Déboulonner Caventou ne suffit pas à effacer sa mémoire. Sa statue de bronze fut en effet déboulonnée par les Allemands, un jour de 1941, pour être fondue. À ses côtés, l’effigie de Joseph Pelletier subit le même sort. Depuis 1900, les deux pharmaciens trônaient sur le boulevard Saint-Michel. Aujourd’hui, qui sait que la femme alanguie, à l’angle de la rue de l’Abbé-de-L’Epée, est un hommage à Pelletier et Caventou, découvreurs de la quinine en 1820, figures désormais inséparables de l’histoire de la pharmacie ? Cette statue fut commandée au sculpteur Pierre Ponson à la Libération en remplacement du monument précédent. Hissée sur un monolithe rectangulaire, avec ses airs antiquisants d’Ariane endormie, elle semble se réveiller lentement ; non d’une nuit d’amour mais d’une douleur terrifiante. Les étudiants de la faculté de pharmacie, située à quelques mètres de là, le savent mieux que quiconque. Allégorie de la guérison, de l’humanité délivrée des fièvres paludéennes, elle évoque l’esprit scientifique du XIXe siècle, dont les progrès marquent toujours notre société actuelle.
1815, premier concours de l’internat en pharmacie
Avant d’être le héros de la quinine, Caventou fut remarqué comme premier lauréat du premier concours de l’internat en pharmacie organisé le 21 février 1815. « Il sort major mais il n’avait pas l’âge requis. Il n’avait pas 20 ans ! Trop jeune, il dut passer une deuxième fois le concours en 1816 et se plaça encore parmi les premiers », explique Rui Battista, président de l’AAIIPHP. Mais au regard de l’histoire, l’annulation du premier passage de Caventou n’a pas beaucoup d’importance. On retient sa réussite. Dès avril 1815, un autre concours est organisé, dans les règles cette fois. Et tout se passa ensuite comme si l’internat en pharmacie devait être auréolé du prestige du pharmacien. Car, il faut bien préciser que la vie du concours de l’internat ne fut pas un long fleuve tranquille.
Malgré la reconnaissance officielle de la profession de pharmacien par décret royal en 1777, les médecins restent, à cette époque, les grands prêtres du docte savoir médical. Et si la loi du 21 Germinal an XI (11 avril 1803) qui régit l’exercice de la pharmacie et instaure des écoles de pharmacie sur le territoire national, n’est pas loin, elle ne suffit pas à faire accepter la présence d’un pharmacien aux côtés du médecin dans les hôpitaux civils au chevet des patients. Car il est bien entendu que le pharmacien doit être dans son laboratoire pour fabriquer ses remèdes, et non au-dehors ! L’instauration de l’internat en pharmacie s’apparente donc à une lutte de la pharmacie hospitalière face au règne des médecins. L’histoire montre également que les nouveaux internes en pharmacie eurent du mal à s’imposer, en particulier en province, face au monopole accordé depuis des siècles aux congrégations religieuses.
Plus qu’un illustre symbole pour l’internat, Caventou pourrait être son saint patron, celui qui donne le courage aux pharmaciens suivants de se lancer dans l’aventure. Pour renforcer leur position dans le paysage médical du XIXe siècle, les internes en pharmacie décident de créer, en 1852, une association confraternelle comprenant les internes en exercice et les anciens internes établis à Paris et en province, dont l’AAIIPHP est aujourd’hui l’héritière. Une manière de revendiquer et de protéger leurs droits, une manière aussi de répondre à certains rapports écrits par des médecins où l’on peut lire qu’il est inadmissible que les pharmaciens aient le droit de visite aux malades dans les hôpitaux, ou bien, dans le rapport d’un certain Dr Renaut, fait à Lyon à la fin du XIX siècle, qu’« il existe une ligne de démarcation profonde entre l’interne en médecine et l’interne en pharmacie ».
1820 : la découverte de la quinine
Joseph-Bienaimé Caventou est né à Saint-Omer le 30 juin 1795. Son père était pharmacien militaire avant d’obtenir un poste à l’hôpital civil de Saint-Omer. Le jeune garçon commence son apprentissage dans l’environnement familial avant de se rendre à Paris pour faire ses études et passer le concours de l’internat. À tout juste 20 ans, il a déjà l’audace de réaliser une nouvelle nomenclature chimique basée sur la classification de Thénard qui fait alors référence. Sa carrière prend un véritable tournant lorsqu’il rencontre le pharmacien Joseph Pelletier, de 7 ans son aîné, qui tient une petite officine rue Jacob à Paris (toujours existante), lui aussi passionné de chimie et de biologie végétale. Leurs travaux sur l’analyse des principes actifs contenus dans les plantes allaient entrer dans l’histoire. Ensemble ils isolent tour à tour la strychnine en 1818, contenue dans la fève de Saint-Ignace et la noix vomique (qui est aussi la substance active du curare, connu pour être utilisé comme poison par les Indiens sur leurs flèches), la brucine en 1919, contenue dans la fausse angusture, puis la vératrine dans l’hellébore blanc et le colchique automnal, enfin la quinine en 1820, contenue dans le quinquina, connu depuis le XVIe siècle pour ses propriétés fébrifuges, et déjà analysé par plusieurs savants, dont le grand Vauquelin.
Les découvertes et les analyses de cette série d’alcaloïdes vont révolutionner la chimie médicamenteuse, comme l’expriment Pelletier et Caventou dans leur Mémoire lu à l’Académie des sciences le 11 septembre 1820 : « Cette connaissance du principe actif éclaire les préparations pharmaceutiques du médicament, fait connaître les formules raisonnées, et les distingue de celles qui sont empiriques, absurdes et souvent dangereuses. Du reste, espérons que quelque praticien habile, joignant la prudence à la sagacité, fera des recherches thérapeutiques sur les alcalis des quinquinas, et donnera ainsi à notre travail une utilité médicale. » Le succès de la quinine est tel que Pelletier créera, quelques années plus tard, la première usine de fabrication à Neuilly. Aujourd’hui, la quinine est toujours la substance la plus efficace pour lutter contre le paludisme et la malaria.
L’aventure de l’internat en pharmacie et de la naissance concomitante de la biologie médicale seront évoquées le 14 novembre par une série de conférences, suivi d’un gala festif, sous la présidence du Doyen Jean-Pierre Foucher, au Cercle des Armées à Paris.
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