UN NOUVEAU CHAPITRE s’ouvre dans l’histoire de la transplantation d’organe. Depuis la première naissance vivante et bien portante obtenue en septembre 2014 par l’équipe suédoise du Pr Mats Brännström, la greffe d’utérus est de l’ordre du possible. Ce n’est pas pour autant une greffe comme les autres. « La greffe d’utérus est une greffe particulière, explique le Pr Roger Henrion, président du groupe de travail sur la transplantation d’utérus pour l’Académie nationale de médecine. Elle est différente des autres car elle n’est pas vitale mais permet de donner la vie. C’est une greffe éphémère, le temps pour une femme de mener 1 ou 2 grossesses ».
Avec un bilan plus qu’encourageant, - trois naissances vivantes à ce jour, 9 transplantations dont 7 réussies -, les Suédois sont pris en exemple. En France, deux équipes se préparent à leur tour à se lancer dans l’aventure. À Limoges, Tristan Gauthier et Pascal Pivert travaillent sur la greffe à partir de femmes décédées ; à l’hôpital Foch (Suresnes), Jean-Marc Ayoubi et René Frydman, se rallient au choix des donneuses vivantes, comme les Suédois. « Il y a des avantages et des inconvénients pour les deux façons de faire, expose le Pr Henrion. Les équipes sont face à un dilemme. Mais à ce jour, aucune grossesse n’a été menée à terme avec une donneuse décédée ».
Le choix difficile d’une donneuse vivante ou décédée.
Si les greffes avec donneuses en état de mort cérébrale ou décédées sont sans risque et simple sur le plan technique (durée de 19 minutes), les greffes avec donneuses vivantes « d’une grande complexité » avec 10 heures d’intervention comportent des risques opératoires importants (lésion uretère, hémorragie, thrombose), qui peuvent engager le risque vital. Mais les greffes avec donneuses viviantes ont l’avantage incomparable de pouvoir sélectionner la patiente, de programmer la chirurgie et de limiter le temps d’ischémie froide. « L’information à la donneuse est capitale, insiste le Pr Henrion. Elle doit bien mesurer les risques et les conséquences du prélèvement ».
De plus, si c’est la même que celle qui s’applique à toutes les greffes, la législation est actuellement en évolution dans les deux cas de figure, donneuse vivante ou décédée. Pour les prélèvements sur donneur vivant, le don, qui était limité aux parents, - en l’occurrence la mère de la receveuse -, a été étendu à la famille et aux proches témoignant d’un lien affectif étroit égal ou supérieur à 2 ans. Pour les donneurs décédés, « un projet de modernisation voté en première lecture à l’Assemblée nationale en avril 2015 prévoit de substituer au consentement une simple information de la famille ou des proches, dès lors que la personne n’a pas fait connaître de son vivant son refus », indique le Pr Henrion.
Des questions en suspens.
Pour le traitement immunosuppresseur, « l’utérus greffé ne semble pas se comporter différemment des autres organes greffés et le rejet aigu cellulaire semble pouvoir être contrôlé par un traitement classique bien conduit », indique le rapport. En cours de grossesse, le traitement immunosuppresseur n’entraîne pas davantage de malformations et de morts-nés. Les grossesses sont néanmoins à risque avec une forte augmentation de l’hypertension artérielle (HTA) (30 %), de la prématurité (50 %) et du retard de croissance intra-utérin (RCIU). La surveillance de la mère se fait en alternance tous les 5 jours par les obstétriciens et les équipes de transplantation.
Interrogations éthiques.
La greffe d’utérus soulève des questions éthiques diverses et nombreuses. Comme le souligne le rapport, le recours à des donneuses vivantes pose alors la question de la source des organes : « La mère peut se sentir coupable de l’anomalie de sa fille et se croire obligée de donner son utérus. » Mais il peut s’agir aussi d’un utérus retiré lors d’un prolapsus par exemple, ou « d’hystérectomies réalisées par des transsexuels féminins voulant devenir des hommes, qui seraient disposés à le faire à 70 % selon les psychiatres de Foch. Le grand avantage, ce sont des femmes jeunes », poursuit le Pr Henrion.
La greffe d’utérus se présente aussi comme une alternative à la gestation pour autrui (GPA). Cette option diminuerait « le commerce éhonté de "ventres à louer", l’asservissement des femmes, l’achat d’enfants », souligne le rapport. Mais la transplantation d’utérus n’en est encore qu’à ses débuts. Il semble que le développement somatique, psychomoteur et immunitaire soit normal à court et moyen terme. Mais des interrogations subsistent à long terme, pour l’avenir des enfants au-delà de 40 ans, notamment pour le développement de maladies auto-immunes et de cancers. Alors que la Fédération Internationale de Gynécologie et d’Obstétrique (FIGO) reste toujours réservée après un avis négatif en 2008, l’Académie nationale de Médecine doit se prononcer sur les recommandations à donner lors de sa session hebdomadaire la semaine prochaine.
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