MARISOL TOURAINE, la ministre de la Santé, l’a annoncé le 30 avril : l’expérimentation de la vente à l’unité de certains antibiotiques doit démarrer « dans quelques semaines ». Une réunion d’information a eu lieu entre tous les acteurs du dossier le jeudi 22 mai, afin de préciser les modalités du dispositif. Un appel à candidatures sera lancé début juin dans les quatre régions concernées par l’expérimentation : Ile-de-France, Limousin, Lorraine et Provence-Alpes-Côte d’Azur. Cent pharmacies seront concernées, dont 25 pharmacies « témoins » qui ne feront pas de délivrance à l’unité, afin de pouvoir comparer avec les 75 restantes, qui la pratiqueront. « Le dossier sera suivi par l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), précise Philippe Gaertner, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF). Il sera chargé de la sélection des officines, ainsi que de l’évaluation du dispositif. Les volontaires seront sélectionnés afin de répondre à une représentativité des profils de pharmacie sur le territoire ». Lorsque le pharmacien aura été sélectionné, il devra conclure avec l’INSERM un engagement définitif pour entrer dans le dispositif. La mise en œuvre du dispositif repose sur le volontariat, à la fois du côté des pharmaciens, mais aussi du côté des patients, qui devront donner leur consentement pour se joindre à l’expérience. Après un an d’expérimentation, l’INSERM interrogera les pharmaciens, mais aussi les patients, afin de rédiger le rapport qu’il remettra au Parlement en 2016, ou au plus tard en 2017.
La profession reste sceptique.
Délivrer les médicaments à l’unité, ce n’est pas une nouveauté. Plusieurs pays le pratiquent déjà, avec plus ou moins de bonheur (voir encadré). En France, la mesure a été imaginée dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) 2014. Marisol Touraine l’a proposée afin de lutter contre le gaspillage de médicaments, mais aussi contre l’antibiorésistance. L’expérimentation française devrait ainsi concerner 14 antibiotiques, tels que l’amoxicilline + acide clavulanique, la céfixime, la cefpodoxime, etc. Mais parmi les représentants de la profession, les réactions sont mitigées.
La Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF) ne se déclare pas opposée au principe, mais les modalités prévues initialement ne lui convenaient pas. En effet, l’expérimentation devait durer trois ans et être rémunérée 1 000 euros par officine participante, une somme insuffisante aux yeux des pharmaciens. Suite à leurs protestations, le ministère de la Santé a revu à la baisse la durée de l’expérience et à la hausse la rémunération afférente : un an d’expérimentation, payé 1 500 euros en trois versements. Pour Philippe Gaertner, « s’il y a un intérêt de santé publique, le pharmacien doit répondre présent. Si on veut avancer sur le sujet de la dispensation à l’unité, il faut participer à ce genre d’expérimentation », estime-t-il. À l’inverse, l’Union des syndicats de pharmaciens d’officines (USPO) est plutôt hostile à la mesure. Gilles Bonnefond, son président, craint qu’il ne s’agisse d’un « cheval de Troie », permettant ensuite aux pouvoirs publics d’étendre la dispensation à l’unité à d’autres classes thérapeutiques, par exemple celles des psychotropes ou des antalgiques. « Les pharmaciens ne sont pas responsables du gaspillage et les causes de l’antibiorésistance sont plus à rechercher dans les arrêts prématurés de traitement par les patients », souligne-t-il. Pour lui, « la délivrance à l’unité ne réglera pas le problème de l’observance et les patients stockeront du vrac au lieu de boîtes. Cette mesure n’apporte aucune amélioration ni pour la santé, ni pour les économies ». Quant à l’Union nationale des pharmacies de France (UNPF), elle juge que la classe des antibiotiques n’est pas la plus adaptée pour mener une telle expérimentation. Pour elle, « si les médecins prescrivent dans le respect des autorisations de mise sur le marché (AMM), les conditionnements sont adaptés ».
Pas de justification économique.
Un avis que partage l’Ordre des pharmaciens, qui note en effet que « les conditionnements de ces médicaments ont été revus afin d’être au plus proche des durées de traitement recommandées ». Il estime que la non-utilisation de médicaments provient avant tout d’un défaut d’observance. Isabelle Adenot, la présidente de l’Ordre, souligne d’ailleurs que, dans les pays où la dispensation à l’unité existe déjà, comme au Canada, la quantité de médicaments non utilisés récupérés est également importante.
Quant aux industriels, ils sont eux aussi réservés (voir ci-dessous, l’interview de Philippe Lamoureux, directeur général du LEEM). L’Association française de l’industrie pharmaceutique pour une automédication responsable (AFIPA) regrette pour sa part la confusion entre mésusage et automédication qu’a soulevée la discussion sur l’expérimentation de la délivrance à l’unité. « Cette mesure, qui a pour objectif d’éviter le gaspillage et de lutter contre le mésusage, tend à laisser penser que l’automédication est une mauvaise pratique, qu’il faut combattre », déplore l’AFIPA. Elle rappelle que « le conseil officinal est déterminant » et que « la réutilisation d’un médicament sans l’avis d’un professionnel de santé est contraire à une automédication responsable ». De plus pour tous les acteurs de la chaîne du médicament, cette mesure risque de ne pas générer d’économies pour l’assurance-maladie, contrairement à ce qu’espère Marisol Touraine. L’économiste de la Santé, Jean-Jacques Zambrowski, estime ainsi que la délivrance à l’unité « n’a pas de justification économique ».
La prochaine réunion pour mettre au point les deniers éléments de l’expérimentation aura lieu le 11 juin. Ensuite, ce sont les pharmaciens et les patients y participant qui trancheront sur l’intérêt ou non de la délivrance à l’unité…
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