« Cette étude nous permet de définir une relation de cause à effet en montrant que le microbiote lui-même peut déterminer si l’on développera ou non une réponse allergique », explique le Dr Cathryn Nagler, pédiatre allergologue et immunologue à l’université de Chicago qui a dirigé le travail publié dans la revue « Nature Medicine ».
« La bactérie protectrice identifiée dans l’étude est un Clostridia producteur de butyrate, un acide gras, confirmant ainsi l’intérêt que nous portons à ce métabolite en tant que premier candidat médicament de notre start-up ClostraBio », ajoute-t-elle au « Quotidien ».
Rôle crucial du microbiote dans l'allergie
L’étude, partiellement financée par le National Institute of Allergy and Infectious Diseases (NIH), est le fruit d’une longue collaboration entre le Dr Nagler et le Dr Roberto Canani, chef du service d’allergologie pédiatrique à l’université de Naples (Italie). « Ces résultats démontrent le rôle crucial joué par le microbiote intestinal dans le développement de l’allergie alimentaire. Ils ouvrent la voie à des interventions innovantes pour la prévention et le traitement de l’allergie alimentaire, des interventions actuellement évaluées dans nos centres », précise le Dr Canani. Les sociétés occidentalisées sont témoins d’une nette augmentation des allergies alimentaires, et particulièrement des réactions allergiques potentiellement fatales. Selon l’organisme FARE (Food Allergy Research & Education), près de 6 millions d’enfants de moins de 18 ans, aux États-Unis, auraient une allergie alimentaire, soit 1 enfant sur 13 ou 2 enfants dans chaque classe. Huit allergènes alimentaires majeurs - le lait, les œufs, les arachides, les noix, le blé, le soja, le poisson et les crustacés - sont à l’origine de la plupart des réactions allergiques graves aux États-Unis.
Des facteurs de notre mode de vie moderne pourraient être en cause : abus d’antibiotiques, mauvaise alimentation (trop grasse, pauvre en fibres, industrielle), sédentarité, césarienne… des facteurs qui altèrent notre microbiote intestinal. Cette dysbiose pourrait favoriser les allergies, notamment chez les individus génétiquement prédisposés.
Souris axéniques
L’équipe du Dr Nagler a transféré chez des souris sans germes (axéniques) le microbiote fécal de bébés non allergiques (n = 4) ou allergiques au lait de vache (n = 4). En complément de leur alimentation habituelle, les souris ont été nourries avec la même formule que celle reçue par leur bébé donneur (formule lactée standard ou à base d’hydrolat de caséine), afin de favoriser la croissance des bactéries humaines dans l’intestin en procurant les mêmes sources de nutriments. Puis les souris ont été sensibilisées à l’allergène du lait de vache.
Lorsqu’elles ont été à nouveau exposées au lait, les souris hébergeant la flore des bébés allergiques ont eu une réaction anaphylactique, tout comme les souris axéniques (sans germes) sans colonisation bactérienne. Par contraste, les souris hébergeant la flore des bébés non allergiques ont été protégées de cette réaction allergique.
La composition bactérienne du microbiote fécal se révèle différente entre les bébés allergiques et non allergiques, et entre les 2 groupes de souris colonisées. Mieux encore, les chercheurs ont identifié une espèce de Clostridia, Anaerostipes caccae, capable de protéger contre la réaction allergique lorsqu’elle est transférée seule chez les souris axéniques.
Modulation de l'immunité
Les chercheurs ont aussi analysé les cellules épithéliales de l’intestin grêle (iléon) des souris colonisées et ont découvert des expressions géniques différentes chez les souris colonisées par la flore des bébés non allergiques. Leurs résultats suggèrent que ces bactéries clostridiales dans l’iléon, là où les aliments sont absorbés, modulent l’immunité de l’hôte et jouent un rôle dans la protection contre la réaction anaphylactique aux aliments.
En 2014, une étude de l’équipe du Dr Nagler avait déjà montré que des bactéries clostridiales dans le microbiote intestinal protégeaient les souris contre l’allergie aux cacahuètes, notamment en renforçant la barrière intestinale du colon. La fermentation des fibres alimentaires par les bactéries commensales de l’ordre des Clostridiales est la source principale de production du butyrate, un acide gras à chaîne courte exerçant de nombreux effets bénéfiques.
Le prochain objectif de l’équipe est de mieux définir comment ces bactéries protectrices contre les allergies bloquent les réponses immunitaires allergiques, tant au niveau cellulaire que moléculaire.
« Cette étude est intéressante car elle montre que nous pouvons utiliser des métabolites produits par le microbiote sain pour développer des médicaments protégeant contre l’allergie alimentaire », note le Dr Nagler.
« Nous sommes encore à la phase de recherche et de découverte et nous cherchons à établir l’efficacité thérapeutique de notre médicament dans des modèles animaux », confie-t-elle. « Nous espérons débuter les essais d’innocuité dans quelques années. Les essais cliniques dépendront du succès de ces deux phases. Nous sommes très optimistes. »
T. Feehley et al, Nature Medicine, 10.1038/s41591-018-0324-z, 2019.
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