LA MÉTHADONE est un agoniste opioïde pur : cette notion basique mérite de ne jamais être perdue de vue car elle conditionne une part majeure des risques liés à son association à d’autres médicaments.
Il en va ainsi de tous les produits susceptibles d’entraîner une dépression respiratoire, un effet indésirable commun aux agonistes opioïdes d’action centrale : au premier plan bien sûr, les benzodiazépines, mais aussi l’alcool, les antalgiques opioïdes et tous les opioïdes plus ou moins masqués dont l’usage est recherché par l’ex-toxicomane (antitussifs dont la pholcodine ou le dextrométhorphane, dont le mésusage a été récemment souligné avec des doses allant de 7 à 30 fois la normale et des achats hors contrôle médical). Même si l’association n’est pas contre-indiquée, elle mérite un examen attentif, notamment s’il s’agit de traiter par un antalgique de palier 3 un patient déjà sous méthadone.
L’association d’un antagoniste opioïde (ou d’un agoniste-antagoniste comme le tramadol) à la méthadone peut entraîner des signes de « manque » parfois aussi sévères que de survenue brutale : il n’est donc pas question d’associer méthadone et naltrexone (Révia) ou nalméfène (Selincro). L’association à la buprénorphine est de même contre-indiquée et le switch entre les deux substituants est prudent : l’addictologue ménage un intervalle de 24 heures entre la dernière prise de buprénorphine et la première de méthadone, et de 48 heures pour l’inverse, en prenant la précaution de réduire au préalable la dose de méthadone à 30 mg/j. La prise de tramadol peut, chez un patient traité par méthadone, démasquer un syndrome de sevrage avec anxiété et agitation.
Le jeu des enzymes.
Le métabolisme de la méthadone implique avant tout le CYP3A4 mais aussi d’autres cytochromes, une multiplicité enzymatique ayant plusieurs conséquences.
L’une d’elles, souvent méconnue, réside dans les disparités interindividuelles dans l’élimination du médicament : on distingue ainsi des métaboliseurs lents ou rapides de la méthadone pouvant justifier des schémas de prise différents (une ou deux administrations quotidiennes).
L’autre, plus connue, se traduit par de nombreuses interactions cinétiques parfois critiques lorsque les médicaments impliqués sont des anti-VIH ou des anti-VHC. Ainsi, les inducteurs enzymatiques accélèrent la dégradation de la méthadone et réduisent sa durée d’action, imposant une révision à la hausse de sa posologie (ex : carbamazépine, rifampicine, abacavir, éfavirenz, névirapine, nelfinavir, inhibiteur de protéases du VIH + ritonavir, bocéprévir, etc.). Il faudrait y ajouter le millepertuis et les goudrons de la fumée du tabac.
Inversement, les inhibiteurs enzymatiques ralentissent l’élimination de la méthadone avec risque de toxicité (notamment d’allongement du QT) : cimétidine, antidépresseurs tricycliques ou IRS, antifongiques azolés, nombreux antirétroviraux comme l’atazanavir, le darunavir, etc. interférons, inhibiteurs de l’aromatase (létrozole). Les conséquences de la consommation de jus de pamplemousse sur la cinétique de la méthadone semblent rester anecdotiques.
Parmi les antiviraux récents, ni le sofosbuvir (Sovaldi) ni le dolutégravir (Ticivay) ne semblent donner lieu à interaction ; l’impact du siméprévir (Olysio) et du daclatasvir (Daklinza) reste inconnu - d’autant que les patients bénéficiaires d’une substitution ne sont pas inclus dans les essais cliniques -.
Enfin, il ne faudrait pas oublier que la méthadone peut perturber la cinétique de médicaments associés (ex : elle augmente les taux de zidovudine in Retrovir, Combivir, Trizivir).
Une surveillance cardiaque ciblée.
Si le risque de survenue de torsades de pointes suivant un allongement de l’intervalle QT n’est pas négligeable sous méthadone, il ne devrait pas freiner l’usage de cet opioïde bien toléré au plan cardiovasculaire lorsqu’il est administré en monothérapie. Le Thésaurus des interactions de la HAS (2014) déconseille simplement l’association de la méthadone à un médicament susceptible d’allonger le QT (sauf pour le citalopram et l’escitalopram : contre-indication). En fait, le bon sens prévaut : le risque est accru en cas d’hypokaliémie (prise de diurétiques ou de laxatifs), d’usage persistant de drogues arythmogènes (psychostimulants) ou de doses massives d’alcool et si la dose quotidienne de méthadone excède 120 mg. Hormis ces cas, il semble inutile de réaliser un ECG pré- ou per-traitement.
Wilquin M. et al. (2014), Interactions médicamenteuses avec la méthadone et implications pratiques, Le Flyer, 57, pp.4-9.
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