Deux études américaines publiées dans un même numéro du « New England Journal of Medicine », l’une randomisée, l’autre épidémiologique, remettent en cause les données de la littérature concernant les résultats de l’hystérectomie totale en fonction de la voie d’abord. Elles vont à l’encontre de l’idée selon laquelle la chirurgie mini-invasive du cancer du col de l’utérus est équivalente à la chirurgie ouverte en termes de survie.
La chirurgie mini-invasive du cancer du col de l’utérus a remplacé peu à peu la laparotomie (chirurgie ouverte), car elle est notamment associée à une durée d’hospitalisation plus courte et à un risque moindre de complications.
Si les deux études ont des approches différentes, elles portent sur des populations de patientes comparables présentant une tumeur de stade précoce.
Survie sans maladie augmentée
L’étude de Ramirez et ses collègues est une étude de phase 3 multicentrique et randomisée, appelée LACC (pour Laparoscopic Approach to Cervical Cancer). 631 patientes provenant de 33 centres à travers le monde ont été incluses : 319 ont été opérées par chirurgie mini-invasive (84,4 % par cœlioscopie et 15,6 % par chirurgie assistée par robot) et 312 par laparotomie.
Plusieurs décès ont été rapportés : 19 dans le groupe chirurgie mini-invasive et 3 dans le groupe chirurgie ouverte. Ce déséquilibre entre les deux groupes a entraîné l’arrêt précoce de l’essai, avant le recrutement des 740 patients initialement prévu.
L’analyse a révélé que la survie sans maladie à 4,5 ans (critère principal) était de 86 % avec la chirurgie mini-invasive contre 96,5 % avec la chirurgie ouverte. De plus, la chirurgie mini-invasive était associée à un taux de survie globale à 3 ans inférieur à celui de la chirurgie ouverte (93,8 contre 99 %) et à un taux de récidive locorégional plus élevé.
Mortalité à 4 ans accrue
L’étude de cohorte de Melamed et ses collègues, qui s’appuie sur deux registres de patientes atteintes de cancer, va dans le même sens. L’analyse de la National Cancer Database a porté sur 2 461 patientes sur la période 2010-2013. Parmi les 1 225 femmes opérées par chirurgie mini-invasive (49,8 % du panel), 978 patientes, soit 79,8 %, ont eu une chirurgie assistée par robot. Sur un suivi moyen de 45 mois, la mortalité à 4 ans était de 9,1 % pour ces patientes, contre 5,3 % pour celles ayant été opérées par laparotomie.
Par ailleurs, l’analyse du registre Surveillance, Epidemiology and End Results (SEER), portant sur la période 2000-2010, montre une diminution de 0,8 % par an de la survie à 4 ans chez les patientes ayant subi une hystérectomie entre 2006 et 2010, alors que ce paramètre était stable avant. Ce qui correspond au moment où la chirurgie par robot a été adoptée aux États-Unis.
Les auteurs des deux études ne parviennent pas à expliquer ces résultats qui vont à l’encontre des pratiques actuelles. Melamed et son équipe évoquent la dissémination possible des cellules tumorales avec les techniques mini-invasives dues à des manipulations au cours de l’opération.
Sélection fine des patientes
Le Pr Xavier Carcopino, gynécologue au CHU de Marseille et secrétaire chargé des affaires nationales de la Société française de colposcopie et de pathologie cervico-vaginale (SFCPCV), émet des réserves quant à ces résultats. « La caractérisation des patientes manque de précision, notamment en termes de stadification ganglionnaire, indique-t-il au « Quotidien ». La stadification initiale ne correspond pas aux pratiques françaises, où les patientes bénéficient systématiquement d’une imagerie pour l’évaluation ganglionnaire ». Il regrette également l’absence d’information sur le curage ganglionnaire.
« En France, nous opérons également des tumeurs à des stades précoces de façon quasi exclusive par chirurgie mini-invasive et de plus en plus par chirurgie robotique, mais pour des patientes bien sélectionnées (absence d’emboles lymphovasculaires, tumeur de petite taille et absence d’atteinte ganglionnaire). Toutes les patientes opérées dans ces études ne l’auraient pas forcément été en France aujourd’hui », souligne le Pr Carcopino, pour qui ces résultats ne remettent pas en question les pratiques actuelles.
« Ce sont toutefois des études très solides sur le plan méthodologique qui apportent des arguments supplémentaires à la nécessité de sélectionner au maximum les patientes pour lesquelles une hystérectomie est indiquée », avance-t-il.
Un autre aspect est à prendre en compte, évoqué également par les auteurs : les chirurgiens sont plus expérimentés en chirurgie ouverte qu’en chirurgie mini-invasive. L’infléchissement de la mortalité mis en évidence dans l’étude de Melamed et al. au moment de l’introduction de la chirurgie mini-invasive peut ainsi s’expliquer par le manque d’expérience des chirurgiens. « Il est probable qu’aujourd’hui les résultats seraient différents. Cette diminution de la survie n’est-elle pas ni plus ni moins le reflet de la courbe d’apprentissage de la technique ? », interroge le Pr Carcopino.
Par ailleurs, « il faut bien prendre en compte que ces deux études ont été pensées dans des contextes différents de celui d’aujourd’hui, note-t-il. Aujourd’hui, la question n’est plus de savoir s’il faut choisir entre chirurgie mini-invasive ou ouverte - nous ne faisons quasiment plus de laparotomie -, mais de savoir quelles sont les patientes qui vont indiscutablement bénéficier de l’hystérectomie ».
L’édito d’Amanda Fader du département de gynécologie et d’obstétrique de la Johns Hopkins School of Medicine de Baltimore, publié dans le même numéro du « New England Journal of Medicine », offre également une analyse pondérée de ces deux études et conclut : « les chirurgiens doivent procéder avec prudence et évaluer les risques et les avantages individuels de chaque femme ».
P. T. Ramirez et al., NEJM, DOI : 10.1 056/NEJMoa1806395, 2018.
A. Melamed et al., NEJM, DOI : 10.1 056/NEJMoa1804923, 2018.
A. N. Fader, NEJM, DOI : 10.1 056/NEJMe1814034, 2018.
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