DEPUIS janvier 1996, le toxicomane a le statut de patient et peut être soigné par le biais d’un traitement de substitution aux opiacés (TSO), tels que la buprénorphine (Subutex) ou la méthadone. Des traitements au long cours qui demandent une prise en charge globale du patient. Selon la dernière enquête OPPIDUM coordonnée par les Centres d’études et d’information sur les pharmacodépendances (CEIP), 40 % de ces patients seraient des consommateurs de benzodiazépines (BZD), qu’ils utilisent pour lutter contre l’anxiété, l’insomnie, pour agir sur l’humeur, réduire les « voix dans la tête », potentialiser l’effet des opiacés, pallier le manque d’effet euphorisant de la méthadone, accompagner la « descente ». Ou encore pour soulager les symptômes de manque, comme produit alternatif en cas de pénurie des produits de consommation habituelle, pour être « défoncé » ou pour faciliter les passages à l’acte.
Problème, les BZD créent une dépendance et entraînent d’importants symptômes de manque lorsqu’elles sont arrêtées. Le sevrage aux BZD est en effet particulièrement difficile, bien plus que celui à l’alcool, au tabac ou même aux opiacés. Tout arrêt brutal, même à dose thérapeutique, peut être suivi de ce syndrome : céphalées, douleurs et faiblesses musculaires, insomnie, irritabilité, agitation, dépression, dépersonnalisation, désorientation, hallucinations… Le pronostic vital est parfois même engagé lors de la survenue de crises convulsives, le plus souvent en cas de sevrage brutal après utilisation de hautes doses.
Fin 2008, le laboratoire Bouchara-Recordati, fabriquant la méthadone, a décidé de développer une formation sur le thème : la prescription de BZD aux usagers de drogues bénéficiant ou non d’un TSO, prescription qui peut mettre en difficulté les médecins, les pharmaciens d’officine et les usagers eux-mêmes. « La consommation de BZD par les usagers de drogue est un problème ancien et récurrent. Pourtant cela reste un sujet tabou et les professionnels de santé ne savent pas toujours quelle attitude adopter. Nous avons donc pensé à une formation qui se déroulera partout en France en 2009 et 2010 », explique Thierry Kin, chef de projet méthadone.
Une marge de manœuvre étroite
Un diaporama très complet est déjà prêt, créé par les Dr Maroussia Wilquin1, Laurent Michel2 et Thierry Jamain3, amendé et validé par les Pr Sylvain Dally4, Henri-Jean Aubin5, Pascal Perney6 et les Dr François Brun7 et Morgane Guillou8.
« Si l’association de benzodiazépines et de traitement de substitution aux opiacés est déconseillée, en pratique les coprescriptions sont fréquentes mais pas toujours très bien gérées. Sur le terrain, on trouve des cliniciens à l’avis très tranché, allant du refus systématique de coprescription à la prescription automatique à la demande du patient. Il faut trouver un entre-deux. C’est le but de cette formation : ouvrir le débat, apporter des informations concrètes et pragmatiques aux professionnels de santé, rappeler qu’il existe des patients sous TSO pour lesquels des BZD sont indiqués et aider à savoir réagir quand on est face un abus. Il n’y a pas une attitude unique à avoir, il faut évaluer chaque cas. Nous remettons en avant le bon sens clinique », indique le Dr Michel.
Car le risque est réel. Refuser de prescrire ou de délivrer des BZD à un patient dépendant peut lui être fatal. Or les BZD sont parfois indiquées pour traiter des patients substitués (troubles anxieux aigus ou chroniques, aide au sevrage alcoolique, etc.). Mais la coprescription BZD et TSO présente également un risque élevé de dépression respiratoire pouvant aller jusqu’au décès. La marge de manœuvre est étroite mais peu de professionnels en ont conscience. Cette formation permettra de faire ce type de rappel, mais aussi de fournir des données concrètes sur l’utilisation des BZD chez les usagers de drogue et d’aborder les protocoles de sevrage associés à des conseils pratiques. Sachant que les plus addictogènes sont celles ayant un profil sédatif marqué et une demie vie courte avec un effet de pic élevé (exemple : Rohypnol), l’une des solutions pour aller vers le sevrage est de changer de benzodiazépine et d’en choisir une à demie vie longue, comme par exemple le diazépam (Valium).
Tiraillé entre prescription et éducation à la santé.
Jean Lamarche, président de Croix Verte et Ruban Rouge, association de pharmaciens pour la prévention des toxicomanies et du sida, regrette pour sa part que cette formation soit délivrée par un laboratoire plutôt que par un CEIP, à un moment où revient au goût du jour la volonté de faire passer la buprénorphine dans la classe des stupéfiants. Le sujet de la formation l’intéresse mais il demande des études pour étayer les recommandations. « Il va falloir être très clair. Tout le monde sait qu’on ne doit pas associer le Rohypnol ou le Tranxène à la buprénorphine haut dosage (BHD), mais pour d’autres comme le Lexomil, même à petites doses, on ne sait pas. J’ai déjà eu entre les mains des ordonnances associant Rohypnol et Subutex. On ne parle pas de contre-indication mais d’interactions, je n’ai donc normalement pas les arguments pour refuser cette délivrance, et pourtant je le fais. » Un comportement que le Pr Dally comprend aisément : « le pharmacien se trouve tiraillé entre son devoir de répondre à la prescription et son rôle d’éducation à la santé. Il doit agir au cas par cas. Il ne réagit pas de la même façon face à un patient qui a la même prescription depuis longtemps et face à celui qui tente sa chance dans toutes les pharmacies du coin. Globalement, les pharmaciens se débrouillent très bien ».
2 addictologue et psychiatre à l’hôpital Emile-Roux à Limeil-Brévannes
3 médecin généraliste à Nancy
4 chef du service toxicologie et alcoologie à l’hôpital Fernand-Widal, responsable du Centre d’études et d’information sur les pharmacodépendances (CEIP) d’Ile-de-France, président de l’Observatoire français des drogues et toxicomanies, vice-président de l’Association nationale de prévention en alcoologie et addictologie (ANPAA), coauteur de Cas cliniques en addictologie et toxicologie (2 007).
5 psychiatre au Centre d’addictologie de l’hôpital Paul-Brousse à Villejuif
6 chef de service alcoologie et addiction au CHRU de Nîmes
7 Médecin généraliste à Marseille
8 praticien hospitalier spécialisé en toxicomanie dans le service addictologie du CHRU de Nantes
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