Le petit musée est déjà connu pour son exceptionnelle série de pots provenant de l’ancienne pharmacie Mésaize, bien mise en valeur dans une salle reconstituant l’univers d’une apothicairerie. Aujourd’hui, Sophie Demoy, directrice du musée, est fière de nous présenter six pots prêtés par le musée voisin de la Céramique. « C’est le Temps des collections, j’ai choisi ces six pots pour leur beauté et l’histoire de leurs contenants. Ce sont les recettes qui m’intéressent », explique-t-elle. Et en effet, il y a de quoi dire pour faire découvrir au public le monde extraordinaire des remèdes pharmaceutiques d’antan. D’ailleurs, au musée, les groupes scolaires se bousculent.
Tout d’abord, observons les deux vases italiens de forme ronde. Ils sont datés du XVIIe siècle et proviennent de Palerme. Évidemment, ils ne sont pas de Rouen mais sont emblématiques d’un style qui fut copié jusqu’en Europe du Nord, celui de la majolique. Sur chacun d’eux sont représentées deux figures, sainte Agathe et sainte Lucie. Peuvent-elles nous donner une indication sur le contenu que conservaient autrefois ces deux beaux vases ? Sophie Demoy n’est pas contre cette interprétation. On peut en effet penser que le vase à la figure de sainte Agathe, qui est la patronne des nourrices, des femmes allaitantes, mais aussi des femmes atteintes de cancer - au regard du sein qu’on lui a arraché à l’aide d’une pince lors de son martyre - préservait des remèdes visant à soulager ou guérir les femmes malades ou affaiblies. De même que sainte Lucie, bien reconnaissable à la coupe qu’elle tient et qui contient ses deux yeux, pourrait amener à penser que des remèdes ophtalmologiques se trouvaient là. Cependant, nous ne pouvons avoir aucune certitude. Notre imagination prend ici le relais en suivant les lignes du peintre qui a aussi représenté, au revers des deux vases, des motifs d’armures, d’instruments de musique et un globe terrestre, répertoire se référant à l’Antiquité et à la Renaissance, très prisé en Sicile à cette époque, notamment dans les deux ateliers palermitains les plus célèbres, celui de la famille Lazzaro et d’Andrea Pantaleo, actifs au début du XVIIe siècle.
Chinoiserie
Notre visite se poursuit avec l’observation d’un précieux vase à thériaque aux belles anses torsadées et mouchetées de bleu. Fini le jaune éclatant. Ici, uniquement du bleu et du blanc. On devine déjà que nous sommes dans la France du XVIIe siècle. Nevers ou Rouen ? Il est bien difficile de le dire lorsqu’on n’est pas expert. Un indice peut toutefois aider à une identification : le décor orientalisant ou de chinoiserie qui fut à la mode dans la faïence nivernaise entre 1640 et 1700. Trouver le contenu est beaucoup plus simple car l’inscription nous indique qu’il s’agit de la fameuse confection d’alkermès, censée guérir à peu près tout, à l’instar de son homologue, la thériaque. Le principal ingrédient en était la cochenille femelle, parasite du chêne kermès, utilisée en teinture pour sa couleur rouge. Celle-ci était mélangée à la rose de Provins, aux perles, au corail, à la cannelle, au santal citrin, au bois d’aloès ou encore au bois de Rhodes. Le tout était pulvérisé puis mélangé à de l’alun et à des feuilles d’argent « mises pour l’ornement », précise le chimiste Antoine Baumé dans ses Éléments de pharmacie datés 1773. « Pensez-vous que ces recettes foisonnantes avaient des vertus thérapeutiques ? » nous demande Sophie Demoy l’œil rieur… Il fallait en tout cas y croire très fort. Baumé indique toutefois que cet électuaire était propre à « fortifier le cœur, l’estomac et le cerveau ; pour exciter la semence » ! Rien que ça !
Un peu plus loin, une chevrette se détache de l’ensemble des pots par son décor original, blanc éclatant sur fond bleu nuit de cobalt. On reconnaît le décor dit « persan » qui fut mis au point par les Custode vers 1640, célèbres faïenciers de Nevers. Nous voilà presque expert ! De plus, sa provenance a été établie, ce qui est chose plutôt rare. Elle faisait partie d’un ensemble de 304 pots à pharmacie conservé dans l’apothicairerie de l’hôpital Saint-Joseph de Moulins, vendu en 1883 aux enchères afin de financer un service de maternité. Des pièces de cette série se trouvent d’ailleurs aujourd’hui dans d’autres musées ou en mains privées. L’inscription « H. de. Scorpion » indique que cette chevrette contenait de l’huile de scorpion dont voici la recette, toujours selon Antoine Baumé : « On met les scorpions dans l’huile qu’on a fait tiédir, on conserve ce mélange pendant huit ou dix jours dans un vase clos, exposé au soleil, au bout duquel temps on le fait chauffer au bain-marie, on le passe avec expression. On laisse déposer l’huile et on la tire par inclination, on la conserve dans une bouteille qu’on bouche bien. »
Esprit critique
Mais notre chimiste, connu pour son esprit critique et son ton sarcastique, conclut que cette huile antivénéneuse est aussi efficace qu’une simple huile d’olive appliquée sur les piqûres. Cette recette était-elle si fantaisiste ? Que dire alors de celle contenue dans cette rare chope de Rouen datée du XVIIIe siècle ? Ici, on reconnaît la faïence bleue et blanche de Rouen grâce au motif dit « à lambrequins » qui aura un grand succès dans la ville au XVIIIe siècle, développé notamment par la prestigieuse manufacture Guillebaud. À l’intérieur se trouvait du « V.Mond. Apio », comprenons de l’onguent mondificatif d’ache aux vertus cicatrisantes, qui contenait lui aussi une multitude d’ingrédients en plus du très gras suif de mouton et de l’huile d’olive, en particulier des feuilles de diverses plantes (aristoloche, millefeuille, absinthe, plantain, pervenche, pimprenelle…). Enfin, nous terminons la visite en regardant une jolie chevrette décorée de fleurs bleues arrondies dans le style de Nevers. Et pourtant, il s’agit d’une faïence de Rouen. Oui, les ateliers des deux villes se sont souvent copiés entraînant des difficultés d’attribution. Dans cette chevrette, l’apothicaire conservait du sirop de chicorée des jardins, « S. Cichorium », employée à des fins digestives.
Notre petit tour des pots s’arrête là mais Sophie de Demoy nous apprend que le musée continue de s’enrichir de faïences pharmaceutiques grâce à un don récent de deux pots-canons de Moustiers et de deux rares albarels catalans du XVIIIe siècle. L’histoire de la pharmacie pourra ainsi s’y décliner de manière encore plus large.
Vous pouvez d’ores et déjà la découvrir lors de la nuit des musées le samedi 20 mai entre 19 heures et 23 h 30. L’entrée au musée y sera libre et gratuite. L’occasion également de jeter un coup d’œil sur l’autre exposition à l’affiche consacrée au médecin et biologiste rouennais Charles Nicolle, prix Nobel de Médecine en 1928 pour ses recherches sur le typhus exanthématique.
Informations pratiques : musée Flaubert et d’Histoire de la médecine, 51 rue Lecat, 76000 Rouen ; Tel : 02 35 15 59 95. Ouvert le mardi de 10 heures à 18 heures et du mercredi au samedi de 14 heures à 18 heures. L’exposition « Albarels, chevrettes, piluliers & Cie : les pots à pharmacie de l’apothicaire » est visible jusqu’au 20 mai 2017.
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