La vaccination en ville contre la grippe A commence demain

Le vaccin passera-t-il par l’officine ?

Publié le 11/01/2010
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Si le virus de la grippe A(H1N1) s’est montré, jusqu’à présent, peu virulent, la charge portée contre la ministre de la Santé est, elle, en revanche, très sévère. Roselyne Bachelot est au centre d’une vive polémique concernant sa gestion de la pandémie grippale en général, et de son plan de vaccination, en particulier. Beaucoup de questions se posent après son changement de stratégie, autorisant la vaccination dans les cabinets de ville, et notamment celle de la distribution du vaccin.
Les modalités pratiques du dispositif devraient être précisées jeudi prochain

Les modalités pratiques du dispositif devraient être précisées jeudi prochain
Crédit photo : S TOUBON

MAUVAIS plan pour Roselyne Bachelot. Tandis que l’épidémie semble ralentir, son dispositif antigrippe fait l’objet de vives critiques. L’annonce la semaine dernière de l’annulation d’une partie des commandes de vaccins a mis le feu aux poudres. L’affaire à très vite pris une tournure politique. Tant et si bien que le parti socialiste a demandé l’ouverture d’une commission d’enquête parlementaire et la commission des affaires sociales du Sénat a fait savoir qu’elle souhaitait entendre rapidement la ministre de la Santé ainsi que les représentants des laboratoires pharmaceutiques concernés. Mais que reproche-t-on à la ministre ? En gros, d’avoir commandé trop de doses de vaccins contre un virus finalement pas si méchant que cela.

• A-t-on commandé trop de doses ?

« Que n’aurait-on pas dit si, avec une épidémie semblable à celle du SRAS, ou de la grippe espagnole, ou de la grippe japonaise, on n’avait disposé que de la moitié des doses vaccinales pour l’ensemble de la population ? » lance le président de l’Assemblée nationale, Bernard Accoyer dans le « Quotidien du Médecin ». « Imaginez que le taux de létalité ait été plus élevé que celui que nous observons en définitive, quelles réactions aurions-nous alors enregistré, politiques et médicales », poursuit-il. Il faut, en effet, reconnaître que lorsque les commandes ont été passées, le gouvernement était loin de posséder toutes les données actuelles en main. D’abord, ce nouveau virus présentait un profil de meurtrier potentiel. Et, en avril, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) estimait que l’évolution de l’épidémie représentait « une urgence en terme de santé publique et une préoccupation internationale ». Les spécialistes observaient avec circonspection l’évolution de ce nouveau virus, fruit d’une recombinaison totalement inédite entre des souches aviaire, porcine et humaine. Des experts prédisaient même, à cette époque, que la grippe pourrait toucher près de 35 % de la population française et tuer 30 000 de nos concitoyens. Soit environ cinq fois plus que la grippe saisonnière. N’oublions pas non plus qu’initialement, la protection contre ce nouveau virus prévoyait l’injection de deux doses. Ce n’est que fin novembre qu’il a été décidé de ramener le schéma vaccinal à une seule injection.

C’est donc dans ce contexte que le gouvernement a passé commande des 94 millions de doses auprès de quatre laboratoires. Et il paraît logique aujourd’hui qu’il désire résilier les commandes de 50 millions de doses. « Cette résiliation concerne la société GSK à hauteur de 32 millions de doses, la société sanofi-Pasteur à hauteur de 11 millions de doses et la société Novartis à hauteur de 7 millions de doses », indique le ministère, qui précise que ces doses n’étant pas encore livrées, elles n’étaient donc pas payées.

Le gouvernement français n’est pas le seul dans ce cas. D’autres pays souhaitent également revoir leurs commandes à la baisse, tels la Suède, l’Allemagne, la Belgique ou encore le Japon.

Malgré cela, de nombreuses doses risquent de rester sur les bras du gouvernement car les Français ont été peu nombreux à se rendre dans les centres de vaccination : seulement 5 millions de personnes se sont fait vacciner, alors que le gouvernement tablait sur 30 millions.

• Le fiasco de la vaccination aurait-il pu être évité en intégrant d’emblée les médecins de ville ?

C’est le sentiment de nombreux représentants du corps médical, et notamment du président du Conseil national de l’Ordre des médecins, Michel Legmann. Pour lui, « les patients font naturellement confiance à leur praticien et ils n’ont pas compris de les voir mis hors jeu ». Le président du Modem, François Bayrou, affirme pour sa part que le gouvernement a commis « une faute stratégique très lourde », en ne faisant pas appel aux généralistes.

Mais ce n’est peut-être pas la seule raison. En effet, la polémique sur l’innocuité des adjuvants utilisés dans ces vaccins pandémiques a également fait beaucoup de tort au plan de vaccination gouvernemental. Autre explication possible de la désaffection pour les centres de vaccination : le bilan des décès relativement peu élevé observé jusqu’à aujourd’hui.

Quoi qu’il en soit, Roselyne Bachelot a décidé de corriger le tir en autorisant les médecins libéraux à pratiquer la vaccination contre le virus A(H1N1) dans leurs cabinets à partir de demain. Pourquoi ce revirement ? « Parce que la donne logistique a changé », répond la ministre de la Santé. En effet, le principal obstacle à la pratique de la vaccination par les généralistes est levé : 2 millions de vaccins unidoses sont d’ores et déjà disponibles. « La gestion d’une grippe est une gestion évolutive, parce que les conditions changent », argumente Roselyne Bachelot. Elle propose que les médecins soient rémunérés selon deux modes : au tarif de la consultation, si la vaccination est réalisée dans ce cadre, ou sur la base d’un tarif forfaitaire de 6,66 euros (remboursé par la Sécurité sociale), si l’injection a lieu au cours d’une séance spécifique.

• Les vaccins seront-ils dispensés en officine ?

Peut-être pas dans un premier temps. En effet, les médecins devront pour le moment se procurer les vaccins dans les centres de vaccination, « puisque la plus grande partie des vaccins sont toujours sous forme de flacons de 10 doses », indique la ministre. Mais, par la suite, ajoute-t-elle, « un certain nombre de pharmacies » pourront aussi approvisionner les praticiens. Les médecins, eux, estiment qu’ils n’ont pas vocation à « se promener dans des voitures » pour aller chercher les vaccins dans les centres et soutiennent l’idée que l’acheminement des doses doit impérativement passer par les officines.

Les pharmaciens ne comprendraient d’ailleurs pas que cela se passe autrement. « Puisque les présentations monodoses sont disponibles, on doit retrouver le circuit classique patient-pharmacie-médecin », déclare ainsi Gilles Bonnefond, président délégué de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO), qui se dit également disposé à éditer les bons de vaccinations. « Nous sommes prêts à entrer dans le dispositif comme on le fait déjà pour la grippe saisonnière », renchérit Philippe Gaertner, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF). Celui-ci rappelle que son organisation et le syndicat de médecins CSMF avaient déjà demandé l’implication des professionnels de santé libéraux et de proximité dans l’organisation de la vaccination contre la grippe A(H1N1), gage, selon eux, de réussite de l’opération (« le Quotidien » du 16 novembre).

Les syndicats de pharmaciens en discuteront cette semaine avec Roselyne Bachelot. Un rendez-vous a en effet été fixé jeudi 14 janvier au ministère de la Santé. En tout cas, pas question pour la FSPF de délivrer les vaccins sans contrepartie financière. On peut envisager « soit une rémunération à la marge, soit de l’acte de dispensation », précise Philippe Gaertner. Mais l’indemnisation devra être supérieure à un euro, prévient le président de la FSPF, qui attend toujours une réponse à son courrier dans lequel il demandait à la ministre de revoir à la hausse le montant fixé pour la dispensation des antiviraux et des masques.

› CHRISTOPHE MICAS

Source : Le Quotidien du Pharmacien: 2715