Les mots du client
- Mon mari n’a pas fermé l’œil depuis deux semaines.
- Ma femme se réveille en milieu de nuit depuis son licenciement.
- Ma mère est traitée par Noctamide depuis quatre ans : le problème est qu’elle se réveille malgré tout, se lève et chute souvent dans sa chambre.
- Est-il vrai qu’un traitement pour le sommeil ne doit pas durer plus de un mois ?
- J’ai essayé de supprimer mon Noctran pendant les vacances, mais sans succès : je ne dors pas bien si je ne le prends pas…
- J’allaite encore ma petite fille : est-il possible de prendre un comprimé pour dormir, car je souffre d’insomnie depuis que ma mère est malade…
Rappel épidémiologique
Symptôme banal s’il en est, l’insomnie concerne entre 30 et 50 % de la population adulte des pays occidentaux, toutes formes confondues - et 10 à 20 % de cette population en ce qui concerne les formes les plus graves -. Survenant rarement de façon isolée (insomnie chronique primaire), elle s’observe en revanche souvent dans le cadre d’une pathologie psychiatrique (trouble dysthymique à type de dépression) ou somatique (dyspnée nocturne, maladie rhumatismale, syndrome algique, etc.). Dans la pratique, une insomnie isolée est à ce point exceptionnelle qu’il faut remettre en question sa réalité face à chaque patient insomniaque qui nie avoir des problèmes psychologiques, relationnels ou existentiels.
Physiopathologie
Il est difficile d’établir une nosologie de l’insomnie car les causes comme les mécanismes de cette affection sont encore insuffisamment connus. La classification internationale des troubles du sommeil distingue trois formes d’insomnie intrinsèques (dont la cause a pour origine l’organisme) et douze formes d’insomnie extrinsèque (dont la cause est extérieure à l’organisme), sans évoquer les insomnies d’origine neurologique, psychiatrique ou somatique. Face à cette complexité, la classification du DSM-IV est plus adaptée : l’insomnie, dyssomnie parmi d’autres, peut être primaire (essentielle) - et alors caractérisée par une difficulté à l’endormissement, au maintien du sommeil ou à obtenir un sommeil de qualité et ceci pendant au moins un mois -, avoir pour origine des perturbations physiologiques - notamment respiratoires -, un trouble mental ou la prise de substances perturbant l’architecture du sommeil.
Chez le médecin
La définition de l’insomnie reste avant tout subjective : elle caractérise un sommeil perçu par le patient comme difficile à obtenir, insuffisant, insatisfaisant ou non récupérateur.
Les anomalies objectives de l’architecture du sommeil peuvent être mises en évidence par des examens en service de neurologie ou centre spécialisé en hypnologie (centres « veille-sommeil ») implantés dans plusieurs établissements de soins et accessibles pour l’exploration comme le traitement des troubles graves et invalidants du sommeil. Ces examens montrent, chez le sujet insomniaque, que la durée objective du sommeil peut être normale ou très peu abrégée, que l’endormissement peut être rapide, contrairement aux affirmations du patient. En revanche, il est possible de repérer de façon récurrente une fragmentation excessive de la phase de sommeil.
Les médicaments de l’insomnie
La prescription de médicaments hypnotiques ne constitue pas une réponse adaptée face à toute situation. Le recours à d’autres médicaments peut s’avérer plus pertinent, ainsi que la mise en œuvre de stratégies thérapeutiques diversifiées (psychothérapie, sophrologie, etc.). Il n’y a pas plus lieu d’utiliser aujourd’hui des produits dont l’index thérapeutique est aussi faible que les barbituriques ou l’hydrate de choral.
Benzodiazépines.
Les benzodiazépines (BZD) utilisées en thérapeutique admettent une gamme d'activités pharmacologiques identique au plan qualitatif, les différences entre elles n'étant en pratique que quantitatives - mais suffisantes pour justifier pleinement la variabilité de leurs indications. Elles exercent toutes une action anxiolytique, sédative, hypnotique, myorelaxante, anticomitiale et amnésiante.
Les benzodiazépines se fixent sur le complexe accepteur de l’acide gamma amino-butyrique (GABA) et potentialisent ainsi de façon plus ou moins spécifique la transmission GABAergique au niveau central, médullaire et périphérique d'une façon proportionnelle à la teneur intraneuronale en GABA. Il s'agit d'une modulation allostérique, par laquelle le ligand induit une modification dans la conformation du récepteur, le rendant plus sensible à l'action du médiateur (ici le GABA). Les benzodiazépines augmentent la probabilité d'ouverture du canal chlorique - sans déclencher pour autant cette ouverture -. Elles n'agissent pas directement mais le sensibilisent à l’activité du GABA : ceci explique que l'inhibition GABAergique ne puisse excéder l'inhibition physiologique, d'où la bonne tolérance à court terme de ces médicaments et la rareté des incidents graves faisant suite à leur ingestion massive (pour lesquels un antidote est d’ailleurs disponible : le flumazénil ou Anexate).
Analogues des benzodiazépines.
Les cyclopyrrolones sont représentées par la zopiclone et les imidazopyridines par le zolpidem. Ces molécules respectent mieux l’architecture physiologique du sommeil et sont également relativement mieux tolérées : moins d’effets rebond, réveil plus agréable, etc. Pour autant, il convient de toujours demeurer prudent, leur prescription n’est en rien anodine.
Zopiclone et zolpidem ont une action plus spécifique sur certains types de récepteurs aux benzodiazépines (récepteurs de type I), ce qui expliquerait la moindre incidence de leurs effets indésirables et leur meilleure maniabilité.
Mélatonine de synthèse.
Hormone proche de la sérotonine sécrétée par l’épiphyse (glande pinéale) qui traite l’information photopériodique et joue un rôle capital dans la photosynchronisation, la mélatonine est impliquée dans la régulation du rythme circadien. Augmentant dès la tombée de la nuit, la sécrétion de mélatonine connaît un pic entre 2 heures et 4 heures du matin puis diminue jusqu’au lever du jour : elle est corrélée à une action hypnotique induite par sa liaison aux récepteurs mélatoninergiques centraux MT1, MT2 (plus secondairement MT3). Le tonus mélatoninergique diminue avec l’âge, ce qui explique que les sujets âgés dorment moins que plus jeunes : l’administration de mélatonine exogène tend alors à régulariser le sommeil chez les patients souffrant d’insomnie primaire.
Récemment commercialisée, la mélatonine de synthèse (Circadin) est destinée à être utilisée en monothérapie, comme tout hypnotique, chez les patients âgés de plus de 55 ans. Ce médicament fait l’objet d’un plan de gestion de risque européen. La mélatonine de synthèse constitue une manière de suppléance chez les patients dont l’insomnie a pour origine une dysfonction mélanotoninergique.
Divers.
D’autres molécules sont indiquées dans le traitement des troubles du sommeil et notamment des antihistaminiques H1 : niaprazine (Nopron), indiquée dans le traitement des insomnies occasionnelles de l’enfant, doxylamine (Donormyl), prométhazine (Phénergan) ou alimémazine (Théralène). Certains hypnotiques associent une phénothiazine (acéprométazine) au méprobamate (Mépronizine), voire deux phénothiazines (acéprométazine et acépromazine) à une benzodiazépine, le clorazépate (Noctran).
Stratégie de prise en charge d’une insomnie
Le médicament représente le traitement symptomatique le plus banalement utilisé contre les diverses formes d’insomnie. La durée de l’action hypnotique est proportionnelle à la dose : la demi-vie de la molécule, même si elle participe à l’action thérapeutique, ne peut être prise en compte seule. La variabilité interindividuelle explique qu’il faille adapter de façon rigoureuse la posologie à chaque situation. Tout hypnotique doit s’administrer juste avant le coucher pour prévenir tout risque de chute avec éventuelle fracture du col du fémur (accident non exceptionnel chez la personne âgée notamment).
Hygiène de vie.
Le traitement de l’insomnie doit intégrer des mesures d’hygiène de vie simples mais essentielles :
- Proscrire tout excitant ou tout stimulant (veiller notamment à ne pas consommer de thé ou de café après 16 heures) ;
- Limiter l’usage de boissons alcoolisées et, particulièrement, proscrire toute consommation d’alcool en soirée ;
- Faire un repas très léger le soir ;
- Mener une vie régulière, prendre les repas à des heures stables, respecter un moment de détente en soirée ;
- Reprendre une activité physique et sportive de préférence le matin ou en début d’après-midi, mais pas le soir avant l’heure du coucher ;
- Respecter l’heure d’endormissement physiologique repérable par la sensation de fatigue, les bâillements, une attention en baisse : elle correspond à une mise au repos des systèmes d’éveil à une baisse des sécrétions hormonales et de la température centrale ;
- Éviter de visionner des films violents ou stressants avant le coucher, ne pas prendre l’habitude de regarder la télévision au lit ;
- Respecter un rituel d’endormissement : lecture, musique douce, câlins ;
- Dormir dans une pièce fraîche ;
- Dormir à l’abri du bruit.
Ce traitement doit aussi intégrer une prise en compte étiologique des troubles : agir sur le bruit, la température, les conditions de travail (travail posté imposant au sujet des rythmes en contradiction avec ses rythmes biologiques), le stress psychique.
Adaptation au type étiologique de l’insomnie.
Un traitement spécifique de l’affection primaire est nécessaire le plus souvent dans les insomnies psychiatriques (dépression, psychose, etc.). Dans ce cas, des antipsychotiques ou des antidépresseurs, surtout s’ils ont une composante sédative importante peuvent agir à la fois sur l’affection psychiatrique et sur l’insomnie, mais ce n’est pas toujours le cas (pour autant, des antidépresseurs stimulants peuvent en revanche favoriser les insomnies). Il en va de même pour l’anxiété : des benzodiazépines administrées à très faible dose, dans une perspective simplement anxiolytique, peuvent suffire à réguler le sommeil.
Une chimiothérapie hypnotique est privilégiée dans les insomnies transitoires ou dans les insomnies d’origine somatique, dès lors qu’un traitement étiologique est impossible ou insuffisant. Les diverses formes d’insomnies intrinsèques relèvent de l’hygiène de vie, mais un traitement médicamenteux peut s’avérer nécessaire. Il faut alors prévenir le risque de survenue d’une dépendance, en prescrivant un traitement discontinu. Les insomnies sévères ou organiques peuvent, elles, imposer un traitement quotidien.
Les hypnotiques ayant une demi-vie courte (zopiclone, zolpidem) sont recommandés dans le traitement des insomnies d’endormissement mais il faut proscrire leur utilisation à posologie plus élevée dans les insomnies de maintien, qui nécessitent le recours à une molécule de demi-vie moyenne ou prolongée (molécule-mère ou métabolites actifs : flunitrazépam, témazépam, lormétazépam, nitrazépam, etc.).
En cas d’insuffisance respiratoire.
Les benzodiazépines doivent être administrées avec prudence ou, souvent, totalement évitées chez les patients atteints d’une insuffisance respiratoire sévère en raison du risque d’apnées. On privilégie le recours à des antihistaminiques, au zolpidem, à la zopiclone ou à la mélatonine mieux tolérées. Pour autant, un syndrome d’apnées du sommeil installé constitue une contre-indication absolue à l’utilisation des hypnotiques benzodiazépiniques comme des molécules apparentées.
En cas d’insuffisance hépatique.
La demi-vie de la zopiclone est augmentée (allant jusqu'à 9 heures) ; le temps requis pour obtenir le pic plasmatique est aussi allongé. En conséquence, une posologie limitée à 3,75 mg/j est dès lors préconisée. Il en va de même pour le zolpidem, pour lequel la demi-vie peut atteindre près de 10 heures : il est donc souvent suffisant de limiter l'administration à 5 mg/j en ce cas. Une insuffisance hépatique sévère constitue une contre-indication absolue à l’administration de ces deux molécules comme à celle des benzodiazépines.
En cas d’insuffisance rénale.
Adapter la posologie de la zopiclone, sans excéder un comprimé par jour.
Sujet âgé.
La posologie d’un traitement hypnotique doit être systématiquement réduite (généralement d’un facteur 2) chez la personne âgée, pour prévenir tout risque de confusion mentale, d’effets sédatifs résiduels (risque de chute avec fracture du col) ou d’hypotension artérielle. D’une façon plus spécifique, la biodisponibilité de la zopiclone est augmentée, passant d'environ 80 % chez le sujet jeune à plus de 90 % chez celui de plus de 75 ans. Son catabolisme est, en revanche, fortement réduit, et l'élimination sous forme inchangée domine. La demi-vie augmente aussi sensiblement, passant de 3 à 6 ou 8 heures voire plus. Mais le produit ne semble pas pour autant s'accumuler après administration réitérée.
Le volume de distribution du zolpidem est réduit, avec, en corollaire, augmentation des taux sériques maximaux et de la demi-vie.
Enfant.
Le recours à des hypnotiques doit être absolument proscrit chez l’enfant, en dehors des troubles du sommeil s’intégrant dans un tableau psychopathologique avéré et en dehors du cas particulier que représentent les parasomnies. L’automédication, fréquente dans ce domaine (benzodiazépines, niaprazine), n’améliore guère la symptomatologie, en étant pour autant responsable d’une somnolence diurne et d’une fatigue chronique. La prise en charge des insomnies du nourrisson et de l’enfant impose le strict respect de règles élémentaires d’hygiène (environnement serein, respect de la typologie veille-sommeil, prise en charge psychologique de l’enfant mais souvent aussi de la famille). Dans le cas où la prescription est jugée incontournable, elle doit reposer sur des molécules dont l’AMM autorise l’administration à l’enfant de moins de 15 ans.
Grossesse et allaitement.
Le risque tératogène imputable aux benzodiazépines n'a jamais été prouvé, bien que quelques auteurs aient jadis prétendu démontrer l'incidence d'une consommation massive de benzodiazépines lors du premier trimestre de la grossesse sur la survenue de dysmorphies faciales chez le nourrisson.
Le passage transplacentaire des benzodiazépines explique que certains nourrissons présentent dès leur naissance une détresse respiratoire aiguë liée à l'imprégnation par ces produits. Elle peut nécessiter des soins en urgence et, pour le moins, une surveillance étroite. Plus généralement, l'administration de fortes doses de benzodiazépines dans les derniers moments de la grossesse peut s'associer à des troubles de la conscience du nouveau-né, des difficultés respiratoires, une hypothermie, une hypotonie et une difficulté à la succion caractérisant le syndrome de l'enfant "mou" (floppy infant syndrome des Anglo-Saxons). Il est néanmoins possible d'administrer certaines benzodiazépines lors du travail.
À côté de cette problématique propre aux benzodiazépines - qui concerne bien sûr aussi les molécules apparentées -, il faut souligner l’incidence possible sur la grossesse des médicaments ayant une composante anticholinergique, même si les incidents demeurent rares. La grossesse constitue donc une contre-indication relative (1er trimestre notamment) à l’utilisation des antihistaminiques dans le traitement des troubles du sommeil.
L’administration de molécules hypnotiques, toutes éliminées partiellement dans le lait, peut entraîner une sédation importante du nourrisson, mettant en jeu la qualité des relations précoces dans la diade mère-enfant, ou, au contraire une excitation paradoxale. Plus encore, elle détermine un risque important d’apnées du sommeil, y compris avec les molécules antihistaminiques.
Tolérance du traitement hypnotique
S’il possède des avantages, le traitement hypnotique a également de nombreux inconvénients à moyen et long terme. Les benzodiazépines hypnotiques exposent proportionnellement à plus d’effets iatrogènes que les benzodiazépines anxiolytiques : il est en effet difficile de revendiquer à la fois une action rapide et intense par effet de pic, d’où l’intérêt thérapeutique, et d’espérer l’absence de toute action non hypnotique (type amnésie, confusion mentale, troubles du comportement, etc.) lors du pic sérique. Ces effets ne sont toutefois observables que si le patient est réveillé à un moment coïncidant ou presque avec le pic plasmatique.
Les effets indésirables de benzodiazépines hypnotiques et de leurs apparentés sont qualitativement analogues à ceux décrits pour les benzodiazépines anxiolytiques - les apparentés sont cependant mieux tolérées au niveau ventilatoire -. Quelques effets sont spécifiques d’une molécule précise : amertume et sécheresse buccale avec la zopiclone. Même si le traitement est globalement bien toléré à très court terme, il faut cependant souligner certains symptômes d’une iatrogénie spécifique :
Comportements paradoxaux.
Des comportements paradoxaux ont été observés avec tous les hypnotiques. Ils associent, une demi-heure environ après la prise du produit, des hallucinations et des troubles visuels précédant une phase de sommeil profond avec amnésie au réveil. Cet effet pourrait être corrélé à la rapidité de l'élévation des taux sériques de l’hypnotique (comme le sont les effets amnésiants).
Insomnie de rebond.
Rapportée dans 3 à 7 % des cas, elle s’observe avec les médicaments hypnotiques plus qu’avec les anxiolytiques. Elle est conditionnée par la puissance du produit, une posologie élevée, un terrain favorable. Un choix trop fréquent d’un hypnotique à demi-vie prolongée (supérieure à une journée : flunitrazépam) et une hypersensibilisation des récepteurs expliqueraient qu'elle s'observe plus volontiers chez le sujet âgé ou chez l'enfant jeune.
Risque de dépendance.
La dépendance aux hypnotiques fut décrite dès le XIXe siècle avec les barbituriques et le chloral. Si le risque en a été réduit avec la quasi-disparition de la prescription de ce type de produits, le risque de dépendance aux benzodiazépines hypnotiques est, lui, d’une parfaite actualité. Fréquemment observée dès que la prescription est prolongée, la dépendance se traduit par l’impossibilité à retrouver une architecture du sommeil normale lors de l’arrêt du traitement et un besoin compulsif de recourir au médicament pour espérer dormir suffisamment. Des cas de dépendance sont décrits avec le zolpidem comme avec la zopiclone. Les antihistaminiques quant à eux ne donnent pas lieu à phénomène de dépendance ; bien que le recul soit encore réduit, la mélatonine semble également minimiser ce type de risque.
Interaction avec l’alcool.
L’usage d’alcool majore les effets sédatifs et amnésiants de tous les hypnotiques, y compris des antihistaminiques. Il faut donc proscrire tout usage de boissons alcoolisées dans ce contexte : cette association expose à des risques particulièrement préoccupants au volant ou en travail posté. Cependant, les réactions sont variables selon les individus et les molécules.
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