Madame D., 54 ans, se remet d’un cancer des ovaires de haut grade. Ce matin de septembre, elle est venue prendre connaissance de ses résultats d’analyse dans la consultation de génétique du Pr Dominique Stoppa-Lyonnet, accompagnée de sa sœur aînée. L’inquiétude fige leurs corps graciles et remplit d’un silence attentif le petit bureau.
La Pr Stoppa-Lyonnet se veut rassurante. Aucune altération au niveau des gènes BRCA 1 et BRCA 2 n’ayant été retrouvée, les résultats plaident en faveur de l’absence de facteur génétique de prédisposition, d’autant qu’il n’y a pas d’autre histoire de cancer du sein ou de l’ovaire dans la famille. Des analyses complémentaires sur la lésion tumorale recherchaient la signature d’un syndrome de Lynch ; elles ne révèlent pas d’instabilité des microsatellites ni de perte d’expression des protéines MMR. « À quel âge votre père a-t-il été atteint du cancer du côlon ? », s’assure la Pr Stoppa-Lyonnet, scrutant l’arbre généalogique, pièce maîtresse du dossier de la patiente. « 77 ans », répond Mme D. « Mais le cancer a été découvert à un stade très avancé ! », précise sa sœur. Un âge non évocateur de la piste génétique, commente la chef de service. Et de recommander une surveillance mammaire et colorectale normale à la patiente.
Exercice d'équilibriste
Elle se tourne ensuite vers la sœur, soixantaine lumineuse, et ouvre la discussion sur la pertinence d’une annexectomie prophylactique. « Je ne peux pas dire que vous n’avez pas de sur-risque. Nous pouvons en discuter, y compris avec votre autre sœur » avance-t-elle, dans un subtil exercice d’équilibriste entre réassurance à l’égard de la femme en rémission et suggestion d’une chirurgie préventive pour la fratrie. La sœur en discutera avec sa gynécologue.
Fin de la consultation. Une question brûle les lèvres de la patiente. « Pourquoi ai-je eu un cancer s’il n’est pas génétique ? » « Le risque d’avoir un cancer de l’ovaire est de 1 % ; 15 % s’explique par une altération génétique et 85 %... on ne sait pas », répond la Pr Stoppa-Lyonnet.
Ce mercredi, plus d’une dizaine de patients, souvent accompagnés d’un compagnon, d’un frère, d’une sœur ou d’un enfant, seront reçus par la Pr Stoppa-Lyonnet, adressés par leur médecin ou inquiétés par un cancer précoce dans leur famille, afin de discuter de la réalisation d’un test ou d’en connaître les résultats. La majorité vient pour un risque de cancer du sein ou de l’ovaire, de syndrome de Lynch, et, dans une moindre partie, de rétinoblastome.
La première consultation est préparée en amont par les conseillers en génétique qui s’attachent à retracer l’arbre généalogique de la personne, à récupérer les dossiers médicaux des apparentés et à établir des calculs de risque. Ils vérifient aussi si la personne répond aux indications des tests, car avec quatre généticiens et trois conseillers en génétique, impossible d’accéder aveuglément à toute requête.
Information des proches
Lors du rendez-vous médical à proprement parler, l’histoire familiale est de nouveau évoquée, mais aussi le sens même du test, pour la personne et sa famille, puisqu’il y a obligation de prévenir les proches concernés par la présence d’une anomalie génétique associée à une augmentation du risque de cancer. Lors des États généraux de la bioéthique, certaines voix ont demandé la révision de cette obligation, notamment par crainte d’un recul du dépistage. « Informer la famille est souvent la motivation principale de nos patients, dit au contraire Antoine de Pauw, conseiller en génétique. Dans 95 % des cas, les patientes rencontrées en consultation sont déterminées à faire le test et même, déclinent tout délai de réflexion. Les plus réticentes ne nous sollicitent pas ».
Le test en lui-même consiste en une prise de sang et en un frottis jugal, envoyés au laboratoire de génétique de l’Institut Curie. Un panel de 13 gènes (sur 80 séquencés dans ce laboratoire) est analysé face à un risque héréditaire du cancer du sein et de l’ovaire. Le Groupe génétique et cancer-Unicancer 2017 devrait publier prochainement le panel correspondant aux cancers du tube digestif et réfléchit à celui relatif aux cancers du pancréas, du rein et de la prostate.
Les résultats sont rendus quatre mois à six mois plus tard. « Dans 85 % des cas, on ne découvre pas d’anomalies génétiques : le cancer s’explique soit par le hasard, soit par d’autres facteurs génétiques et environnementaux encore mal connus ou inconnus », explique Antoine de Pauw. Les 15 % de patients pour lesquels on identifie une prédisposition sont orientés vers un suivi personnalisé.
38 000 tests en 2016
Les tests génétiques sont en plein essor (38 000 en 2016, + 55% par rapport à 2013, selon l’INCa ; l’Institut Curie, pionnier, en assure 3 000 par an et 3 400 consultations). Au-delà de la prévention, ils servent à éclairer le choix d’une patiente atteinte d’un cancer du sein entre une chirurgie conservatrice ou non. L’arrivée des inhibiteurs de PARP doit aussi encourager leur recours. Et rendre urgente la transmission des résultats.
Le séquençage très haut débit commence à arriver dans les laboratoires de génétique. Il devrait permettre d’augmenter le nombre de gènes et de patients testés, de faire face à la demande croissante de tests et de diminuer le délai d’obtention des résultats. Mais la prouesse technique n’occulte pas l’un des défis majeurs de la génétique aujourd’hui : réaliser des tests pertinents et savoir mieux prédire le risque individuel d’un cancer en prenant en compte l’histoire familiale et des co-facteurs, génétiques
ou non.
Pharmaco pratique
Accompagner la patiente souffrant d’endométriose
3 questions à…
Françoise Amouroux
Cas de comptoir
Les allergies aux pollens
Pharmaco pratique
Les traitements de la sclérose en plaques