La dépression chez le sujet âgé
Les mots du client
Moi qui aimais tant bien manger, je n’ai plus d’appétit.
Mon père est devenu depuis peu très colérique.
Ma mère est boulimique depuis plusieurs mois.
Rappel physiopathologique
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, l’avancée en âge ne représente pas en elle-même un risque de dépression pour les sujets en bonne santé, mais en revanche certaines conséquences de celle-ci en sont d’évidents. Il s’agit, en priorité, de causes biologiques (pathologies vasculaires cérébrales et maladies chroniques en général, surtout douloureuses), psychologiques (deuils, pertes cumulées, changements existentiels douloureux) et sociales (dégradation des rapports sociaux en quantité et qualité) ; il faut aussi penser à d’éventuels antécédents dépressifs, même très éloignés dans le temps. L’accumulation de lésions cérébrovasculaires (visibles en IRM) pourrait favoriser la survenue d’une dépression tardive : « dépression vasculaire ».
Un diagnostic difficile.
Le diagnostic d’un état dépressif est beaucoup plus difficile chez la personne âgée. En effet, les formes typiques sont beaucoup plus rares à cet âge et les échelles d’évaluation ont surtout été élaborées pour des sujets jeunes ; de plus le « noyau dépressif » (tristesse, perte d’initiative, émoussement des désirs) est rarement complet. En pratique, une dépression est fortement probable quand au moins 5 symptômes (dont obligatoirement une humeur dépressive ou une perte manifeste du plaisir) parmi les suivants sont présents depuis au minimum deux semaines : perte d’intérêt ou de plaisir, tristesse, humeur dépressive, idées suicidaires, troubles du sommeil avec typiquement une insomnie de la deuxième partie de nuit (attention : le sommeil est volontiers survalorisé chez la personne âgée) ; mais on peut aussi observer à l’inverse une hypersomnie (le sommeil demeurant de mauvaise qualité) et de l’appétit (très souvent perte d’appétit mais à l’inverse un comportement boulimique, avec hyperphagie et prise de poids, est également possible), ralentissement psychomoteur, modification brutale du caractère (instabilité, colère, agressivité, « dépression hostile »), dévalorisation, sentiment de culpabilité et plaintes somatiques inhabituelles. Il faut toujours avoir présent à l’esprit qu’il n’est pas « normal » pour un vieillard d’être triste. Une sensation de fatigue (avec toute une palette d’expressions : lassitude, épuisement, accablement…) variant au cours de la journée est aussi un signe très évocateur : maximale le matin et tendant à s’atténuer en soirée. Une anxiété généralisée est fréquemment associée à la dépression, surtout chez les femmes âgées.
Mais, les formes atypiques trompeuses sont très fréquentes, la dépression pouvant prendre des masques très variés, comme un trouble organique, un déficit, un repli, un isolement ou une régression (ces formes passent volontiers inaperçues), ou encore l’apparition ou la majoration de troubles du caractère ou du comportement (hostilité ou agressivité vis-à-vis de l’entourage, « dépression souriante », alcoolisme d’apparition récente).
Il existe aussi un risque accru de dépression en cas de désordres thyroïdiens, de maladie de Cushing, et il ne faut pas méconnaître non plus le rôle dépressogène de certains médicaments : bêtabloquants, antihypertenseurs centraux, corticothérapie générale, certains psychotropes (neuroleptiques)
Enfin, la distinction entre une dépression, une démence et un état confusionnel est essentielle, mais souvent difficile. Cela pour plusieurs raisons. D’une part, la fréquence de ces trois pathologies augmente avec l’âge, une dépression peut se révéler par une démence (circonstance loin d’être rare), dépression et démence peuvent être associées, et la dépression est extrêmement fréquente dans les affections psychiatriques ainsi qu’au cours de l’évolution des maladies neuro-dégénératives (elle pourrait même, semble-t-il, parfois précéder ces dernières de plusieurs années).
Les questions à l’officine
Les antidépresseurs sont-ils aussi efficaces chez les déprimés âgés ?
A priori l’efficacité de ces médicaments ne semble pas dépendre de l’âge du patient.
Cela étant, on estime qu’environ 30 % des « pseudo-déments », vrais déprimés, sont résistants aux antidépresseurs. Mais il faut s’attendre à un délai d’action plus long et patienter 4 à 6 semaines avant de juger de l’efficacité d’un produit. Et faire un suivi attentif de l’efficacité et de la tolérance.
Quels sont les facteurs pouvant empêcher la guérison de la dépression ?
D’abord une mauvaise observance du traitement, le plus souvent due aux effets indésirables, mais la forme galénique joue aussi un rôle important à cet âge. D’autres paramètres importants interviennent, comme l’isolement social et affectif, l’existence d’une pathologie somatique, comme un cancer ou un diabète, et d’éventuelles atteintes cérébrales, comme une maladie neurodégénérative. Le rôle de l’entourage est donc essentiel.
Dépression et anxiété vont-elles toujours ensembles ?
Pas obligatoirement. En effet, bien qu’elle ne soit pas considérée comme un critère spécifique de la dépression, l’anxiété figure dans les critères diagnostiques de la dépression, dont elle peut d’ailleurs constituer un signe majeur. Rappelons que l’anxiété est définie comme une peur sans objet, la crainte d’un danger imprécis, un sentiment d’insécurité indéfinissable. En résumé, on peut être anxieux sans être déprimé mais plus rarement l’inverse.
Chez le médecin
La première tâche du médecin est bien entendu d’établir le diagnostic, de rechercher la présence d’un risque suicidaire (à cet âge, les patients sont particulièrement déterminés), et de juger de l’intérêt d’une éventuelle hospitalisation, de préférence dans un service de gérontopsychiatrie. Les formes mélancoliques exigeant une hospitalisation d’urgence, sont caractérisées, selon le cas, par une prostration associée à un mutisme, ou au contraire par de l’agitation et de l’agressivité.
Par mesure de précaution, devant une symptomatologie inaugurale d’allure dépressive chez un patient de plus de 60 à 65 ans, le médecin pourra prescrire un bilan cognitif à titre de dépistage d’une éventuelle démence sous-jacente.
Le médecin sera aussi attentif au risque de dénutrition (en principe facile à apprécier par la mesure du poids, ses variations et la détermination de l’IMC), très fréquente chez les sujets âgés déprimés et très souvent non dépistée ou sous-évaluée. Or, on sait que la dénutrition, en raison de la faiblesse musculaire qui en résulte expose à un risque majoré de chutes et déprime l’activité du système immunitaire ce qui fragilise ces sujets vis-à-vis des infections et diminue, parfois considérablement, l’efficacité des vaccins, contre la grippe ou le pneumocoque par exemple. Dépression et dénutrition sont également étroitement liées à de nombreux niveaux : difficultés cognitives, isolement socio-familial, fatigue, dépendance, troubles de la marche et de l’équilibre, anorexie, perte d’appétit insidieuse et involontaire, refus alimentaires associés à une hostilité ou à une agressivité…
L’association dépression/dénutrition est un facteur de risque de fragilité accélérant la perte d’autonomie.
Cela étant, il faut aussi savoir que la dépression est aussi associée à une augmentation de la consommation de glucides et de lipides et à une diminution de celle des protéines.
Anomalies qui disparaissent ou au moins s’amendent sous traitement antidépresseur efficace. Mais attention, une reprise de poids peut représenter une cause de mauvaise observance !
La prise en charge de ces patients exige un suivi étroit et régulier.
Les traitements
Ils mettent en œuvre les mêmes approches que celles utilisées chez les sujets plus jeunes, autrement dit les médicaments, l’électroconvulsivothérapie (électrochocs) et les prises en charges psychothérapiques, mais avec des spécificités.
Les comorbidités somatiques pèsent d’un grand poids sur le pronostic. Les réponses au traitement sont souvent partielles (la première cause étant une mauvaise observance), il existe un risque de passage à la chronicité de l’ordre de 25 % et à plus long terme, un risque élevé de rechute ou de récidive. Un tiers des patients améliorés sous traitement rechutent dans l’année.
S’agissant des médicaments, attention au risque d’accumulation chez ces patients souvent fragiles du fait d’altérations des systèmes d’inactivation et/ou d’élimination (penser à l’insuffisance rénale). Les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine ou les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline sont recommandés en première intention, en commençant par une demi-dose puis en élevant progressivement, par paliers, la posologie en étant très vigilant vis-à-vis des effets indésirables, première cause d’arrêt (en général rapide) du traitement. Leurs effets indésirables digestifs (nausées, anorexie, diarrhées) doivent être particulièrement surveillés chez les patients dénutris ou à risque de dénutrition. Les tricycliques sont utilisables en deuxième intention (ils ne sont indiqués qu’exceptionnellement après 75 ans), mais posent souvent des problèmes chez ces patients, surtout en raison de leur composante anticholinergique à l’origine de contre-indications (adénome prostatique, glaucome, troubles de la conduction intracardiaque…) ou d’effets indésirables pouvant être graves (confusion, altération des fonctions cognitives chez le patient présentant un trouble démentiel) ou très gênants (sécheresse buccale, constipation pouvant aller jusqu’à l’iléus paralytique, hypotension orthostatique avec risque de chutes, rétention urinaire, arythmie, convulsions). Il existe un risque d’hyponatrémie avec les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline, majoré en cas de co-prescription d’un diurétique.
Attention aux interactions.
La durée optimale du traitement antidépresseur est de 4 mois (6 à 9 mois au maximum) après l’arrêt de la symptomatologie pour un premier épisode et d’au moins un an dans les formes récurrentes. Les antidépresseurs conservent leur efficacité en cas de démence associée, mais sont parfois moins actifs dans les dépressions mineures.
Bien que les symptomatologies dépressives et anxieuses soient souvent associées chez les personnes âgées, cela ne doit pas obligatoirement conduire à la prescription d’une benzodiazépine en première intention. Ces produits peuvent néanmoins être utiles en cas d’anxiété sévère et/ou d’insomnie marquée, en utilisant la dose minimale efficace et en interrompant le traitement anxiolytique dès que ces symptômes se sont suffisamment améliorés grâce à l’antidépresseur.
Attention aux possibles interactions médicamenteuses chez ces patients souvent polymédicamentés.
L’électroconvulsivothérapie est surtout réservée, à cet âge, aux formes sévères à haut risque suicidaire, ainsi qu’en cas de résistance aux antidépresseurs ou de contre-indications.
Enfin, les stratégies psychothérapiques (à proposer en cas d’échecs ou de contre-indication des antidépresseurs) et psychosociales (aides à domicile, club du 3e âge, activités physiques…) peuvent être également utiles.
Signalons pour finir que d’autres approches sont en cours d’évaluation chez le déprimé âgé, comme la stimulation magnétique transcrânienne répétée, consistant dans des stimulations non invasives utilisant des impulsions magnétiques brèves.
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Françoise Amouroux
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