« EN COMMENÇANT à travailler sur la communication chimique, nous avons ouvert la porte sur un monde qu’on ne soupçonnait pas. » Depuis une vingtaine d’années, les chercheurs de l’Institut de recherche en sémiochimie et éthologie appliquée (IRSEA), dirigé par le Pr Patrick Pageat, ont décidé d’interagir avec le monde du vivant en utilisant ses codes, les substances sémiochimiques. Ils ont ainsi découvert un mode de communication propre à chaque espèce qui ne nécessite aucun apprentissage et permet d’adopter le comportement adapté dans certaines situations.
Tout part d’un constat simple : un manque d’adéquation et de compréhension entre l’homme et l’animal, qui devient problématique lorsqu’il s’agit d’un animal domestique qui ne réagit pas comme son maître le souhaiterait. En l’occurrence, les chercheurs parlent plutôt de la problématique de l’homme qui veut plier l’animal à ses exigences et modifier son comportement. Lorsqu’il n’y parvient pas, il recourt alors à l’abandon ou l’euthanasie. « 80 % des abandons sont liés à un problème de comportement. Notre but est de permettre à l’adoptant de vivre en harmonie avec son animal », indique Christian Bourgeois, directeur de la filiale France de Ceva Santé Animale.
L’IRSEA s’est donc penché sur les phéromones, ces substances sémiochimiques qui permettent une communication interespèce et parfois également intra-espèces. « La capacité à les détecter apporte un avantage évolutif. C’est le cas pour un prédateur capable de détecter les substances émises par sa proie en état de stress, pour un parasite qui peut détecter un hôte vulnérable. Enfin dans un groupe social, il est intéressant de détecter l’état de réceptivité sexuelle de ses congénères. La perception de ces substances permet d’adapter son comportement », souligne le Pr Patrick Pageat, directeur fondateur de l’IRSEA.
Développement cortical.
La détection est liée à la présence dans le patrimoine génétique de gènes qui codent pour des récepteurs spécifiques. Ces informations remontent vers le système limbique pour atteindre l’amygdale, qui, en fonction du message, va soit laisser le cortex cérébral l’appréhender, soit au contraire couper l’accès lorsqu’il s’agit d’une situation d’urgence, afin de réagir au plus vite lorsqu’il faut fuir, attaquer ou user de dissimulation. Cette communication chimique emprunte un chemin qui lui est propre, en étant compréhensible uniquement grâce à l’organe voméronasal (OVN). « Sur une tête de crotale, ce sont deux organes importants avec une grosse muqueuse, une muqueuse en contact avec le septum, pleine de neurones qui vont envoyer les informations. Les deux OVN communiquent avec la cavité buccale par des fentes, c’est la langue du crotale qui rapporte toutes les molécules en suspension et introduit les informations dans la zone », explique le Pr Pageat. Chez le chien et le chat, les phéromones doivent passer par la cavité buccale pour atteindre le canal incisif qui la relie aux cavités nasales, auxquelles est relié l’organe voméronasal, lui-même connecté par un faisceau de nerfs aux bulbes olfactifs. C’est dans cette partie du cerveau que des récepteurs détectent les phéromones et transmettent l’information au système limbique.
Rien à voir donc avec les odeurs qui sont des informations sensorielles dont la valeur dépend de l’expérience de chacun et nécessite un apprentissage. « La meilleure illustration est de faire l’expérience des odeurs utilisées en marketing pour attirer le consommateur. L’odeur synthétique de croissants chauds fonctionne très bien ici, mais en faisant la même expérience en Asie du sud-est, vous n’obtenez aucune réaction car les gens n’ont pas l’image cérébrale du croissant chaud », remarque Patrick Pageat. Contrairement à l’information sensorielle, l’utilisation de substances sémiochimiques garantit d’obtenir la réaction recherchée chez l’individu qui les perçoit. « Cela n’empêchera pas, chez les espèces ayant un développement cortical important, qu’il y ait une modulation finale dans l’exécution des comportements », ajoute le chercheur. Ainsi le chien qui détecte la présence d’une chienne en œstrus réagira forcément par l’excitation, mais le passage à l’acte dépendra aussi de sa place dans le système social ; il ne fera rien s’il n’est pas en position dominante.
Des applications en santé humaine.
Aujourd’hui, les scientifiques sont capables de reproduire un message phéromonal, comme le code apaisant émis par les femelles qui ont des petits, par exemple chez le chien ou la poule. Ils ont aussi copié les apaisines faciales du chat, qu’il dépose naturellement sur les objets dans son territoire. C’est ainsi que sont nés des produits comme le Feliway, en 1996, indiqué chez le chat dans les problèmes de marquage urinaire, de griffades et pour diminuer le stress dans certaines situations comme lors d’un déménagement ou d’un déplacement. Ceva commercialise aussi Adaptil, depuis 2001, chez le chien, et Confidence EQ chez le cheval, pour réduire le stress et faciliter l’adaptation à de nouvelles situations. D’autres applications existent, commercialisées par différents acteurs, comme AviZen chez la poule ou SoWell chez le porc. Avec l’alphabet des phéromones en main, les chercheurs sont désormais capables de créer des codes qui n’existent pas dans la nature. « Le chat est une espèce chez laquelle il n’existe pas de mécanisme de réconciliation, le seul choix possible est de ne plus se rencontrer, ce qui est inapplicable dans un appartement. Nous travaillons sur une substance sémiochimique qui bloque le stress et réactive les interactions sociales. C’est quelque chose de très prometteur, y compris chez l’homme. » Car, oui, les phéromones pourraient entrer dans la pharmacopée humaine. Des études sont actuellement en cours et bien avancées dans la prise en charge de l’autisme et des troubles bipolaires.
« La phéromonothérapie est une nouvelle opportunité de communication entre l’homme et le monde vivant, affirme Patrick Pageat, un outil pour le bien-être et le traitement des troubles comportementaux, une voie de prévention de certains troubles comportementaux liés aux infections ou inflammations de l’organe voméronasal, ainsi qu’un outil diagnostique grâce au dosage des phéromones. »
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