Pollution

La pharmacie tueuse de vautour

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Publié le 03/12/2018
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Ce n'est pas à des pharmaciens que je l'apprendrais, les médicaments sont capables du meilleur comme du pire. Le pire, cela peut être, par exemple, une gestion mal contrôlée de leur recyclage.

En Inde, les vautours en ont fait la triste expérience. En une dizaine d’années près de 80 millions de vautours chaugoun (Gyps bengalensis), vautours indiens (Gyps indicus) et vautours à long bec (Gyps tenuirostris) y ont en effet disparu. Les chercheurs ont mis un peu de temps à comprendre l'origine de cette catastrophe écologique, mais c’est bien l’utilisation du diclofénac, massivement administré au bétail, qui est à la cause de l'intoxication mortelle des rapaces. L'anti-inflammatoire a tellement pollué les sols qu’il a contaminé toute la chaîne alimentaire, jusqu’aux vautours qui en ont payé le plus lourd tribut.

Autre espèce, autre médicament, mais mêmes dégâts, le Prozac décime, lui, les colonies d'étourneaux. Y compris sous nos latitudes. Il faut dire que 4 millions de Britanniques et 1 Américain sur 10 consomment l'antidépresseur. De quoi faire tourner la tête des oiseaux, patients bien involontaires… Les étourneaux contaminés par les vers de terre qu’ils consomment, changent de comportement alimentaire. Ils passent d’une consommation faible en début de journée (pour être plus alerte face aux prédateurs), à une consommation chaotique quand ils sont « sous Prozac ». Ce qui les rend plus vulnérables. Pour les chercheurs, ces intoxications sont clairement un objet de recherche. Leur problématique ? Découvrir de quelle façon, et dans quelle mesure, un médicament peut entrer dans la chaîne alimentaire et infecter les oiseaux. Pour le comprendre, les chercheurs ont mis au point des gésiers artificiels emplis de sucs gastriques obtenus in vitro auxquels sont « donnés à manger » des vers de terre élevés dans les terres infectées. S'ils finissent par comprendre les ressorts de cette intoxication médicamenteuse, un premier pas sera fait. Mais pour que les oiseaux réinvestissent le ciel, il restera encore un point à régler : à savoir remédier à la source du problème, la contamination de l'environnement par les substances pharmaceutiques.

Didier Doukhan

Source : Le Quotidien du Pharmacien: 3478