AU DÉPART, le dépistage mammographique du cancer du sein partait d’une bonne intention, celle de guérir et de réduire la mortalité, on était dans une idéologie du dépistage. « À ce jour, le véritable effet du dépistage n’est toujours pas connu avec certitude, et il serait temps de disposer de données factuelles et d’en débattre en posant les bonnes questions », affirme le Pr Peter Gotzsche, chercheur et directeur du centre nordique de Cochrane, dont l’ouvrage « Mammography screening » apporte des éléments scientifiques critiques sur l’intérêt du dépistage. L’auteur rapporte, entre autres, de nombreuses erreurs de raisonnement liées à la qualité des mammographies pratiquées : paradoxalement, les essais qui ont enregistré les plus grandes réductions de mortalité par cancer du sein ont utilisé des mammographes peu performants, avec de longs intervalles entre chaque dépistage, et ils ont réalisé un seul cliché.
Ces observations laissent penser que les résultats sont biaisés. L’auteur rapporte également l’expérience danoise comparant la réduction du taux de mortalité par cancer du sein chez deux groupes de femmes, l’un dans deux régions du Danemark, avec dépistage pendant 17 ans, et l’autre, sans dépistage, dans le reste du pays ; il apparaît que les résultats sont comparables dans les deux groupes. « Par conséquent, il n’y a pas de lien entre l’introduction de la date du dépistage et la réduction de la mortalité, les réductions constatées sont dues à de meilleurs traitements et une plus grande sensibilisation des femmes à ce problème », analyse l’auteur. D’autres études, réalisées par Philippe Autier et ses collègues de l’International Institute à Lyon, montrent que le dépistage ne réduit pas le nombre de cancers avancés aux stades III ou IV de la maladie ; il ne peut donc pas avoir d’effet sur la mortalité par cancer du sein. En moyenne, le cancer se développe pendant 21 ans avant qu’il puisse être détecté et les tumeurs dépistées sont généralement inoffensives. La mammographie n’est donc pas le meilleur moyen de faire le screening des différentes tumeurs et de suivre leur évolution.
Des messages trompeurs et dangereux.
L’information que reçoivent actuellement les femmes est décalée par rapport aux données scientifiques, le discours devient dérangeant et ce double langage les laisse perplexes. Le Pr Peter Gotzsche dévoile les enjeux scientifiques, les luttes d’influence et les conflits d’intérêt liés aux activités du dépistage et aux sociétés commerciales. « Les femmes en majorité bien portantes sont matraquées avec des brochures qui tentent de les influencer par des phrases suggestives qui les poussent à se faire dépister, du style : « il vaut mieux trouver une petite tumeur qu’une grosse » ou « dépister sauve des vies ». La campagne est anachronique et les messages sont faux, trompeurs et douteux, ils proviennent d’associations de lutte contre le cancer, de centres de dépistage et d’organismes nationaux de la santé, dénonce Peter Gotzsche. Le surdiagnostic est l’effet le plus nocif du dépistage, car un certain nombre de cancers n’auraient pas été symptomatiques avant la fin de vie de la patiente, et le dépistage provoquera toujours un surdiagnostic (environ 50 %) nuisant à de nombreuses femmes bien portantes, et un surcroît de mastectomies (20 % en plus). Selon la méta-analyse Cochrane, sur deux mille femmes examinées régulièrement pendant dix ans, une seule bénéficiera des effets du dépistage sur la mortalité ; dans le même temps, dix femmes en bonne santé seront traitées inutilement (chirurgie, radiothérapie, chimiothérapie), et environ deux cents seront victimes d’une fausse alerte tout aussi dommageable. Tout retard au diagnostic n’est pas une perte de chance pour les femmes, les pratiques cliniques sont totalement erronées et des mammographies et des irradiations faites avant 50 ans peuvent induire un risque carcinogène », insiste le chercheur.
Au vu de ces rapports, il ne semble donc plus aussi raisonnable de participer au dépistage du cancer du sein, mais, selon d’autres études, il peut être tout aussi raisonnable de s’y soumettre, et certaines femmes souhaitent continuer à y participer. Ce qui relance le débat avec les défenseurs du dépistage, qui estiment que les bénéfices l’emportent sur les risques. En revanche, les partisans du non-dépistage demandent aux pouvoirs publics et aux autorités de santé d’intervenir pour remettre le dossier à plat. La difficulté est d’amorcer le virage de la réorganisation de ce programme de dépistage en place depuis des années, de le réorienter sans introduire de culpabilité, et de mener un débat scientifique en gérant l’incertitude et en donnant aux femmes une information simple, claire et équilibrée.
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