LA FAMILLE antalgique s’est agrandie depuis la naissance de l’aspirine, à la toute fin du XIXe siècle. Aujourd’hui, le paracétamol a 56 ans et l’ibuprofène vient de passer le cap de la quarantaine. En dépit de son jeune âge, il a fait le tour du monde, il est déjà bien éprouvé. Son père est le chercheur anglais Stewart Adams. Ce fils de cheminot quitte l’école à 16 ans, lorsque débute la seconde guerre mondiale. Passionné par les sciences, il suit une formation d’apprenti en pharmacie dans une succursale de la société Boots, aux environs de Cambridge. Très vite, bénéficiant d’une bourse, le jeune homme quitte le domicile familial pour faire pharmacie à Nottingham. Son diplôme en poche, il rejoint Boots pour travailler sur son projet de production de la pénicilline. Nous sommes en 1945. Le jeune homme a un avenir prometteur dans la recherche. Il suit un doctorat en pharmacologie à l’Université de Leeds. Puis Boots le charge de plancher sur un traitement de la polyarthrite rhumatoïde. À l’époque, les corticostéroïdes sont la référence, mais présentent certains effets secondaires qui posent problème. Stewart Adams se met en quête d’une alternative. Sa tâche n’est pas mince. On connaît mal la maladie. En 1956, le pharmacien propose un programme de recherche à son employeur. Plus tard, il va confesser que plusieurs années lui ont été nécessaires pour se mettre dans la bonne voie. En parcourant une revue pour dentistes, Adams relève l’action anti-inflammatoire de l’aspirine. Il veut trouver une drogue disposant d’effets similaires. Le chercheur demande du renfort. Boots lui adjoint un chimiste, John Nicholson, pour mener à bien cette aventure. Il y aura aussi le Dr Colin Burrows. Toute une équipe pluridisciplinaire se met au travail.
Des tests en cuisine.
Un travail qui ne se fera pas dans la plus grande facilité. Pendant la Seconde guerre mondiale, l’Angleterre est menacée par la Luftwaffe, l’armée de l’air allemande. Pour se prémunir des bombardements, la firme Boots est contrainte de déménager ses installations du centre de Nottingham vers la périphérie. Adams et ses acolytes établiront leurs recherches dans une vieille maison de style victorien. Une pièce leur est affectée, disposant d’un bureau, d’un banc et de quelques étagères. Des tests de base sont réalisés dans la cuisine de la maison.
Au cours des années qui suivent cette installation, les chercheurs élaborent quatre composés différents, soumis à des essais cliniques. La première mouture ne donne rien. Les trois autres composés sont actifs, mais présentent des effets secondaires trop importants, comme des éruptions cutanées ou un ictère. Ce fut notamment le cas avec une molécule baptisée ibufénac, comprenant de l’acide acétique. Cette chaîne carbonée est remplacée par l’acide propionique. Adams croise les doigts une nouvelle fois. Le composé est testé. Sa tolérance est jugée bonne, même s’il apparaît une irritation gastrique à forte dose. Le médicament agit, mais il n’a pas l’air assez puissant pour traiter les symptômes de la polyarthrite rhumatoïde. Des médecins parviennent à déterminer des posologies optimales. C’est ainsi que naît l’ibuprofène, en 1961. Reconnu comme antalgique, antipyrétique et anti-inflammatoire, son brevet est déposé en janvier 1962. Il faudra encore sept ans pour que le médicament puisse être commercialisé et prescrit. Les médecins font appel à lui pour traiter la polyarthrite rhumatoïde au long cours. La première spécialité mise sur le marché est Brufen. Tout au long des années 1970, l’ibuprofène est de plus en plus utilisé dans le monde entier. Il apparaît aux États-Unis en 1974. Au cours de la décennie suivante, les autorités réglementaires britanniques et américaines valident son utilisation hors prescription.
Humour et consécration.
Boots exploite son brevet en créant Nurofen, première marque d’ibuprofène en automédication. Le médicament investit les États-Unis à partir de 1984. Cette reconnaissance des autorités sanitaires anglo-saxonnes, réputées exigeantes, est vécue par Stewart Adams comme une consécration. Peut-être autant que la distinction par l’Ordre de l’Empire britannique, équivalent de notre Légion d’honneur, en 1987. Le docteur en pharmacie n’en perd pas sa modestie, ni son humour légendaire. Il affirme par exemple avoir testé sa molécule dans bien des situations, mais jamais celle qui voit une migraine se déclarer à l’approche du coucher… Bon vivant, Adams raconte aussi qu’il a été soulagé par 600 mg d’ibuprofène après une soirée bien arrosée, alors qu’il devait tenir un discours très tôt le lendemain.
Aujourd’hui, le chercheur émet quelques regrets. Il aurait voulu trouver un remède curatif à la polyarthrite rhumatoïde, et non seulement soulager ses symptômes. Sa vie, il l’a passé modestement dans une maison de la banlieue de Nottingham, sans tirer de grands profits de sa découverte. À l’origine, le groupe Boots a procuré la licence de l’ibuprofène à deux sociétés pharmaceutiques. La première était Whitehall Laboratories, qui l’a vendu sous le nom d’Advil. La seconde était Upjohn, qui s’est appuyé sur Bristol-Meyers pour commercialiser Nuprin. Boots détenait le brevet jusqu’en 1985. C’est en 1987 que Nurofen est lancé sur le marché français de la prescription. Il est disponible, à partir de 1996, sans ordonnance, dans le traitement des douleurs légères à modérées. Le succès de la boîte argentée est fulgurant. Ses ventes sont multipliées par cinq en dix ans. En 2005, Nurofen passe leader du segment de l’ibuprofène en vente libre, avec près de dix millions d’unités vendues. C’est l’une des toutes premières marques du marché hexagonal de l’automédication. Elle est implantée dans plus de 90 pays.
Un virage vers la pharmacie.
Pour se maintenir en tête, il n’y a pas d’autres choix que d’élargir la gamme. Nurofen se décline aujourd’hui en huit références. Désormais, la présentation historique est également disponible en boîte de 30 comprimés enrobés. En 1998, la molécule anti-inflammatoire est alliée à la pseudo-éphédrine dans Nurofen Rhume. En 2002 viennent les capsules molles, qui renferment de l’ibuprofène en solution, pour des délais d’absorption plus rapides. L’année suivante, une forme topique voit le jour. Nurofen gel se destine au traitement des douleurs musculaires ou articulaires persistantes. Il devient aussi l’allié de bon nombre de sportifs, qui l’apprécient pour sa pénétration rapide et la sensation de fraîcheur à l’application. Dans la foulée des galéniques orodispersibles surgit Nurofentabs, qui revendique une double action, systémique et locale. On cible plus spécifiquement la douleur dentaire. La dissolution en bouche évite la prise d’eau, inconfortable dans ce cas. Les spécialités dosées à 400 mg d’ibuprofène sont délistées en 2007. La marque se positionne rapidement sur ce nouveau segment de l’anti douleur de l’adulte. La même année, la gamme procède à un relooking. La célèbre boîte argentée est légèrement revue. Typologie et couleurs dominantes sont conservées. Le rouge souligne toujours la marque et dessine la cible, avec du blanc et du jaune. Il y a désormais une ligne transversale unique, au lieu de deux, pour amorcer la dynamique du packaging.
Le libre accès en pharmacie, autorisé depuis juillet 2008, marque un tournant. En 2009, deux nouvelles références font leur apparition, Nurofenflash 200 et 400 mg. La formule associe la lysine à l’ibuprofène, pour une dissolution plus rapide. Le sel de lysine est plus soluble dans l’eau que l’ibuprofène acide, permettant une action du médicament dès la quinzième minute. Ces dernières innovations sont la patte de Reckitt Benckiser, acquéreur de Boots Healthcare International en février 2006. Acteur majeur dans le monde de l’entretien de la maison et de l’hygiène, le groupe britannique cherche à diversifier ses activités vers le secteur de la pharmacie. Il s’adosse également sur les marques Gaviscon, Strepsils et la gamme dermocosmétique Lutsine.
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