Comment l’idée lui était-elle venue à l’esprit ? Personnage énigmatique et controversé, Manfred Sakel (1900-1957) n’en livra guère de raisons. Toujours est-il que ce jeune neuropsychiatre austro-hongrois imagina pouvoir traiter la dépendance à la morphine, alors banale parmi les patients de la bourgeoisie allemande, par injection d’insuline, une hormone tout récemment découverte. Il débuta ses essais en 1927 à Berlin, dans la clinique du neurologue Kurt Mendel (1874-1946) où le hasard lui fit observer que l’un de ses cobayes, toxicomane et schizophrène, « resucré » après un coma hypoglycémique accidentel, était revenu à lui plus calme et apte à coopérer aux soins. L’idée de traiter les psychoses par l’insuline n’était certes pas innovante : Julius Wagner von Jauregg (1857-1940) et d’autres aliénistes avaient déjà testé la méthode sans oser cependant provoquer le coma.
Sakel essaya de poursuivre ses travaux à Berlin mais, contraint de fuir le nazisme, il retourna à Vienne au début de 1933 et s’installa dans la clinique dirigée par Otto Pötzl (1877-1962). Il publia ses premiers résultats dès la fin de l’année 1933 dans le Wiener Medizinische Wochenschrift. Et ceux-ci eurent de quoi étonner la communauté médicale puisqu’ils revendiquaient une amélioration de près de 90 % des schizophrènes récemment diagnostiqués et de 50 % des patients chroniques.
Sec ou humide
La « cure de Sakel » connut un succès immédiat, à une époque où l’on ne connaissait aucun traitement pharmacologique des psychoses. C’est ainsi que Joseph Wortis (1906-1995), psychiatre universitaire new-yorkais, l’introduisit aux États-Unis dès 1935. Sakel émigra lui-même rapidement à New York et y créa une clinique privée où il promut à loisir sa technique.
La thérapie de choc était appliquée de façon différente selon les hôpitaux. Le « choc humide », dit familièrement « petite insuline », consistait à administrer une faible dose, sédative, ne faisant pas perdre conscience. Le « choc sec », inversement, dit aussi « grande insuline », plongeait dans un coma de 2 à 3 heures Dans tous les cas, après « resucrage » naso-gastrique ou IV, le patient était apaisé et psychiquement disponible pour des interventions psychothérapiques. Le traitement, enchaînant jusqu’à 30 à 60 injections par cure, répétées quasiment tous les jours, diminuait l’agressivité sans réduire les manifestations productives de la psychose.
Sakel resta toujours évasif sur le mode d’action d’une technique qu’il développa de façon purement empirique : vu avec recul, il semble que ce soit surtout le nursing intensif dont bénéficiaient les patients qui ait pu être actif. Probablement bipolaire, il présenta lui-même des traits paranoïaques, estimant qu’une internationale antisémite complotait contre l’attribution du Nobel de médecine qu’il lui semblait mériter…
En 1953, un jeune psychiatre anglais, Harold Bourne, remit en question l’efficacité de la technique ; un autre médecin anglais, Brian Ackner (1918-1966), montra que l’insuline n’avait rien à voir avec d’éventuelles améliorations cliniques. Les chocs « humides » ou « secs » furent abandonnés à cause de l’angoisse qu’ils provoquaient, du risque d’encéphalopathie hypoglycémique (fatal chez 1 à 4 % des patients) mais aussi - et surtout - en raison de l’efficacité de la psychopharmacologie émergente et de sa facile mise en œuvre. Seule demeure, désormais, au nombre des thérapies de « choc », l’électroconvulsivothérapie. Mais cette histoire, elle vous a déjà été racontée…
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