« POUR ÊTRE EFFICACE, la politique de lutte contre les dommages des addictions ne doit plus se faire à partir des représentations de la réalité, mais être construite à partir de la réalité », considère le Pr Michel Reynaud, chef du département de psychiatrie et d’addictologie à l’hôpital universitaire Paul-Brousse (Villejuif). À la demande de la présidente de Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (MILDT), Danièle Jourdain-Menninger, le Pr Reynaud a coordonné pendant trois mois plus d’une soixantaine d’experts pour proposer des stratégies « validées » afin de réduire les dommages liés aux addictions en perspective d’un nouveau plan gouvernemental qui sera présenté au Premier ministre dans le courant du mois de juillet. Plusieurs autres rapports, notamment de l’INSERM ou de l’OFDT doivent nourrir la réflexion de la MILDT dont le plan sera in fine soumis au délicat arbitrage interministériel. Oublié le concept de « réduction des risques », « moins évaluable et surtout, complètement associée en France à la réduction des risques infectieux chez les usagers de drogues injectables ». La mission Reynaud préfère insister sur la notion de « réduction des dommages », dans la mesure où il s’agit là « d’une donnée objective, perceptible, évaluable et donc plus à même d’être acceptée par les pouvoirs publics et la société ». Face à « l’absence de résultats probants des politiques idéologiques » dans la lutte contre les drogues, le Pr Reynaud estime qu’un « changement de paradigme » devient aujourd’hui indispensable. « Nous avions durant les années 1990, la lutte contre l’alcool et les toxicomanies. Les années 2000 ont été celles de la mise en place des actions contre les addictions. En ces années 2010, nous en sommes à une politique qui doit réduire les dommages de façon pragmatique » en menant des actions reposant sur des preuves médicales, explique-t-il.
La tolérance vis-à-vis du tabac et de l’alcool en question.
Dans son rapport, la mission Reynaud est consciente de la difficulté de la tâche : « Promouvoir une politique pragmatique de réduction des dommages amènera à faire face à ces préjugés et positions politiques qui perçoivent toutes les initiatives de réduction des risques et des dommages comme autant de banalisation de la consommation de ces produits, sans s’interroger sur la tolérance dont jouissent paradoxalement la consommation des produits légaux, globalement plus nocifs » comme le tabac et l’alcool, peut-on lire dans ce rapport. L’alcool et le tabac imposent en effet un coût à la collectivité que les taxes sont bien loin de compenser. « Les autorités publiques seraient donc amplement légitimes à remonter massivement les taxes dont le produit devrait être affecté à la prévention, aux soins et à la recherche », souligne la mission qui propose notamment une taxation des produits alcoolisés au prorata de leur degré d’alcool. Elle prône également une vraie régulation marketing sur Internet où les alcooliers font ce qu’ils veulent ou presque depuis l’adoption d’un cavalier législatif lors du vote de la loi HPST en 2009.
Pour le Pr Reynaud, il s’avère nécessaire de mettre en place une meilleure articulation entre la législation et les soins pour les délits commis sous l’emprise de drogues licites ou illicites. « Il nous faut une loi vraiment applicable en rendant possible une punition qui s’accompagne d’une évaluation addictologique ».
Une autre philosophie des soins.
La prévention doit être aussi plus ciblée en donnant la priorité à des stratégies de repérage et d’intervention précoces, auprès des populations les plus vulnérables (jeunes, femmes, personnes en situation de précarité, patients souffrant de troubles psychiatriques) et des situations les plus à risques (milieux festifs, carcéral et d’entreprise). Pour plus d’efficacité dans les prises en charge, la mission appelle surtout à une autre philosophie des soins où il s’agit de « mettre en œuvre des options les plus réalisables pour l’usager, plutôt que de se focaliser sur des options souhaitées par la société et les soignants, mais trop inaccessibles pour l’usager ». Pour ce faire, il faut une mobilisation très importante sur l’enseignement et la formation qui demeurent extrêmement insuffisants dans le champ des addictions, estime le Pr Reynaud. En médecine, 11 facultés sur 30 ont un service universitaire et un enseignant en addictologie et la recherche clinique reste embryonnaire avec seulement 3 unités labellisées, fait-il remarquer. « À l’instar de la justice, de la police, du paramédical, si les médecins n’intègrent pas dans leur pratique comment repérer, agir, orienter, nous aurons beaucoup de mal à avancer sur la prévention précoce », prévient le Pr Reynaud. Pour faciliter ce changement de paradigme, la mission recommande de faire de la lutte contre les addictions une priorité « présidentielle » et suggère l’organisation d’États généraux pour mieux préparer la société à ces révolutions à venir.
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