L’évolution des professions rend flou la frontière entre ce qui relève d’un médecin, d’un pharmacien, ou d’autres professionnels de santé. Avec l’expérimentation de la vaccination antigrippale par le pharmacien d’officine qui va se mettre en place à l’automne, ce dernier va être amené à piquer ses patients, un acte jusqu’alors interdit… bien qu’il soit déjà pratiqué par de nombreux confrères à l’étranger. Est-ce à dire que le pharmacien pourra désormais réaliser des injections en sous-cutané ou en intramusculaire ?
Pour Jean Occulti, la prudence est de mise. Pharmacien, moniteur de premiers secours et formateur relais aux gestes et soins d’urgence, il rappelle que « l’effraction cutanée » par le pharmacien n’est pas autorisée. « Cela pose le problème du contrôle de la glycémie, pour lequel il faut pratiquer une certaine gymnastique pour que ce soit le patient qui effectue l’acte. Dans le cadre d’une urgence, il est possible de réaliser le contrôle pour vérifier que le resucrage est bien en cours. Lorsque le sujet en hypoglycémie est inconscient, il faut en urgence réaliser une injection de Glucagon. C’est un acte réservé à l’entourage, mais en situation d’urgence le pharmacien peut être amené à injecter du Glucagon ou de l’adrénaline dans le cas d’une réaction allergique. » Pour couvrir tout acte paraissant outrepasser ses droits ou devoirs, le pharmacien est invité à composer le 15. « L’injection n’est pas quelque chose qu’il a appris, il n’est donc pas obligé de la pratiquer. Mais il peut le faire, sur la recommandation du centre 15, sans être accusé d’exercice illégal de la médecine car l’acte ne répond pas à une routine », ajoute Jean Occulti.
Obligation de moyens
Sur le papier, toute situation semble avoir été prévue. La jurisprudence édicte ainsi que, lorsque le prescripteur n’est pas joignable, le pharmacien est tenu de délivrer un médicament listé à un patient se présentant sans ordonnance si la non-délivrance « est contraire à la santé du malade ». De manière générale, le pharmacien est soumis, comme tout citoyen français, au droit commun, et donc à l’article 223-6 du Code pénal. « Quiconque s'abstient volontairement de porter à une personne en péril l'assistance que, sans risque pour lui ou pour les tiers, il pouvait lui prêter soit par son action personnelle, soit en provoquant un secours », sera puni de cinq d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende. Pour le pharmacien, cette obligation de moyens est confirmée dans le code de santé publique, par l’article R. 4235-7 : « Tout pharmacien doit, quelle que soit sa fonction et dans la limite de ses connaissances et de ses moyens, porter secours à toute personne en danger immédiat, hors le cas de force majeure ». Un article qui s’appuie justement sur le Code pénal (art. 121-3), stipulant qu’il y a délit en cas de « manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, s’il est établi que l’auteur des faits n’a pas accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait ». Il s’agit principalement d’une obligation de moyens, l’article 122-7 du Code pénal affirmant que « n'est pas pénalement responsable la personne qui, face à un danger actuel ou imminent qui menace elle-même, autrui ou un bien, accomplit un acte nécessaire à la sauvegarde de la personne ou du bien, sauf s'il y a disproportion entre les moyens employés et la gravité de la menace ».
Terrain glissant
Autrement dit, il ne faut pas « utiliser un marteau pour tuer une mouche », traduit Jean Occulti. Quel que soit l’acte envisagé face à une urgence, il conseille vivement de contacter le centre 15 pour obtenir un avis médical. Une recommandation exprimée également par Aissam Aimeur. Membre du bureau du Syndicat des pharmaciens inspecteurs de santé publique (SPHISP), il a lui aussi participé à la rédaction d’ouvrages sur l’urgence à l’officine et a été, au cours de sa carrière, pharmacien sapeur-pompier et moniteur de premiers secours. « L’injection est un terrain glissant, même en cas d’urgence », résume-t-il, car habituellement réservée aux médecins et à certains auxiliaires médicaux. « Pour parler d’exercice illégal de la médecine, il est nécessaire d’être face à un délit d’habitude, donc une injection isolée en cas d’urgence n’entre pas dans ce cadre. » Néanmoins, la qualification est laissée à l’appréciation du juge. De plus, Aissam Aimeur souligne que l’injection, sur prescription ou sur application d’un protocole écrit, fait partie des compétences des infirmiers (article R. 4311-7 du Code de la santé publique). Le pharmacien peut donc être accusé d’exercice illégal de la profession d’infirmier. « Le pharmacien doit être formé et il doit s’assurer auprès du centre 15 que cette injection ne peut attendre l’arrivée des secours. Il n’est pas facile d’évaluer une urgence vitale et d’estimer que l’acte à accomplir répond à un intérêt supérieur », remarque Aissam Aimeur. Et de répéter que la prise de contact avec le SAMU est un préalable dès qu’un cas d’urgence se présente, à la fois pour être « conseillé, guidé dans les gestes de premiers secours, éventuellement suivre une téléprescription, et bénéficier de la traçabilité, les appels au SAMU étant enregistrés et conservés pendant six mois ». L’expérimentation de la vaccination antigrippale dans deux régions françaises à l’automne prochain ne change rien à la situation, excepté le fait que les pharmaciens participants vont acquérir une compétence sur l’injection. « Le pharmacien qui a reçu une telle formation et a pratiqué une injection après aval du SAMU, va favoriser la prise en compte d’un état de nécessité par le juge, estime Aissam Aimeur. Mais dans les faits il y a peu de probabilité que le médecin du SAMU demande au pharmacien de réaliser l’injection. »
Formation
L’arrêté du 28 novembre 2016 relatif aux bonnes pratiques de dispensation des médicaments complète utilement les textes précédents. Ainsi, dans l’intérêt du patient, le pharmacien peut, en l’absence d’une ordonnance, dispenser un médicament sur prescription, tout comme il peut refuser une délivrance à un patient se présentant avec une ordonnance. Toujours en cas d’urgence et dans l’intérêt du patient, il peut aussi remplacer un médicament par un autre et doit en informer le prescripteur dans les meilleurs délais.
Depuis 2007, le pharmacien bénéficie, dans son cursus initial, d’une formation aux premiers secours qui se conclut par la remise de l’attestation de formation aux gestes et soins d’urgence (AFGSU), dont le premier niveau est réalisé en 2e année, le second en 4e année, et qui doit être actualisée tous les 4 ans. Il est possible de suivre une formation complémentaire sur les risques nucléaires, radiologiques, biologiques et chimiques (NRBC). Un changement majeur pour Jean Occulti. « Des formations facultatives ont été proposées dans certaines facultés à partir de 1967 mais ce n’est qu’en 1998 qu’un stage a été agréé par les organismes de formation, et en 2007 que les formations aux gestes et soins d’urgence destinées aux professionnels de santé ont intégré la formation initiale. » De son côté, Aissam Aimeur, dont la soutenance de thèse en 1997 portait déjà sur « Les premiers secours à l’officine » insiste sur le fait que les pharmaciens se sont, pour la plupart et de tout temps, formés aux gestes de secours. « Une enquête menée par la DRASS Champagne-Ardenne en 2008 auprès de 440 officines montrait déjà que 83 % d’entre elles comptaient un pharmacien formé aux premiers secours et 66 % indiquent qu’au moins une personne avait son brevet national de secourisme (qui n’est plus délivré depuis 1991). » À noter que les principaux obstacles exprimés à la réalisation des gestes de premiers secours par les titulaires sont le risque d’engager sa responsabilité civile et professionnelle (56 %), le risque de poursuite pour exercice illégal de la médecine (53 %) et la peur de mal faire (48 %). D’où l’intérêt des nombreuses applications mobiles qui guident pas à pas celui qui vient en aide. « Des associations comme La Croix Rouge et certaines mutuelles ont développé ce type d’outil pour évaluer la gravité de toutes les situations d’urgence, expliquer ce qu’il faut faire, comme mettre en position latérale de sécurité, ou faire un massage cardiaque en donnant le rythme à respecter. » Et dans tous les cas, les pharmaciens sont toujours invités à composer le 15.
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