LE QUOTIDIEN – Que peut-on retenir de ce nouveau classement ?
Pr GÉRARD LASFARGUES – Le classement que vient de faire le CIRC correspond à un niveau 2B : les experts estiment que les champs électromagnétiques liés aux radiofréquences, notamment émis par les téléphones mobiles, sont possiblement cancérogènes pour l’homme. L’avis du CIRC rejoint complètement l’avis que l’ANSES avait émis en 2009. À l’époque, nous avions souligné qu’il y avait déjà des données épidémiologiques qui suggéraient une augmentation du risque de certaines tumeurs cérébrales (notamment les gliomes et, à moindre degré, les neurinomes de l’acoustique) chez les forts utilisateurs de téléphone mobile. L’étude Interphone, dans ses résultats complets, a confirmé ces conclusions. Le CIRC s’est probablement appuyé sur toutes les données d’Interphone, y compris, peut-être, sur des données non publiées. Nous restons donc sur un risque hypothétique et possible sans pouvoir affirmer, avec certitude, si le risque existe ou pas. Mais il est important qu’un organisme comme le CIRC le dise. Jusqu’à présent, les radiofréquences de radiotéléphonie mobile étaient classées dans le groupe 3. Aujourd’hui, même si les données restent limitées, le CIRC estime qu’elles étaient suffisantes pour relever le classement d’un cran.
Quelles sont les mesures à prendre aujourd’hui ?
À partir de ce risque possible, le CIRC émet deux types de recommandations. Il faut, d’une part, surveiller de près le lien entre les téléphones et le risque de cancer. Cela veut dire avoir une veille scientifique permanente sur le sujet. Sans attendre l’expertise du CIRC, nous avons mis en place, à l’ANSES, un groupe de travail chargé de suivre les publications scientifiques pour actualiser, si nécessaire, les recommandations. Il faut, d’autre part, faire évoluer la réglementation. La France – et les experts du CIRC l’ont reconnu?– est pionnière dans ce domaine. La loi « Grenelle 2 », publiée en juillet 2010, a permis l’affichage du débit d’absorption spécifique (DAS) des téléphones mobiles et l’obligation de fournir un accessoire kit mains libres lors de la vente d’un téléphone mobile. Pour les enfants de moins de 14?ans, la publicité pour la vente ou l’usage d’un téléphone mobile est interdite. L’utilisation a été restreinte dans les écoles. Dans leur consultation, les médecins généralistes peuvent conseiller l’emploi du kit mains libres et du haut-parleur : de telles mesures permettent de réduire l’exposition de la tête d’un facteur 10. C’est un conseil de précaution et de bon sens.
Où en est la recherche aujourd’hui ?
Plusieurs études ont été lancées, dont COSMOS (Cohort Study of Mobile Phone Use and Health). Il s’agit d’une étude de cohortes lancée sur plus de 250 000 personnes, de 18 à 69 ans, pour étudier les répercussions de l’usage du téléphone mobile, au niveau, par exemple, des cancers mais aussi des troubles du comportement, ou des problèmes neurologiques. Elle concerne cinq pays (Danemark, Finlande, Pays-Bas, Royaume-Uni et Suède) et devrait durer trente?ans. Mais il y a également des études cas-témoin, comme Mobikids, qui implique treize pays européens, dont la France, et 4 000 enfants usagers (de 10 à 24 ans). Les résultats seront plus rapides, mais il faut quand même du temps pour retracer toutes les expositions et éviter les biais de mémorisation. Les recommandations, qui sont aujourd’hui du domaine de la précaution, évolueront en fonction de l’évolution des connaissances, y compris au niveau expérimental.
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