On compte 200 000 Français atteints d’addiction aux jeux d’argent, selon les critères fixés par l’indice canadien du jeu excessif, mais seulement 1,5 % d’entre eux a consulté un médecin selon les données de l’OFDT.
Ce taux particulièrement faible, les autorités de régulations peinent à l’augmenter malgré les dispositifs mis en place par l’ARJEL (autorité de régulation des jeux en ligne), une autorité administrative indépendante créée dans le cadre de l’ouverture des paris hippiques, des paris sportifs et du poker en ligne par la loi du 10 mai 2010.
Dans son dernier rapport d’activité, elle fait état de 1,4 million de joueurs en ligne actifs (12 % de femmes), dont 44 % jouent exclusivement aux paris sportifs et 23 % jouent exclusivement au poker. La légalisation du jeu en ligne a coïncidé avec l’arrivée d’un public jeune : 58 % des joueurs ont moins de 35 ans, et 24 % ont entre 18 et 24 ans. Les deux grandes enquêtes menées par l’OFDT en 2010 et en 2014, confirment un rajeunissement de la population de joueurs à problèmes. « Ils se sont rués sur les paris sportifs en ligne qui leur donnent une illusion de contrôle et d’expertise », affirme le Dr Marc Valleur, psychiatre spécialisé dans les addictions comportementales à l’hôpital Marmottan, à Paris.
Qui sont ces joueurs ?
Selon le Dr Valleur, la typologie de Blaszczynski répartit les joueurs pathologiques en 3 catégories : « Il y a d’abord les joueurs en automédication qui jouent aux jeux d’argent pour oublier leur dépression, explique-t-il. C’est une catégorie où l’on trouve autant de femmes que d’hommes. Le second groupe comprend les joueurs impulsifs, principalement des hommes, jeunes, amateurs de risque qui ont une impression de contrôle. Le 3e groupe est très hétérogène, et constitué de joueurs pris au piège dans le jeu. »
Chaque typologie de jeu a ses profils de prédilection. Le pari hippique attire un public plus âgé, tandis que les sites de paris sportifs en ligne attirent un public plus jeune, à 90 % masculin. « La première des comorbidités des joueurs pathologique est la présence d’autres addictions ou d’une dépression », complète le Dr Valleur.
À la permanence téléphonique assurée par SOS Joueur, « nous sommes contactés par des gens très déprimés, que l’on peut orienter vers un CSAPA, un CHRS une assistante sociale ou un avocat en fonction des problématiques, détaille Armelle Achour présidente de l’association, certaines personnes bien intégrées nous appellent mais d’autres sont en grande difficulté et nous devons les accompagner pour qu’ils obtiennent le RSA. »
Une maladie ou un vice ?
Depuis 2010, l’ARJEL s’assure que les opérateurs affichent un message de prévention, avec un renvoi vers la hotline joueur-info-service. Elle audite aussi régulièrement les opérateurs, afin d’émettre des recommandations pour améliorer les procédures. Ces mesures détectent assez efficacement les joueurs pathologiques, mais c’est au niveau de la prise en charge que se situe le blocage. « Des formations spécifiques aux joueurs pathologiques ont été faites dans les CSAPA, où 50 binômes psychologues-assistante sociale se sont installés », détaille Carole Leduc chargée de la lutte contre le jeu pathologique à l’ARJEL.
« Sur le papier, les structures sont adaptées, explique le Dr Valleur, mais dans les faits les joueurs pathologiques sont très peu habitués à se rendre en consultation. Ils ne considèrent pas leur état comme une maladie mais comme un vice. Il faut une évolution culturelle de la vision de la société des addictions comportementales. »
Armelle Achour dresse un constat plus sévère sur la capacité des CSAPA à traiter le jeu pathologique : « Il y a un vrai travail à faire, ces centres connaissent très mal les joueurs, explique-t-elle ces derniers n’aiment pas être dans les mêmes salles d’attente que les toxicomanes. »
Pour rassurer les joueurs, l’hôpital Marmottan ne les reçoit que sur rendez-vous. « Ils aiment monter des groupes de thérapie avec d’autres joueurs », ajoute le Dr Valleur. Comparée à d’autres addictions comme l’alcoolisme, l’addiction au jeu présente l’avantage d’être réactive. « Une thérapie cognitivo comportemental avec des objectifs raisonnables et précis peut se révéler très efficace », explique le Dr Valleur.
Cibler les joueurs à risques
Pour Armelle Achour, aux déjà 0,5 % de Français joueurs excessifs, « il faut cibler les 400 000 joueurs à risque modéré susceptibles de basculer dans le jeu excessif. La rapidité du basculement dépend du type de jeu, ça peut être très rapide avec des pratiques comme les machines à sous ».
Pour y parvenir, « les messages de préventions doivent être mieux adaptés, poursuit Armelle Achour, et éviter les mots repoussoirs comme "addiction" ». Elle estime en outre qu’il faut s’inspirer de l’étranger : « en Allemagne, une famille qui constate des dépenses irraisonnées peut demander une interdiction de jeu, mais cela pose des questions de libertés individuelles », estime-t-elle.
« Il faut que les médecins généralistes s’intéressent à ces questions, affirme le Dr Valleur. Les signes qui doivent alerter sont une excitation, similaire à celle des consommateurs de cocaïne, les cas de dépression ou les idéations suicidaires. » Il s’agit souvent de fumeurs, présentant des troubles anxieux ou des tocs. « Si on a un trouble bipolaire, cela vaut le coup de poser la question du jeu pathologique », poursuit le Dr Valleur. Les médecins peuvent en outre orienter les joueurs vers le site Evalujeu, destiné à évaluer leurs propres pratiques.
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