Quelques définitions
La muqueuse buccale, excepté l’épithélium de la langue, a une constitution proche de celle de la peau : toute infection, toute agression physique, chimique ou immune peut en altérer la structure ou l’intégrité. Même si elle reste le plus souvent bénigne, cette atteinte constitue parfois un terrain propice à une éventuelle dégénérescence maligne et toute lésion persistant malgré le traitement devrait faire l’objet d’une biopsie. Il est donc déconseillé de négliger les lésions buccales et de ne pas hésiter à prendre un avis de spécialiste.
Primordial, l’examen clinique permet de détecter une lésion associée à une maladie systémique. Grâce à une lampe frontale, un abaisse-langue et un miroir, le médecin explore l’ensemble de la muqueuse buccale mais aussi la tête et le cou, en incluant la totalité de la peau, y compris celle du cuir chevelu. Les fonctions neurologiques, les structures osseuses ainsi que les orifices (narines, oreilles) sont également examinés. Une palpation des aires ganglionnaires du cou et de la face est effectuée. Parallèlement à ce bilan clinique des examens complémentaires sont souvent nécessaire pour guider ou conforter le diagnostic : prélèvement sanguin, tests d’évaluation de la fonction salivaire, radiographie (panoramique dentaire notamment), frottis buccal, biopsie, etc.
Des signes d’appel : les lésions colorées
Le plus souvent, une pathologie de la cavité buccale se traduit par une modification plus ou moins localisée de la coloration de la muqueuse, qui blanchit, ou, au contraire, se colore en un rouge plus soutenu, lorsqu’elle ne se pigmente pas en brunâtre. Ces signes doivent alerter.
Lésions blanches. Les lésions intra-buccales d’aspect blanchâtre sont nombreuses. Il n’existe pas, normalement, de zone blanche dans la cavité buccale en dehors de la « linea alba » (ligne blanche) qui correspond à la projection, sur la joue, de la ligne d’occlusion dentaire. Une telle zone est donc nécessairement pathologique et ses origines sont diverses : irritation (tabac, traumatisme par les dents ou par une prothèse dentaire), agression thermique, agression chimique, candidose (voir plus loin) ou autre infection (virale comme bactérienne), maladie systémique (lichen, lupus, psoriasis, etc.). Elle peut accompagner une tumeur bénigne : papillomatose (élévation de la surface de la peau ou d’une muqueuse causée par l'hyperplasie et l'élargissement des cellules papillaires), diapneusie (tumeur bénigne fibro-épithéliale nodulaire siégeant sur le bord de la langue, sur la face interne des joues ; secondaire à un tic de succion, elle est toujours en regard d’un espace édenté.). Elle est rarement associée à un cancer.
Lésions rouges. Les lésions rouges se distinguent par leur coloration mais aussi, et surtout, par leur plus grande difficulté à être diagnostiquées en raison de l’absence de contraste avec la muqueuse saine. À l’image des lésions blanches, elles traduisent potentiellement une atteinte bénigne comme maligne. L’apparition récente d’une lésion rouge, douloureuse ou non, doit donc inviter à pratiquer un examen par un spécialiste.
Lésions pigmentées. La couleur de la muqueuse buccale saine est due à la présence de mélanine d’origine épithéliale, brune, et d’hémoglobine contenue dans les vaisseaux sanguins, rouge : elle doit son aspect rosé au fait qu’il existe une plus grande proportion d’hémoglobine que de mélanine. De façon générale, en dehors des facteurs ethniques, il n’existe pas de zones hyper pigmentées dans la cavité buccale chez un sujet Blanc. L’apparition d’une (ou de plusieurs) plage brune, bleutée voire noirâtre impose ici encore un avis spécialisé : cette pigmentation localisée, d’origine généralement bénigne, parfois maligne, peut être associée à de nombreuses pathologies.
Les aphtes
Constituant un motif fréquent de consultation, l’aphte résulte d’une lésion bénigne des vaisseaux de la muqueuse buccale. Cette ulcération douloureuse de taille variable, unique ou multiple, siège préférentiellement au niveau de la lèvre inférieure, des joues et de la pointe de la langue. Le plus souvent précédés de picotements (durant environ deux jours), son aspect typique est celui d’une ulcération à fond jaunâtre ou grisâtre, à bords nets, cernée d’un liseré rouge. Les facteurs connus favorisant son apparition sont la consommation de certains aliments (noix, cacahuètes, gruyère, fraises, tomates, etc.), le stress, la prise de divers médicaments (AINS, diphosphonates, bêta-bloquants, etc.) ou encore des carences vitaminiques. Un aphte commun est douloureux mais cicatrise en 10 à 15 jours et ne requiert a priori pas de traitement - sauf aphtes géants hors du propos de ce dossier -. La gêne occasionnée par l’aphte est réduite si l’on privilégie une nourriture froide (produits lactés frais, glaces, etc.) qui diminue la douleur, si, au contraire, on évite les aliments très chauds, si l’on utilise une brosse à dents souple, si l’on conserve une bonne hygiène bucco-dentaire (utiliser un dentifrice sans lauryl sulfate, irritant pour les muqueuses).
Il existe toutefois des médicaments réduisant la gêne locale. Contenant des anesthésiques locaux, des antiseptiques, des extraits de plantes, ils se présentent sous forme de crèmes ou de gels gingivaux, de bains de bouche, de pastilles ou de comprimés à sucer. Certains collutoires destinés à soulager les maux de gorge peuvent être administrés. L’application d’un anesthésique local (lidocaïne gel par exemple) est possible, en veillant à limiter la zone traitée à la seule lésion pour ne pas gêner la déglutition ou entraîner des morsures des joues (à proscrire chez le jeune enfant).
Les aphtes constituent parfois un symptôme de maladie systémique (ex : carence en fer ou en vitamine B12, maladie de Behçet, maladie de Crohn, immunodéficience, etc.). Il importe de consulter s’ils apparaissent fréquemment ou en nombre important (plus de 10, parfois plusieurs dizaines), s’ils sont accompagnés de fièvre, d’une fatigue inexpliquée, de symptômes type diarrhée, douleurs articulaires, céphalées, s'ils mettent plus de 2 semaines à cicatriser ou s'ils ne guérissent pas, s’ils mesurent plus de 1 cm de diamètre (parfois jusqu’à 2 cm), s’ils apparaissent sur d’autres organes (organes génitaux, lésions cutanées…).
La gingivite
La gingivite n’est autre qu’une inflammation des gencives qui deviennent rouges, irritées, enflées et qui saignent facilement. Fréquente, elle peut gagner les gencives et les tissus environnants les dents (parodontite avec risque de déchaussement des dents). Cette affection est due à la présence de plaque dentaire et de tartre : le meilleur moyen de lutte est donc l'hygiène bucco-dentaire. Elle est aussi associée au tabagisme, à l'alcoolisme, à la prise de certains médicaments, à l’inadaptation d’une prothèse dentaire ou encore à des modifications hormonales ou du pH buccal. La gingivite peut induire ou aggraver des pathologies systémiques telles des troubles respiratoires (les bactéries peuvent migrer vers les poumons), cardiaques (idem vers le cœur) ou un diabète (les bactéries migrant dans le sang modifieraient la glycémie).
La candidose buccale
La candidose buccale a pour origine la colonisation de la cavité buccale par une levure dont la présence en petite quantité y est naturelle : Candida albicans. Atteignant de manière préférentielle le nouveau-né (c’est le « muguet ») et le sujet âgé, elle s’observe, chez l’adulte, lors d’une altération des défenses immunitaires associée, par exemple, au diabète, à la prise de médicaments antibiotiques déséquilibrant la flore microbienne locale, à une sécheresse buccale ou encore à une dénutrition.
L’infection se traduit par l'apparition de plaques blanchâtres sur la langue, le voile du palais ou la face interne des joues ou de lésions rougeâtres à la commissure des lèvres, sur le palais, sur la muqueuse des joues et la langue qui devient comme vernissée et douloureuse. Ces signes peuvent s’accompagner d’une sensation de brûlure dans la bouche et/ou dans la gorge.
Dans la majorité des cas le diagnostic est essentiellement clinique. Dans le doute, un frottis permet la mise en évidence du champignon en culture. Parallèlement, le praticien recherche les facteurs favorisants, en particulier une pathologie associée, de façon à éviter les récidives.
Les anticandidosiques locaux utilisés sont l'amphotéricine B (Fungizone et génériques, suspension buvable), le miconazole (Daktarin gel ; Loramyc, comprimé buccogingival muccoadhésif indiqué dans les candidoses oropharyngées chez le patient immunodéprimé), la nystatine (Mycostatine suspension buvable). Les bains de bouche de bicarbonate sodique sont administrés en curatif ou préventif.
Le lichen buccal
Analogue au lichen cutané mais localisé sur la face interne des joues, le lichen buccal revêt des aspects variés. Il regroupe essentiellement trois formes cliniques : une forme réticulée (stries blanchâtres entrelacées) correspondant à une phase quiescente, une forme érosive (zone rouge érodée) correspondant à une poussée aiguë, une forme atrophique tardive (état post-lichénien) présentant un risque de transformation maligne. Il existe également des formes hyperkératosiques ou bulleuses. N’induisant guère qu’une sensation de brûlure de la langue, des joues ou des gencives, ou qu’une saveur métallique dans la bouche dans sa présentation quiescente, il est en revanche douloureux dans sa présentation érosive (40 % environ des cas).
Le mécanisme de son apparition reste obscur : il s’agirait d’une réaction inflammatoire d’étiologie inconnue (irritants toxiques tels le bétel, le tabac ou l’alcool, terrain psychique avec stress, anxiété, etc.). Il atteint de façon prépondérante les femmes. Sauf si l’aspect clinique est suffisamment caractérisé, le médecin pratique une biopsie afin d’affirmer le diagnostic.
Le traitement est adapté à l’activité de la lésion. Les formes érosives, symptomatiques, répondent à une corticothérapie locale (bêtaméthasone sous forme de comprimé à sucer = Buccobet) et/ou à un rétinoïde topique. Les formes sévères ou résistantes aux traitements locaux relèvent d’une corticothérapie systémique ou mixte ; le recours aux immunosuppresseurs peut s’avérer utile sur les formes très actives, mais avec une grande prudence.
La mucite
Siégeant le plus souvent dans la bouche (stomatite), plus rarement dans l'intestin grêle, sur la vulve, dans le vagin ou au niveau de l'œil, une mucite est une inflammation douloureuse de l'épithélium, de la muqueuse et du tissu conjonctif sous-jacent qui évolue souvent vers l’ulcération et induit parfois une nécrose hémorragique. Son diagnostic est clinique : se manifestant par une rougeur, une douleur et des aphtes plus ou moins nombreux, la mucite compte au nombre des effets indésirables iatrogènes associés à une chimiothérapie ou à une radiothérapie. Elle peut être à l'origine d'une pseudomembrane qui prend une couleur blanche au contact de la salive et que l'on peut confondre avec une candidose.
La gêne occasionnée et les douleurs des ulcérations altèrent la qualité de vie du patient. De plus, elles peuvent le conduire à moins s’alimenter et entraîner ainsi indirectement une perte de poids et/ou une dénutrition. Enfin, une mucite sévère peut imposer une réduction des doses de chimiothérapie ou de radiothérapie, voire une suspension temporaire du traitement.
Étiologie. Les mucites sont dues à l’action cytotoxique de la chimiothérapie et de la radiothérapie, exercée notamment sur les cellules qui se divisent rapidement : cellules cancéreuses mais aussi cellules saines, en particulier des cellules épithéliales qui tapissent notamment la cavité buccale. Parallèlement, médicaments et rayons provoquent une inflammation au niveau des muqueuses, phénomène qui accentue la survenue des lésions. En général, celles-ci apparaissent au cours de la première semaine de traitement puis elles se résorbent progressivement durant la semaine suivante, avec un risque de réapparition à la poursuite du traitement.
Facteurs de risque. Les mucites sont plus fréquentes avec certains médicaments anticancéreux qu’avec d’autres. Les cytotoxiques le plus souvent incriminés dans la survenue de cette affection sont le 5-fluoro-uracile (5FU), le méthotrexate, la bléomycine, la doxorubicine et l'épirubicine, les alkylants, les vinca-alcaloïdes et les taxanes. De plus, le risque de survenue de cet effet indésirable dépend aussi des doses administrées et de la durée du traitement (logiquement, la fréquence des mucites est plus élevée en cas d’administration d’une chimiothérapie à fortes doses sur une période relativement prolongée). Il existe également des facteurs de risque individuel (l’affection s’observe plus fréquemment chez l’enfant, le sujet > 50 ans et chez la femme) et des facteurs de risque génétiques. Une mauvaise hygiène dentaire avant ou durant le traitement contribue à l’apparition d’une mucite. Enfin, le tabagisme accroît la fréquence et la sévérité de cet effet indésirable.
Il n’existe pas de traitement curatif des mucites et l’efficacité des médicaments susceptibles d’être prescrits reste limitée voire discutée. Différents traitements peuvent néanmoins être proposés. Les recommandations associent l'éviction des prothèses dentaires et une irrigation locale par du chlorure de sodium à 0,9 % toutes les 4 heures. Des badigeons avec de la lidocaïne visqueuse à 2 % ou l’usage d’une crème à base de lidocaïne sont parfois efficaces mais souvent mal tolérés (goût désagréable, anesthésie muqueuse, courte durée d'action) et exposent à un risque de fausse-route. Le recours à des antalgiques de palier II ou III (en fonction du grade de sévérité de la mucite) est souvent indispensable. Les bains de bouche ou les tamponnements au sucralfate (hors AMM) sont parfois préconisés.
Prévention. La prévention reste primordiale pour éviter ou retarder l’apparition de mucites. Avant tout traitement anticancéreux, le bilan buccodentaire sera systématique ; si le traitement antitumoral vise un cancer des voies aérodigestives supérieures, il faut envisager la réalisation préalable d’une gastrostomie d’alimentation.
À titre préventif, il est recommandé de sucer des glaçons pendant une demi-heure à une heure lors des perfusions de chimiothérapie : l’action vasodilatatrice du froid limite l’exposition des muqueuses de la bouche aux médicaments lors du pic de concentration sérique.
Le patient est impliqué dans la prévention et la prise en charge de la mucite par les soins bucco-dentaires. Après chaque repas (ou trois fois par jour s’il ne mange pas), il faut qu’il se brosse les dents le plus possible (sauf si saignement d’origine hématologique) au moyen d’une brosse souple voire très souple (brosse chirurgicale), avec un dentifrice sans menthol avant de rincer abondamment. Si le brossage est impossible, utiliser des bâtonnets, glycérinés ou non. Les bains de bouches antiseptiques ou antifongiques sont généralement proscrits en préventif, exception faite de ceux à base de bicarbonate de sodium.
La xérostomie
La xérostomie (sécheresse buccale) résulte d’un déficit quantitatif ou qualitatif de la sécrétion salivaire. Elle peut avoir pour origine des causes parfois associées : iatrogénie (médicaments à composante anticholinergique notamment ; traitement par radiothérapie de la tête ou du cou, etc.), maladies systémiques, âge, déshydratation (transpiration abondante, fièvre, vomissements, diarrhées). Trop souvent négligé, ce symptôme fréquent peut donner lieu à de nombreuses complications : candidose buccale récidivante, lésions dentaires, gingivite due à la prolifération de bactéries dans la plaque dentaire et le tartre qui sont plus abondants, difficultés à la déglutition, troubles du goût, etc.
Le médecin recherche les conséquences locales de la sécheresse buccale : sensation de « bouche sèche », majorée lors de l’alimentation, lèvres « collées », absence de rétention de salive sous la langue, augmentation de volume des glandes salivaires (même unilatérale et intermittente), nécessité de prendre un liquide pour accompagner la déglutition d’aliments secs, halitose (mauvaise haleine), etc. ainsi que la persistance du phénomène depuis plus de trois mois. Le praticien s’enquiert aussi de la prise de médicament susceptible de réduire la production salivaire (anticholinergiques avant tout, antidépresseurs, etc.), de séances actuelles ou passées de radiothérapie au niveau de la tête ou du cou, etc.
Des examens complémentaires sont parfois nécessaires. Le test « au sucre » permet de dépister objectivement la xérostomie par la vitesse de fonte dans la bouche d’un morceau de sucre calibré. La mesure du pH de la bouche est intéressant (il s’acidifie lors d’une xérostomie). La scintigraphie des glandes salivaires renseigne sur leur morphologie et sur leur fonctionnalité. La biopsie est réservée au diagnostic de maladies plus générales. L’étiologie de l’affection peut être généralement déterminée par l’interrogatoire du patient (radiothérapie, prise de médicament, ménopause) ; d’autres étiologies nécessitent la mise en œuvre d’examens (imagerie, biologie, biopsie) plus sophistiqués (ex : syndrome de Gougerot-Sjögren, sarcoïdose, fibrose kystique, etc.).
Une gêne notable fait indiquer une suppléance salivaire. Les médicaments censés augmenter la production de la salive (comme l’anétholtrithione ou Sulfarlem utilisé dans les hyposialies médicamenteuses, post-radiothérapiques ou de la sénescence) ont une efficacité limitée. La pilocarpine (Salagen) est indiquée dans les hyposialies et les xérostomies post-radiothérapiques chez l'adulte ainsi que dans le traitement de la sécheresse buccale et oculaire au cours du syndrome de Gougerot-Sjögren, en cas d'inefficacité des traitements locaux. Les complications sont traitées au cas par cas (prise d'antifongiques en cas de mycose par exemple).
Prévention. Peu sensible à la sensation de soif, le sujet âgé doit prendre l'habitude de boire un verre toutes les heures, sous peine de déshydratation aggravant la xérostomie (entre autres). Diverses interventions sont également utiles : sucer un bonbon sans sucre, mâcher des morceaux d’ananas ou un chewing-gum (sans sucre là aussi), respirer autant que possible de l’air humidifié, respirer par le nez, éviter la consommation de café, d’alcool, d’aliments épicés, etc.
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