« Ces études ouvrent d’immenses opportunités », souligne dans un communiqué le Pr Jennifer Wargo (MD Anderson Cancer Center à Houston, États-Unis) qui a dirigé l’une des deux études publiées dans « Science » sur le rôle du microbiote dans la réponse aux chimiothérapies anti-PD1. La seconde étude a été réalisée par des chercheurs français (Gustave Roussy, l’INSERM, l’INRA, l’AP-HP, IHU Méditerranée Infection et l’Université Paris-Sud) dirigés par le Pr Laurence Zitvogel.
Une pionnière dans l’immunothérapie
En 2015, le Pr Zitvogel et son équipe de l’Institut Gustave Roussy (Villejuif, France) montraient pour la première fois qu’une modification du microbiote intestinal chez la souris pouvait améliorer la réponse des tumeurs à l’immunothérapie par les inhibiteurs des points de contrôle. Pionnière dans le domaine de l’immunothérapie du cancer, et la première à s’intéresser aux liens entre le microbiote intestinal et l’efficacité des chimiothérapies, le Pr Zitvogel vient d’être récompensée par le premier prix d’immuno-oncologie de l’ESMO (European Society for Medical Oncology).
Contrairement aux thérapies conventionnelles du cancer qui détruisent directement les cellules cancéreuses, les nouvelles immunothérapies comme les inhibiteurs des points de contrôle immunitaires agissent en stimulant le système immunitaire de l’hôte pour qu’il puisse détecter, reconnaitre et détruire les cellules malignes.
Les inhibiteurs des points de contrôle (ou des checkpoints) les plus utilisés sont des anticorps bloquant le PD-1 (Programmed cell Death-1), un récepteur de costimulation sur les lymphocytes T, ou bloquant son ligand PDL-1 exprimé sur les cellules tumorales. En inhibant la liaison PD1/PDL-1 qui rend les cellules cancéreuses invisibles au système immunitaire, ces inhibiteurs de PD-1 (ou PD-L1) amplifient la réponse lymphocytaire T préexistante. Les médicaments anti-PD-1 ont des résultats inédits dans les stades avancés du mélanome, du cancer du poumon non à petites cellules (CPNPC) et du cancer du rein, mais seulement 25 % des patients répondent aux anti-PD-1.
Poumon, rein, vessie
Dans la nouvelle étude co-dirigée par Laurence Zitvogel et son mari biologiste Guido Kroemer, Routy et coll. ont examiné l’impact d’une antibiothérapie chez 249 patients au stade avancé d’un CPNPC (n = 140), d’un cancer du rein (n = 67) ou d’un cancer de la vessie (n = 42), traités par anti-PD-1. Parmi ces 249 patients, 69 (28 %) avaient reçu une antibiothérapie dans les 2 mois précédant la thérapie anti-PD-1 ou dans le mois suivant le debut de l’immunothérapie à cause d’une infection dentaire, urinaire ou pulmonaire. Leur état de santé général n’était pas différent de celui des patients non traités par antibiotiques. Le constat est important : les patients co-traités par une antibiothérapie connue pour appauvrir et déséquilibrer le microbiote intestinal (au moins temporairement) rechutent plus rapidement et survivent moins longtemps.
Des analyses réalisées à l’INRA par le Dr Emmanuelle Le Chatelier ont confirmé le rôle négatif de l’antibiothérapie et montré qu’il représente un facteur de risque prédictif de résistance aux anti-PD-1, indépendant des facteurs de pronostic pour le CPNC ou le cancer du rein. Une comparaison de la composition du microbiote intestinal chez les répondeurs et les non répondeurs aux anti-PD-1 révèle que la bactérie commensale Akkermansia muciniphila est fortement associée à une réponse favorable aux anti-PD-1, et son abondance est liée à une survie plus longue sans rechute, aussi bien pour le CPNPC que le cancer du rein et avec prise ou sans prise d’antibiotiques.
Une étude dans le mélanome avancé
L’équipe a aussi prouvé qu’il existe une relation de cause à effet entre la composition du microbiote et l’efficacité des anti-PD-1 : lorsque les souris exemptes de microbiote intestinal reçoivent une greffe fécale de patients répondeurs, leurs tumeurs répondent mieux aux anti-PD1, comparées aux souris recevant une greffe fécale de non répondeurs. De plus, chez les souris répondant mal aux anti-PD1, l’apport oral d’A. muciniphila restaure l’efficacité des anti-PD-1.
Les résultats de l’étude française sont confirmés par l’étude de Gopalakrishnan et coll., dirigée par le Dr Jennifer Wargo (MD Anderson Cancer Center) réalisée, cette fois-ci, chez des patients ayant un mélanome avancé. Les répondeurs aux anti-PD1(n = 30) ont un microbiote intestinal plus diversifié et plus riche en Faecalibacterium (de la famille des Ruminococcaceae et ordre des Clostridiales) que les non répondeurs (n = 13). Les souris recevant une greffe fécale des patients répondeurs ont une croissance tumorale fortement réduite et répondent mieux aux anti-PD-1. Leurs données chez l’homme et chez l’animal montrent qu’un microbiote intestinal favorable est associé à une meilleure immunité systémique et anti-tumorale. Un microbiote défavorable (riche en Bacteroidales) est associé à une progression tumorale plus rapide.
L’activation de certaines cellules du système immunitaire expliquerait cet impact du microbiote. Dans leur étude, le Pr Zitvogel et col. suggèrent que la libération de cytokine IL-12 favorisée par A. municiphila provoquerait un afflux des cellules T dans la tumeur. Toutefois les effets immunomodulateurs d’A. municiphila, l’une des bactéries les plus abondantes du microbiote iléal, restent à préciser.
Éviter la prise d’antibiotiques
Contrôler le microbiote permettrait d’améliorer la réponse à l’immunothérapie anti-PD-1. On sait qu’il peut être modifié par l’alimentation, l’exercice, la prise d’antibiotiques, la prise de probiotiques ou la transplantation fécale. Toutefois, indique le Pr Zitvogel, le simple fait d’éviter la prise d’antibiotiques avant ou durant l’immunothérapie pourrait majorer le taux de réponse des patients, de 25 % actuellement à 40 %, estime-t-elle. Environ 20 % des malades traités pour un cancer sont sous antibiothérapie. Le Dr Wargo planifie déjà un essai clinique pour évaluer si la manipulation du microbiote, en recourant à des greffes fécales (sous forme de comprimé) ou à un traitement bactérien, pouvait améliorer le taux de réponse aux anti-PD-1. Financé par le nouvel Institut Parker pour l’immunothérapie contre le cancer (créé en 2016 à San Francisco), cet essai pourrait débuter dans 6 à 8 mois.
« Science » 2 novembre 2017, Routy et coll., Gopalakrishnan et coll.
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