France destinait à un pays d'Afrique mais qui n'a jamais vu le jour. D'autres, que leur imagination débordante fait survoler la fac, y voient le dessin d'un monstrueux bactériophage… Quoi qu'il en soit, c'est bien à l'architecte Jean-Claude Dondel qu'on doit les plans du site - auxquels on préfère au passage ceux du Palais de Tokyo à Paris, dont il est également le concepteur.
« On construit très grand, très vite et pas trop cher », se rappelle Dominique Porquet. Résultat ? Des bâtiments dont l'isolation est quasi inexistante - on est avant le premier choc pétrolier -, des terrasses à l'étanchéité douteuse et des bassins qui se vident tout seul… Sans parler des passerelles et des serres qui s'effondrent et, pire encore, des tours qui s'enfoncent lentement dans le sol ou menacent, comme la fameuse tour B, de se coucher sur l'avenue voisine ! « Entretenir ce paquebot qu'est la fac, ce sont les 12 travaux d'Hercule », résume, non sans humour, l'ancien doyen.
Medline, un rite initiatique ?
Mais Châtenay se veut aussi un fleuron de la modernité. Au début des années 1970, on admire la prouesse technologique que représentent les volets verticaux de la bibliothèque qui, selon l'ensoleillement, s'orientent (presque) tout seuls grâce à une motorisation électrique. Jusqu'au jour où l'un d'entre eux se décroche et affale ses 300 kg d'acier sur les dalles du parvis. Heureusement sans faire de victime… Modernité encore, à l'étage très « privilégié » où se situe la bibliothèque de recherche. Ici, au début des années 1980, Internet fait une entrée discrète mais remarquée sous le nom de code « Medline ». Certains s'en souviennent comme d'un rite initiatique. Après avoir pris rendez-vous avec la documentaliste, les thésards pouvaient enfin accéder au Graal. « Tapez un ou deux mots-clés sur le clavier, pas plus ! insistait la dame. Dans un petit quart d'heure (aujourd'hui, un millième de seconde), vous entendrez le crépitement magique de l'imprimante à aiguilles. » Comme annoncé, la machine crachait en effet quelques mètres de listing que les étudiants s'empressaient d'enrouler comme un précieux trésor. Ils étaient devenus chercheurs…
13 000 pharmaciens formés de 1972 à 2022
Au total, au gré des réformes, de l'évolution des vocations et des fluctuations de la démographie professionnelle, près de 13 000 étudiants auront quitté les bancs de la faculté Châtenaisienne leur diplôme de pharmacien en mains. Parmi eux, beaucoup d'officinaux, mais aussi des cadres de l'industrie pharmaceutique et cosmétique, des biologistes, des chercheurs et des hospitaliers. Beaucoup d'anonymes, soldats en blouse blanche au service de la santé et des populations, et quelques-uns qui le sont moins, à cause du rôle qu'ils jouent au service de la profession ou des instances sanitaires. Citons parmi cent autres les noms de Jocelyne Wittevrongel (FSPF), Stéphane Joly (GEMME), Muriel Dahan (IGAS) ou Didier Rodde (« Quotidien du pharmacien » et Académie nationale de pharmacie)… Ou même, bien au-delà du champ pharmaceutique, les « Châtenaisiens » Jérôme Cloup, dessinateur de BD, Carole Vergne, championne du monde de sabre, Jean-Christophe Lerondeau, maintes fois sélectionné en équipe de France de Hockey sur glace, ou encore Pascal Perrault, l'un des meilleurs joueurs de Poker du monde… Preuves que la pharmacie mène décidément à tout.
Arrivée au bout de son cycle de vie, la faculté de la colline doit aujourd'hui partir. Elle sera « déconstruite » car quelques joints d'amiante méritent encore une attention particulière… Les promoteurs d'un vaste centre d'affaires sont déjà sur les rangs pour occuper les 9 hectares bientôt vacants.
Ainsi, à Châtenay-Malabry, dans un ou deux ans, les immeubles de bureaux auront remplacé les blocs gris-vert de béton et d'acier de l'ancienne faculté. Et quand Rémi, Marianne, Alain ou Anne-Marie passeront par là, la rumeur des amphis ne bruissera plus que dans leurs souvenirs…
Remerciements au Pr Dominique Porquet pour l'aide précieuse apportée à la réalisation de cet article.
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