Trapu, aplati, avec sa peau verruqueuse noire marbrée de rose et ses quelque 40 à 60 cm, le monstre de Gila (Heloderma suspectum) doit son nom à la rivière Gila. Ce lézard du sud-ouest des États-Unis est de plus capable d’injecter un venin neurotoxique grâce à des dents dotées de canalicules : il a tout pour effrayer ! En fait, la morsure de ce reptile placide n’est pas mortelle pour l’homme. Se déplaçant difficilement, il passe son temps caché sous des rochers et ne se nourrit guère que trois à quatre fois par an (de petits rongeurs, d’oisillons, d’œufs d’oiseaux ou d’autres lézards) : il accumule de la graisse dans sa queue grassouillette et survit ainsi au plus fort des chaleurs. C’est précisément sa capacité à jeûner qui fut à l’origine d’une découverte pharmacologique étonnante.
À la fin des années 1980, un endocrinologue new-yorkais, John Eng, engagé dans l’équipe de Rosalyn Yalow (1921-2011, Prix Nobel 1978) participa au développement d’une méthode permettant de détecter et doser les peptides hormonaux : la radio-immunologie. L’appliquant aux peptides de reptiles connus pour s’accommoder de périodes de jeûne prolongé, il isola en 1992, à partir de la salive du « monstre », un peptide singulier : l’exendine-4, également présent dans son sang (d’où son nom : ex-, pour externe, et end- pour endogène). On montra en 1993 qu’il exerçait une action agoniste sur le récepteur du Glucagon-like peptide-1 (GLP-1), une hormone intestinale hypoglycémiante chez l’homme dont il partageait pour moitié la structure (sans avoir de parenté génomique) : il facilitait la libération d’insuline en réponse à l’hyperglycémie mais, si le GLP était dégradé en quelques minutes - ce qui empêchait son usage thérapeutique -, l’exendine-4 avait une action prolongée plus de 24 heures. Ayant consacré deux ans de sa vie et 8 000 dollars à ce peptide, le « cinquième enfant de sa famille », Eng le breveta en 1995.
Course contre la montre
Ses travaux, résumés dans un simple poster, furent présentés lors du congrès annuel de l’American Diabetes Association à San Francisco de septembre 1996, Eng fut contacté par Andrew Young, physiologiste au laboratoire californien Amylin : spécialisé dans le développement d’antidiabétiques innovants, ce dernier avait compris tout l’intérêt de la découverte. Mais il avait noté qu’un collègue du laboratoire concurrent Eli Lilly avait pris note des travaux sur l’exendine-4. L’équipe d’Amylin décida donc immédiatement de soutenir la recherche sur ce produit. En 4 semaines, les pharmacologues de ce laboratoire découvrirent que l’action hypoglycémiante de l’exendine-4 résultait de plusieurs mécanismes : elle favorisait la production d’insuline, inhibait la libération du glucagon, ralentissait la vidange gastrique et réduisait la prise de nourriture. Le peptide, synthétisé pour s’affranchir de la salive du lézard, prit le nom d’exénatide. Dès octobre 1996, Eng revendit sa licence au laboratoire qui, quelques années plus tard, poursuivit le développement de l’exénatide (le futur Byetta) avec Eli-Lilly - lequel en offrit 325 millions de dollars en 2002 -.
Été 2007 : une équipe de télévision qui réalisait un reportage sur sa découverte emmena John Eng dans le désert de l’Arizona : c’est là que le New-Yorkais rencontra pour la première fois le monstre de Gila, vedette de cette épopée !
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