Le Quotidien du pharmacien. - Comment expliquer, du point de vue épidémiologique, l'absence d'épidémie de grippe l'an dernier ?
Dr Anne Mosnier. - Cette absence de grippe en France, comme ailleurs dans le monde, est exceptionnelle. En 2020-2021, dans notre pays, moins de 20 prélèvements positifs pour la grippe ont été retrouvés en ville et à l’hôpital, alors qu’en règle générale on est à plus de 10 000 sur une saison ! Du jamais vu.
Plusieurs facteurs viennent l’expliquer. Les gestes barrières, la limitation des voyages nationaux et internationaux, et surtout le phénomène d’interférence ou compétition virale. C’est-à-dire que lorsqu’un virus respiratoire assez agressif est présent, il empêche les virus saisonniers de circuler. Ainsi l’année dernière, on a eu une forte circulation de SARS-CoV-2, qui a entravé celle des virus grippaux, pseudo-grippaux et de la bronchiolite. Cette dernière pathologie, qui apparaît classiquement début octobre, avec un pic à Noël, est toutefois survenue, mais de façon décalée, au printemps, sans pic, avec une circulation à bas bruit jusqu'à l'été.
Cette circulation de virus saisonniers très perturbée aura-t-elle un impact sur la grippe à venir ?
Pas forcément. Aujourd’hui, deux scénarios se profilent. Soit le Covid est toujours présent et entrave la circulation des autres virus. Soit, et c’est plutôt ce que pressentent les virologues, le Covid s’atténue, rendant de nouveau possible la cocirculation des virus saisonniers… qui sera facilitée par le relâchement des gestes barrières, la reprise des déplacements et un contexte de baisse de l’immunité de groupe vis-à-vis de ces maladies qui n’ont pas été croisées par la population la saison dernière.
L’évolution de l’épidémie de grippe cette année dans l’hémisphère sud donne-t-elle une orientation sur ce qui nous attend ?
Compte tenu des restrictions anti-Covid cet été, peu de virus ont circulé et il est difficile de se faire une idée. On observe toutefois que Mayotte est en situation pré-épidémique de grippe, avec plutôt du virus H3N2.
Et en France, observe-t-on un frémissement concernant les pathologies hivernales ?
Pour la grippe, on a déjà une vingtaine de prélèvements positifs (en ville et à l’hôpital) depuis début septembre, soit presque autant que sur toute la saison passée. Quant au virus respiratoire syncytial (VRS), responsable de la bronchiolite, il semble démarrer assez fortement*. Les rhinovirus, picornavirus, qui provoquent des pathologies ORL, des rhumes chez l'enfant, voire des symptômes digestifs, ont également fait leur apparition. Mais au final, la situation est semblable à celle des années avant Covid. Quant au SARS-CoV-2, essentiellement le variant Delta, il continue de circuler. Heureusement, les personnes vaccinées sont plutôt bien protégées des formes graves.
Quid de l’immunité des jeunes enfants ? N’a-t-elle pas été mise en veille avec le Covid et les confinements ?
En effet, les enfants nés après mars 2020 n’ont jamais rencontré la grippe de leur vie. La distanciation sociale, les gestes barrières font que leur immunité a été moins sollicitée et ils sont donc sans doute plus exposés à attraper tous les virus de l’hiver. L’avantage étant qu'une partie d'entre eux les contracteront plus âgés (mieux vaut avoir une bronchiolite à un an qu’à 3 mois)… mais aussi, ces enfants ont plus de risque que d'habitude d’enchaîner plusieurs pathologies hivernales.
La Haute Autorité de santé (HAS) a indiqué qu’il était possible de vacciner en même temps contre la grippe et le Covid, soit 1 injection dans chaque bras. Quel est votre avis sur cette co-administration ?
Pour l’instance, c’est une solution pertinente pour simplifier le parcours de soins et optimiser la couverture vaccinale contre ces deux pathologies, sachant que les populations cibles pour la vaccination contre le Covid et la grippe sont globalement les mêmes. Les écueils potentiels seraient une diminution de la réponse immunitaire sur l’un ou l’autre des vaccins, et une moins bonne tolérance, mais de récentes études de co-administration sont rassurantes sur ces points.
Cependant, la co-administration est une possibilité et non une recommandation de la HAS. Dans certains cas, notamment pour un patient réticent à se faire vacciner et qui ne reviendra pas pour une nouvelle injection, elle est intéressante. Dans les autres cas, les professionnels de santé peuvent aussi choisir de vacciner en deux temps, sachant qu’il n’y a pas de délai à respecter entre les deux administrations de vaccin Covid et grippe. Si un patient vient se faire vacciner contre la grippe à l’officine, il est donc possible mais pas indispensable de le vacciner le même jour contre le Covid. N’oublions pas que la préparation des vaccins grippe et Covid n’est pas la même, la co-administration peut donc poser un problème organisationnel. Il faut prévenir le patient, qu'en vaccinant dans chaque bras, il peut avoir mal aux deux bras le lendemain. On est encore dans la nouveauté et on verra comment les choses se mettront en place dans la pratique.
La campagne de vaccination antigrippale, avancée au 22 octobre, accueillera un nouveau vaccin haute dose, Efluelda, pour les seniors. Pensez-vous qu’il sera utilisé massivement ?
Ce vaccin est indiqué à partir de 60 ans mais n’est remboursé qu’à partir de 65 ans. Il est du même type que les autres vaccins disponibles, mais avec une quantité plus importante d’antigène pour chaque souche vaccinale (x 4). Il est intéressant car il suscite une meilleure réponse immunitaire, quoique jugée modeste par la HAS, avec un peu plus de réactogénicité locale.
Il est difficile de savoir s’il sera beaucoup utilisé, car la France n’a pas émis de recommandation préférentielle par rapport aux autres vaccins chez les seniors. Ainsi, chez les 65 ans et plus, les 3 vaccins commercialisés peuvent être réalisés au choix. Cependant, la Société française de gériatrie et gérontologie (SFGG) appelle à ce que les plus âgés, notamment avec des comorbidités, soient vaccinés avec Efluelda. Et, en priorité des priorités, les résidents d’EHPAD/USLD.
Outre l’arrivée du vaccin haute dose, une autre nouveauté de la campagne est la prise en charge par l'assurance-maladie de la vaccination des aides à domicile et des personnels de secours. Les pharmaciens ont donc un rôle fort à jouer pour leur rappeler l’importance de se faire vacciner contre la grippe, leur éditer un bon de prise en charge - elles ne le reçoivent pas de façon systématique - et les vacciner.
Autre point intéressant : après la campagne contre la grippe suivra une campagne de la CNAM, fin novembre, sur les gestes barrières. Car on observe une baisse de la consommation des solutés hydroalcooliques. L’idée est de banaliser les gestes barrières et de les déconnecter du Covid. Pour que le recours au gel hydroalcoolique et le port du masque, deviennent des gestes du quotidien.
* Voir également notre article « Démarrage précoce et rapide de la bronchiolite » en page 15.
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