ÎLE DE LA RÉUNION, dimanche 26 août. La mer est agitée et particulièrement froide. Qu’importe, Didier Dérand n’hésite pas longtemps à se jeter à l’eau. Portant palmes, masque et combinaison de plongée, il affronte vagues et creux pour parcourir les quelques kilomètres qui séparent la Pointe au Sel du célèbre spot de surf de Saint-Leu. Sur la rive, une forêt de micros et de caméras est là pour l’accueillir. Mais il ne s’agit ni d’un jeu ni d’une compétition sportive. En effectuant cette redoutable traversée, le pharmacien écolo a décidé d’entrer en guerre contre l’arrêté préfectoral qui a ouvert en août la chasse aux requins sur le littoral réunionnais. « Je compte bien attaquer cette décision au tribunal administratif pour mettre un terme au massacre de requins injustifié », explique au « Quotidien » Didier Dérand. Pour le titulaire d’officine de
55 ans, l’exercice tient donc plutôt de la démonstration militante. Personne n’accompagne le nageur dans son entreprise. Et pour cause, 15 jours plus tôt, sur la même plage, un surfeur d’une quarantaine d’années a eu la main et le pied arrachés par un requin.
L’écologiste convaincu, lui-même nageur, surfeur et plongeur depuis quarante ans, n’en est pas à son premier combat. Trente années d’engagement associatif lui ont donné l’occasion de se battre tour à tour pour la fermeture d’un élevage commercial de tortues marines, contre la création d’un parc à dauphins ou encore pour mettre fin à la pêche au filet dans les lagons de l’île.
À la question de savoir si sa traversée, volontairement médiatisée, est vraiment aussi périlleuse qu’elle y paraît, le militant répond : « La baignade n’est pas risquée si l’on connaît ses limites et que l’on est prudent. La mer n’est véritablement dangereuse que pour les surfeurs en planche. » Et d’expliquer : « Nageurs, plongeurs et body surfeurs [NDLR, sport qui consiste à prendre les vagues allongé sur le ventre] ne sont pas en danger. Seuls les surfeurs allongés sur leur planche peuvent être confondus, vus du dessous par les requins, avec des tortues de mer. Nageurs et body surfeurs sont au contraire souvent à la verticale dans l’eau, il leur suffit d’ouvrir les yeux régulièrement pour surveiller leurs pieds et l’eau en dessous d’eux pour assurer leur sécurité. Le problème avec les surfeurs en planche c’est que, trop occupés à guetter la vague, ils sont totalement aveugles à l’égard du risque potentiel que représente la présence de requins. » Pour Didier Dérand, la sécurité des surfeurs est avant tout une question de responsabilité individuelle. « En tant que pharmacien, je trouve par exemple ahurissant qu’aucun surfeur n’ait dans son maillot un garrot disponible en cas d’accident. Ce simple accessoire coûte 2,30 euros en officine. Le 23 juillet dernier, sur le spot de Trois-Bassins, un jeune-homme de 22 ans est mort d’une hémorragie foudroyante parce que personne n’avait de garrot à poser sur sa jambe sectionnée. »
Trois messages.
D’autres moyens existent assure le titulaire, tels le Shark-Shield, un appareil émetteur d’ondes qui crée autour du surfeur une bulle protectrice vis-à-vis des squales. Ou bien encore la mise en place de tours de veille – un surfeur muni d’un sifflet guette de la plage la présence de requin pendant que ses camarades sont à l’eau. Enfin, déplore Didier Dérand, « il est regrettable de constater que les surfeurs, qui pratiquent un sport à haut risque, ne savent faire ni point de compression, ni bouche-à-bouche, ni massage cardiaque ».
Au total, par ses sorties en eaux interdites, le pharmacien souhaite faire passer trois messages essentiels. Avant tout, mettre un terme à la traque aux squales. « Ce sont essentiellement les requins tigre et bouledogue qui sont concernés. Deux espèces protégées. J’irai au tribunal administratif pour faire casser la décision de réouverture de la pêche aux squales », prévient-il.
De plus, le militant écologiste veut rompre le cou à la rumeur persistante selon laquelle la présence de la réserve marine (zone naturelle protégée) constituerait un « garde-manger » attractif pour les requins. Enfin, il souhaite convaincre les surfeurs en planche de trouver les solutions à leur propre sécurité.
Dimanche prochain, Didier Dérand entreprendra sa troisième traversée sur le littoral de l’Étang salé (avant-dernière d’une série de quatre). Le 3 août dernier, un aileron sombre aperçu à 200 m du rivage y avait provoqué la panique chez les baigneurs.
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