« Le Laboratoire Pfizer France nous a informés de sa décision de retirer du marché français le Cytotec (misoprostol 200 µg), largement utilisé en gynécologie hors AMM, une décision qui sera effective 1er mars 2018 », a dévoilé Christelle Ratignier-Carbonneil, directrice générale adjointe de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), lors des États généraux du « Lien », association de défense des patients. Une information sur laquelle Dominique Martin, directeur général de l’ANSM, est largement revenu dès le lendemain, insistant sur le fait qu’il s’agit d’un arrêt de commercialisation décidé par le groupe pharmaceutique, et non d’une décision de l’Agence.
La raison ? Le Cytotec, indiqué en traitement et prévention de l’ulcère gastrique, est essentiellement utilisé hors AMM, pour réaliser des IVG ou, dans le cadre hospitalier, pour déclencher artificiellement le travail à partir de 37 semaines d’aménorrhée. Cette dernière utilisation comporte des risques graves pour la santé de la mère et de l'enfant - rupture utérine, hémorragies, anomalie du rythme cardiaque fœtal - comme l'avait alerté l’ANSM en 2013. « Le risque est d'entraîner des contractions trop fortes et une mauvaise oxygénation du fœtus », avance Thierry Harvey, gynéco-obstétricien, en raison d’un surdosage fréquent de la molécule. « En effet, il faut utiliser un huitième du comprimé ce qui, vu sa taille, est pour le moins hasardeux », relève le médecin, qui s’insurge contre cette pratique dangereuse motivée par des considérations financières.
Dangereuses économies
« Pour faire des économies les hôpitaux préfèrent utiliser hors AMM le Cytotec qui ne coûte quasiment rien. C'est scandaleux », s'insurge Aurélie Joux, fondatrice de l’association Timéo, du prénom de son enfant lourdement handicapé. Timéo, est né en 2010, alors que le terme était dépassé de 3 jours, lors d'un accouchement déclenché avec du Cytotec surdosé. « Mon fils est resté entre la vie et la mort plusieurs jours, j’ai eu l’utérus complètement déchiré, je ne pourrai plus avoir d’autre enfant. Ce n’est pas possible de faire vivre cela à des femmes pour des raisons budgétaires », témoigne-t-elle.
Car des médicaments à base de prostaglandines (dinoprostone) prévus pour le déclenchement artificiel du travail, en gel ou en tampon, existent (Prepidil Intracervical, Propess et Prostine), mais ils coûtent beaucoup plus cher que le Cytotec à 30 centimes le comprimé. « Il faudrait du misoprostol peu coûteux comme pour le Cytotec, mais à différents dosages (25, 50 µg…) », revendique Thierry Harvey. Un souhait qui sera peut-être prochainement exaucé. « Le laboratoire danois Azanta a déposé une demande d’AMM pour un dosage de 25 µg qui pourrait être disponible courant 2018 », indique Christelle Ratignier-Carbonneil. Ce médicament, Angusta, est disponible au Danemark depuis 2013.
Par ailleurs, en ce qui concerne les IVG, il existe des médicaments à base de misoprostol indiqués dans l’interruption de la grossesse, en association avec la Mifégyne (mifépristone). Il s’agit de Gymiso et Misoone (dosés respectivement à 200 µg et 400 µg). Le forfait de l’IVG médicamenteuse est d’ailleurs calculé en fonction du prix du Gymiso et non en fonction du prix du Cytotec, on ne crée donc pas de tension économique, précise Dominique Martin. Le retrait de Cytotec n’ayant lieu qu’en mars, les industriels qui les commercialisent ont ainsi « un délai suffisant pour augmenter leur production afin de sécuriser l'accès à l'IVG médicamenteuse », précise Christelle Ratignier-Carbonneil.
Le hors AMM en question
La décision du laboratoire de retirer Cytotec est qualifiée de « bonne nouvelle » par Alain-Michel Ceretti, fondateur du Lien. « Mais l'affaire du Cytotec révèle la faiblesse de l'autorité de l'État en matière de sécurité sanitaire », juge-t-il, estimant qu’il « faut modifier la loi pour pouvoir interdire des pratiques identifiées comme dangereuses ».
De son côté, Dominique Martin rappelle que l’ANSM n’a pas compétence « pour faire la police dans les pratiques ». Il souligne que la loi permet la pratique du hors AMM, mais celle-ci devient problématique dès lors qu’elle devient massive et non exceptionnelle. « La règle doit être suivie, l’AMM est la traduction d’essais cliniques, elle protège le patient et le praticien, même si l’exception est possible, explique-t-il. Regardez les grandes crises de ces dernières années, elles reposent majoritairement sur des prescriptions hors AMM. »
Avec AFP
Pharmaco pratique
Accompagner la patiente souffrant d’endométriose
3 questions à…
Françoise Amouroux
Cas de comptoir
Les allergies aux pollens
Pharmaco pratique
Les traitements de la sclérose en plaques