« Nous disposons maintenant d’un outil très simple pour mesurer la neurodégénérescence. Il est extrêmement utile et important pour les essais cliniques en cours. De plus, lorsqu’une thérapie sera disponible, cette mesure pourrait indiquer si une personne répond bien au traitement présymptomatique », explique au « Quotidien » le Pr Mathias Jucker, chercheur au Centre pour les maladies neurodégénératives de Tubingen (Allemagne), qui a dirigé l’étude publiée dans
« Nature Medicine ».
« Nous avons pu voir des différences même 16 ans avant l’apparition des symptômes, ce qui est vraiment très tôt dans le processus de la maladie. Il pourrait offrir un bon marqueur pré-symptomatique pour identifier ceux qui développeront des symptômes », précise Stephanie Schultz, chercheuse à l’université médicale de Washington à St Louis (États-Unis).
« Nous avons validé ce marqueur dans la maladie d’Alzheimer, mais il n’est pas spécifique et peut être élevé et utile dans diverses maladies neurologiques (sclérose en plaques, traumatisme cerebral, AVC…). Il pourrait être facilement incorporé dans un test de dépistage neurologique », ajoute le Pr Brian Gordon de l’université de Washington.
Dans la maladie d’Alzheimer (MA), comme dans la plupart des maladies neurodégénératives, des anomalies cérébrales émergent plusieurs années avant l’apparition des symptômes. L’accumulation de b-amyloïde débute ainsi 15 à 20 ans avant l’apparition des symptômes de la MA, et elle est suivie par une baisse du métabolisme cortical (10-15 ans avant) et par une atrophie cérébrale qui débute 5 à 10 ans avant l’apparition des symptômes. Il est donc important de disposer de marqueurs pré-symptomatiques de la maladie afin de la traiter le plus tôt possible.
L’équipe du Pr Jucker s’est intéressée au neurofilament à chaine légère (NfL), une protéine de l’axone libérée par la mort neuronale et s’échappant dans le liquide céphalo-rachidien (LCR) puis dans le sang; son dosage sanguin est devenu possible grâce à un simple test sensible, mis au point il y a 2 ans.
405 membres familiaux
Les chercheurs ont étudié les données et les échantillons du Réseau MAAD, une cohorte de familles atteintes d’une maladie d’Alzheimer à transmission autosomique dominante. L’étude porte sur 405 membres familiaux, dont 162 non-porteurs de mutation (témoins) et 243 porteurs de mutations génétiques rares (gènes APP ou PSEN1/2) et assurés de développer la MA avant l’âge de 60 ans, voire avant 40 ans (à un âge précis, déterminé par la mutation et l’histoire familiale). Ils ont dosé le neurofilament dans le sang (n= 405) et le LCR (n= 187) des participants. Leur analyse transversale montre que les taux du LCR sont corrélés à ceux dosés dans le sang ; des taux sanguins plus élevés peuvent distinguer les porteurs de mutation des non-porteurs 5 à 10 ans avant l’estimation de l’âge d’apparition des symptômes.
Leur analyse longitudinale, évaluant le changement annuel ou bisannuel du taux sanguin du NfL chez chaque personne (n=196), révèle que la dynamique du neurofilament est encore plus sensible pour distinguer les porteurs des non-porteurs, ainsi que pour prédire le déclin cognitif.
En effet, tandis que les taux de NfL restent constants chez les non-porteurs, ces taux s’élèvent chez les porteurs présymptomatiques des 16 ans avant l’apparition des symptômes. La vitesse de changement du taux sérique de NfL culmine lorsque les sujets passent du stade présymptomatique au stade symptomatique. Elle est associée à l’amincissement cortical (IRM) plutôt qu’au dépôt d’amyloïde, ce qui suggère qu’elle reflète la neurodégénérescence en cours. Tandis que l’accumulation de b-amyloide déclenche la maladie, la neurodégénérescence survient indépendamment. À la phase symptomatique, les taux de NfL continuent de s’élever mais la vitesse de changement reste stable. Une analyse chez 39 sujets porteurs de mutation revus 2 ans après montre que ce marqueur peut prédire le déclin cognitif. Les personnes montrant une rapide hausse du taux sérique de NfL sont les plus susceptibles de présenter des signes d’atrophie cérébrale et un déclin cognitif lors de leur évaluation 2 ans après.
« Plutôt que le taux absolu de neurofilaments, c’est son évolution temporelle qui est significative et permet de prédire l’évolution future de la maladie. Nous avons pu prédire la perte de masse cérébrale et les changements cognitifs qui sont effectivement survenus deux ans plus tard », souligne le Pr Jucker. Son prochain objectif, mieux définir la vitesse de changement qui signale la neuro-dégénérescence et l’intervalle de temps optimal entre 2 dosages du NfL.
Il reste à savoir si ces résultats observés dans la forme familiale héréditaire seront confirmés dans la MA sporadique tardive. En attendant, ce marqueur sanguin de neurodégénérescence est déjà utilisé dans les essais cliniques de traitement précoce de la maladie d’Alzheimer, depuis la présentation de ces résultats à une conférence internationale il y a 6 mois.
O. Preische et al., Nature Medicine, 10.1038/s41591-018-0304-3, 2019.
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