Actualité sur les antithrombotiques

Publié le 15/01/2009
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La pathologie thrombotique demeure une très importante préoccupation, et l'embolie pulmonaire est la 3e cause de mortalité cardiovasculaire dans le monde, après l'infarctus du myocarde et les accidents vasculaires cérébraux. Heureusement, tout porte à penser que nous sommes au seuil d'une authentique nouvelle ère, avec la toute prochaine arrivée de produits très innovants actifs par voie orale, dont l'activité, rapide, n'est pas ou peu influencée par la prise alimentaire et qui sont quasiment dénués d'interactions médicamenteuses.
Accident vasculaire cerebral





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Crédit photo : Phanie

Les rendez-vous pharmaco

PAR DIDIER RODDE, PHARMACOLOGUE

Les principaux médicaments

On distingue les antiagrégants plaquettaires (voie orale : aspirine - Kardégic, Aspégic, clopidogrel - Plavix, voie injectable : abciximab - Réopro, eptifibatide - Integrilin, tirofiban - Agrastat), les inhibiteurs indirects de la thrombine (héparines non fragmentées, héparine de bas poids moléculaire ; énoxaparine - Lovenox), les inhibiteurs directs de la thrombine (voie injectable : lépirudine -, désirudine - ; voie orale : dabigatran - Pradaxa nouvellement commercialisé), les anti-Xa (voie injectable : fondaparinux - Arixtra ; voie orale : rivaroxaban - Xarelto en attente de commercialisation) et les antivitamines K (acénocoumarol - Sintrom, fluindione - Préviscan…). Nous n'évoquerons pas ici les fibrinolytiques.

Mécanismes d'action

L'aspirine à faible dose inhibe irréversiblement la cyclooxygénase plaquettaire entraînant une suppression de la synthèse du thromboxane A2. En bloquant les récepteurs (P2Y12) à l'ADP couplés à l'adénylate cyclase, le clopidogrel s'oppose à la fixation du fibrinogène sur ses récepteurs.

Les antiagrégants injectables, dotés d'un puissant effet antithrombotique, utilisés en milieu hospitalier dans des indications très spécifiques (phases aiguës des syndromes ischémiques artériels, angioplastie, pose de stent) sont des antagonistes de la glycoprotéine de la membrane plaquettaire IIb/IIIa.

Les héparines et les héparinoïdes (danaparoïde - Orgaran) sont des inhibiteurs indirects de la thrombine et du facteur Xa en activant d'un facteur 1 000 environ l'antithrombine III.

Les inhibiteurs directs de la thrombine sont représentés par des produits peptidiques exigeant donc une administration parentérale ou par des « petites molécules » actives par voie orale comme le dabigatran. Il en est de même des inhibiteurs du facteur Xa, qui existent sous forme injectable et depuis peu sous forme orale (rivaroxaban).

Enfin, les antivitamines K dépriment la synthèse de plusieurs facteurs procoagulants : II, VII, IX et X.

Dans quelles situations cliniques ?

Les antiagrégants plaquettaires sont utilisés, par voie orale, à moyen ou long terme, en prévention secondaire chez les patients ayant eu un événement à type de syndrome coronarien aigu, accident ischémique cérébrovasculaire, artériopathie des membres inférieurs ou toute autre localisation de la maladie athérothrombotique, en prévention primaire chez les patients à haut risque (hypertension artérielle, hypercholestérolémie, diabète), ainsi que dans certains syndromes myéloprolifératifs, comme la maladie de Vaquez ou la thrombocytémie essentielle.

La thrombose veineuse est du domaine des anticoagulants : les antiagrégants plaquettaires préviennent environ 30 % des accidents thrombotiques veineux et 50 % des complications emboliques veineuses, alors que l'efficacité des anticoagulants est de l'ordre de 75 à 90 %. Cela étant, les antiagrégants peuvent être utilisés dans ces indications en cas de contre-indication formelle aux anticoagulants ou en relais des traitements anticoagulants dans un objectif de prévention si le patient présente un risque résiduel significatif.

Dans certaines indications (syndrome coronarien aigu, angioplastie, pose d'un stent), on peut recourir à une association d'antiagrégants de mécanismes complémentaires, comme l'aspirine et le clopidogrel.

On peut utiliser une association antiagrégant - anticoagulant chez des patients dont les pathologies relèvent de ces deux traitements.

Les héparines sont employées dans la prévention et le traitement des accidents thromboemboliques veineux et artériels.

Les antivitamines K sont utilisées dans la prévention des complications thromboemboliques liées à certaines cardiopathies emboligènes comme la fibrillation auriculaire, l'infarctus du myocarde, les valvulopathies, la prévention des récidives d'infarctus du myocarde en cas d'intolérance à l'aspirine et en relais d'une héparine dans celle des thromboses veineuses en chirurgie orthopédique.

Pour l'instant la seule indication du dabigatran et du rivaroxaban concerne la prévention primaire des événements thromboemboliques veineux chez l'adulte ayant bénéficié d'une chirurgie programmée pour prothèse totale de hanche ou de genou.

Posologies recommandées chez l'adulte et plans de prise

Les posologies varient en général selon les indications et, dans le cas des anticoagulants, peuvent être adaptées en fonction du résultat de tests biologiques

Aspirine : les doses quotidiennes généralement utilisées vont de 75 à 300 mg

Antivitamines K : la posologie de chaque produit doit être adaptée pour atteindre une valeur d'INR cible (INR : temps de Quick du patient/temps de Quick témoin), qui diffère selon l'indication (ex : 2 à 3 dans la fibrillation auriculaire et en prévention dans la chirurgie orthopédique)

Clopidogrel : 75 mg par jour en une prise, au cours ou en dehors d'un repas. L'effet antiplaquettaire demandant 4 à 7 jours pour se développer a conduit certain à préconiser une dose de charge de 300 mg.

Dabigatran : la posologie, fixe, est de 220 mg par jour ; le schéma thérapeutique comprend d'abord l'absorption d'une demi-dose (110 mg) 1 à 4 heures après l'intervention, puis de 220 mg une seule fois par jour, pendant 10 jours pour une prothèse de genou et 28 à 35 jours pour une prothèse de hanche. Une posologie plus faible (prise initiale de 75 mg, puis 150 mg par jour) est recommandée pour certaines catégories de patients, comme ceux de plus de 75 ans ou présentant une insuffisance rénale modérée. Ce médicament peut être absorbé indifféremment au cours ou en dehors d'un repas

Énoxaparine : en prévention dans la prothèse de hanche ou de genou - 4 000 UI/j en sous-cutanée

Fondaparinux : en prévention dans la prothèse de hanche ou de genou - 2,5 mg/j en sous-cutané

Rivaroxaban : 10 mg par jour, en une prise, au cours ou en dehors d'un repas, la dose initiale devant être administrée 6 à 10 heures après l'intervention chirurgicale. Le traitement doit être poursuivi pendant 2 semaines pour une prothèse de genou et 5 semaines pour une prothèse de hanche.

Quelques cas particuliers

Grossesse et allaitement.

L'héparine non fractionnée ne traverse pas le placenta. Les recommandations internationales autorisent l'emploi d'héparine de bas poids moléculaire. Par précaution, il est conseillé d'éviter l'énoxaparine à dose préventive pendant le 1er trimestre et à dose curative durant toute la grossesse.

La prescription d'antivitamines K (faible risque malformatif) doit être réservée aux cas dans lesquels les héparines ne peuvent pas être utilisées, surtout durant le 1er trimestre et les 15 jours qui précédent l'accouchement. Elles sont déconseillées en cas d'allaitement.

L'emploi du dabigatran, du clopidogrel et du rivaroxaban est contre-indiqué en cas de grossesse ou d'allaitement.

L'aspirine peut être utilisée (en évitant si possible le début de grossesse), notamment dans la prévention des thromboses de la circulation utéroplacentaire (syndrome des antiphospholipides…).

Insuffisance rénale ou hépatique.

L'insuffisance rénale sévère est une contre-indication absolue pour les héparines de bas poids moléculaire et le fondaparinux pour leurs indications curatives ; contre-indication relative au regard des indications préventives pour les héparines de bas poids moléculaires et les antivitamines K.

L'anticoagulant de choix demeure l'héparine non fractionnée.

Il est conseillé de diminuer la posologie du dabigatran dans les insuffisances rénales modérées (clairance à la créatinine entre 30 et 50 ml/mn) et de ne pas utiliser ce produit en cas d'insuffisance hépatique, lorsque le taux d'enzymes hépatique est supérieur à deux fois la normale.

Une adaptation posologique peut être également nécessaire avec le rivaroxaban en cas d'insuffisance rénale sévère, son emploi n'étant pas recommandé en dessous de 15 ml/mn.

Vigilance requise !

Contre-indications absolues, en dehors de la grossesse et de l'allaitement.

Les anticoagulants ne doivent pas être utilisés en cas de saignements évolutifs cliniquement significatifs et avec grande prudence en cas de lésions organiques susceptibles de saigner.

Le dabigatran est contre-indiqué en cas d'insuffisance rénale sévère (clairance à la créatinine inférieure à 30 ml/mn). Le dabibatran et le rivaroxaban sont contre-indiqués en cas d'insuffisance hépatique grave., associée dans le premier cas à une coagulopathie et à un risque de saignement significatif.

Effets indésirables.

Conséquence de leur mode d'action, les anticoagulants exposent tous à un risque hémorragique, ou anémique. La surveillance étroite de celui-ci s'impose donc durant toute la durée du traitement. La fréquence des accidents hémorragiques sous antivitamine K est la première cause d'accidents iatrogènes en France. Ceux-ci résultent soit d'un surdosage soit d'une interaction médicamenteuse ; un âge supérieur à 75 ans représentant aussi un facteur de risque. Un autre effet indésirable spectaculaire des antivitamines K survenant chez les patients ayant un déficit important en protéine C est la survenue de nécroses cutanées consécutives à des thromboses capillaires.

La thrombopénie induite par les héparines (moins fréquente avec les héparines de bas poids moléculaire) est la deuxième complication majeure des anticoagulants. Il en existe deux formes : précoces ou de type I, fréquentes, bénignes et d'intensité modérée (baisse inférieure à 30 % du taux de plaquettes), régressant malgré la poursuite des administrations, ou plus tardive (typiquement entre le 5e et le 8e jour), d'origine immunologique, dite de type II, d'intensité beaucoup plus importante (supérieure à 40 %), associée à une activation plaquettaire et de la coagulation. Ces dernières s'accompagnent d'un risque élevé de thromboses artérielles, cérébrales, coronaires, des membres inférieurs ou veineuses.

Le clopidogrel peut entraîner des diarrhées, douleurs abdominales, une dyspepsie ou encore des rashs cutanés.

Les interactions médicamenteuses.

Ne pas oublier que l'association d'un anticoagulant ou d'un antiplaquettaire à un anti-inflammatoire non stéroïdien majore le risque de saignements digestif. Une association d'anticoagulants augmente également le risque hémorragique.

La très forte fixation des antivitamines K sur les protéines plasmatiques rend celles-ci sujettes à un risque potentiel de nombreuses interactions (majoration de l'effet anticoagulant), notamment avec les anti-inflammatoires non stéroïdiens, les hormones thyroïdiennes, certains diurétiques, l'atorvastatine, la simvastatine, l'amiodarone, l'alcool… D'autre part, les inducteurs enzymatiques (anticonvulsivants, millepertuis…) diminuent leur activité par accélération de leur métabolisme, alors que les inhibiteurs exercent l'effet inverse.

L'association du dabigatran n'est pas recommandée avec les héparines (fractionnées ou non), fondaparinux, antivitamines K et antiagrégants plaquettaires.

Il en est de même des médicaments interférant avec la P-glycoprotéine (transporteur d'efflux dont le dabigatran est un substrat), qu'il s'agisse d'inhibiteurs (vérapamil, clarithromycine, quinidine…) ou d'inducteurs (rifampicine, millepertuis…).

La plus grande prudence doit être de mise en cas d'administration conjointe au rivaroxaban d'un autre médicament interférant avec la P-glycoprotéine ou le cytochrome CYP3A4.

Autres prescriptions pour le même type d'indication

Certains produits récents font l'objet d'essais cliniques qui devraient aboutir rapidement à des extensions d'indications. Il s'agit au premier chef du rivaroxaban et du dabigatran. L'efficacité de ce dernier est notamment explorée dans les complications thromboemboliques de la fibrillation auriculaire et les syndromes coronaires aigus.

Signalons également le développement très avancé de l'idraparinux, un nouvel anti-Xa, qui présente l'avantage, par rapport au fondaparinux de n'être administré qu'une seule fois par semaine par voie sous-cutanée, au lieu d'une fois par jour.


Source : Le Quotidien du Pharmacien: 2630