Histoire de la pharmacie

Ce que la pub pharmaceutique doit aux grands dessinateurs

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Publié le 28/03/2024
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Poulbot, Sempé, Piem, Dubout, Cabu… ils ont tous illustré la publicité pharmaceutique avant que la télévision prenne le relais. Cette histoire haute en couleurs était contée dans une récente exposition à la Faculté de Pharmacie de Paris.

 

 

Dans les salons du Doyen de la Faculté de Pharmacie de Paris (4 rue avenue de l’Observatoire, Paris 5e), nous suivons les pas de Bruno Bonnemain. Ce pharmacien érudit, président de la Société d’Histoire de la Pharmacie, a prêté une partie de sa collection personnelle pour raconter une histoire méconnue, celle de l’illustration par les plus grands dessinateurs du 19e et du XXe siècle des publicités et autres tracts pharmaceutiques que les laboratoires distribuaient en nombre aux médecins et aux professionnels de santé « pour s’assurer de leur fidélité aux produits » nous explique-t-il, en sortant d’une vitrine une série de planches de Sempé, afin qu’on la voie mieux. Sous l’intitulé « Comment s’enrhument… les médecins » ou « Comment on s’enrhume à Paris », le trait pointu et satirique du dessinateur illustre des publicités pour les laboratoires Le Brun, vantant par exemple les bienfaits de l’Eucalyptine-Pénicilline ou du Mictasol. Cette vogue qui est née au XIXe siècle dans des encarts de presse et sur de grandes affiches avant d’investir des cartes postales, agendas, calendriers, journaux d’entreprise ou autres jeux pour les enfants permet aujourd’hui de faire un voyage au plus près des grands noms qui ont marqué et révolutionné la bande dessinée, la caricature et le dessin de presse. Évoquons la 1re affiche en couleurs de Jules Chéret en 1867, ce dessinateur qui érigea en icône pharmaceutique son élégante « Chérette », prête à avaler les pastilles Poncelet ou les pastilles Géraudel contre la toux, les rhumes et les bronchites.

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Foires au papier ou brocantes

Bruno Bonnemain nous explique qu’il a hérité de ces planches de son oncle qui était médecin et qu’il en a glané d’autres dans les foires au papier ou les brocantes. « Les laboratoires avaient beaucoup de budget pour la publicité. D’ailleurs, les professionnels de la publicité vivaient à 30 % des commandes des laboratoires pharmaceutiques dans les années 1930 » abonde-t-il, soulignant que « l’explosion de la pratique a eu lieu juste après-guerre entre 1950 et 1970 ». Mais avant cette période, la publicité a pu prendre de l’ampleur et avoir cours grâce à la loi sur les marques de 1878 et la multiplication des médicaments sur le marché avec le développement de la chimie moderne et de l’industrie.

L’explosion de la pratique a eu lieu juste après-guerre entre 1950 et 1970

Bruno Bonnemain, président de la Société d’Histoire de la Pharmacie

Dans l’exposition, le panel est de qualité car toutes les planches sont signées. Ainsi des drolatiques et burlesques dessins de Dubout pour la Revitalose et le Diénœstrol des laboratoires Fraysse ou l’Aérophagyl des laboratoires Beytout. Bruno Bonnemain nous montre également un livre que le dessinateur a réalisé sur les chansons paillardes qui avaient cours dans les salles de garde avec des illustrations « beaucoup plus osées » nous précise-t-il. On s’attarde aussi devant les adorables et romantiques personnages de Peynet. Encore une fois, le rhume y passe mais aussi le Décontractyl des laboratoires Robert et Carrière. Jacques Faizant nous fait sourire avec son hilarante série sur la « Shoumologie » pour les laboratoires Shoum et leur remède éponyme. « Regardez cette revue appelée Ridendo, c’était une revue distribuée aux médecins avec de nombreuses illustrations. Ou ici, les anciennes publicités pour la Phosphatine Falières. Il s’agit de très grandes planches du XIXe siècle, éditées par la Maison Chassaing, notamment illustrées par Benjamin Rabier » poursuit Bruno Bonnemain, en nous montrant ces bandes dessinées d’époque. Benjamin Rabier étant évidemment connu pour ses dessins de La Vache Qui Rit et de Gédéon.

De Vasarely à Cabu et Piem…

Plus loin, dans une autre vitrine, on trouve Cabu et Piem et leurs illustrations de la Sandostène pour les Laboratoires Sandoz mais aussi les moins connus Chaval qui fit plusieurs caricatures et dessins d’humour liés aux produits pharmaceutiques (comme pour l’Activarol du laboratoire Hepatrol) ou encore Pierre Van Rompaey (1921-2013) qui a émis un magnifique Memento thérapeutique rassemblant des dessins humoristiques à l’aquarelle sur les maux et les maladies de la société et leurs remèdes ou encore l’ouvrage des laboratoires Hepatoum et Triagol intitulé La Thérapeutique à travers les âges. Plus étonnant, on croise la route du célèbre artiste cinétique, père de l’Op Art, Victor Vasarely (l’homme du logo Renault créé en 1972) qui fit de nombreuses publicités pour toutes sortes de marques au début de sa carrière. Parmi celles-ci, le domaine pharmaceutique tient une belle place à travers des collaborations avec plusieurs laboratoires à l’image d’une illustration de la Pantamine (pour un apport en vitamines favorisant la croissance) des laboratoires Robert et Carrière.

700 publicités signées Poulbot

Enfin, nous voici devant le clou du spectacle, au centre de la salle d’exposition. Une série d’illustrations de la main de Francisque Poulbot, prêtée par la collection de l’Ordre des pharmaciens. Connu pour ses dessins des gamins de Montmartre, il fit durant toute sa vie plus de 700 publicités ! Très sollicité par les commerçants, les fabricants de jouet, les restaurateurs ou les grands magasins, il travailla aussi pour l’industrie pharmaceutique et illustra plus d’une vingtaine de médicaments avec des historiettes mettant évidemment en scène des enfants. Ainsi, sous son crayon et sa plume, la série présentée dans l’exposition montre les bienfaits du Dentol, de la pâte Regnault, des Sels Vaillant, de l’Omagil, du Goudron Guyot, du Charbon de Belloc, de l’Autoplasme Vaillant et de la farine maltée Defresne. Une véritable plongée dans les remèdes d’antan. Mais cette exposition est aussi l’occasion de tracer un fil chronologique des talents de l’illustration et de naviguer à travers les styles, du plus piquant au plus burlesque, du plus tendre au plus satirique, du plus comique au plus romantique. De cette manière, on voit comment la publicité pharmaceutique a fait confiance aux artistes et comment elle sût mettre en valeur les meilleurs pinceaux et crayons de chaque époque.

Julie Chaizemartin

 

Informations :

Les dessinateurs au service de la publicité pharmaceutique : Chéret, Poulbot, Dubout, Faizant et les autres.

L’exposition s’est tenue jusqu’au 8 mars dans les salons du Doyen de la Faculté de Pharmacie de Paris, 4 avenue de l’Observatoire, Paris 6e.


Source : Le Quotidien du Pharmacien