À vos marques, prêts… Dépistez !

Par
Publié le 11/05/2023
Article réservé aux abonnés

Plus de 8 pharmaciens sur 10 se disent prêts à réaliser de nouveaux tests rapides d’orientation diagnostique (TROD)*. Une manne que les pouvoirs publics pourraient solliciter, alors que des entreprises développent des TROD spécialement pensés pour un usage à l’officine et que le dépistage reste sous-utilisé. C’est en substance le message délivré par Joseph Coulloc’h, président de la société AAZ, et Thierry Prazuck, chef de service des maladies infectieuses au CHR d’Orléans.

Le dépistage en pharmacie reste sous utilisé

Le dépistage en pharmacie reste sous utilisé
Crédit photo : Burger/Phanie

Les TROD que le pharmacien est autorisé à pratiquer se comptent sur les doigts d’une main. Il s’agit de ceux qui dépistent le Covid, la grippe, l’angine à streptocoque A et le diabète. La crise Covid a permis à l’officine de faire ses preuves en matière de dépistage, mais les autres tests restent encore peu pratiqués. L’attente est pourtant forte concernant le test angine. Car chaque année en France, on compte environ 9 millions de cas, mais seulement 20 % sont des angines à streptocoque A nécessitant la prise d’antibiotiques. « On les a confiés aux médecins généralistes mais l’impact initial n’a pas duré et ils ont longtemps été sous-utilisés, entraînant une surprescription d’antibiotiques », note Thierry Prazuck, sans incriminer ses confrères pour autant. Car malgré un résultat en quelques minutes, le temps manque cruellement dans les cabinets médicaux.

C’est là que le rôle du pharmacien prend tout son sens. Depuis juillet 2021, il peut réaliser un TROD angine sur un patient qui se présente avec un mal de gorge et l’orienter vers le médecin en cas de résultat positif. Et depuis décembre 2021, le médecin peut délivrer une ordonnance conditionnelle au patient qui présente une angine, charge au pharmacien de la dispenser après réalisation du TROD angine avec un résultat positif. Une mission d’autant plus importante que, « la France reste le 4e pays européen le plus consommateur derrière la Grèce, la Roumanie et la Bulgarie », alors même que l’antibiorésistance est chaque année associée à davantage de décès, remarque Thierry Prazuck : 1,2 million dans le monde, dont 5 500 environ en France. La solution AAZ : une boîte de 25 tests complets comprenant l’abaisse-langue et l’écouvillon, avec des réactifs stables jusqu’à la date de péremption, même lorsqu’ils ont été ouverts, et un résultat en 5 minutes.

Une réglementation à adapter

D’autres tests ont toute leur place à l’officine, tels que celui de la cystite. Pour l’heure, cette nouvelle mission inscrite dans la convention pharmaceutique signée en mars 2022 attend une « adaptation de la réglementation » pour pouvoir prendre son essor. Cette mission peut néanmoins être mise en place dans le cadre des protocoles visant « la pollakiurie et la brûlure mictionnelle chez la femme de 16 à 65 ans », déployés dans les centres de santé et les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS). « Le test doit être pratiqué après interrogatoire de la patiente qui présente des symptômes. En cas de test positif, le pharmacien peut délivrer directement le traitement. La délégation d’acte dans le cadre de ces protocoles est rémunérée 25 euros répartis entre le médecin délégant et le pharmacien délégué, généralement le pharmacien touche entre 10 et 15 euros », détaille Thierry Prazuck. La société AAZ a développé un test « spécifiquement conçu pour la nouvelle mission du pharmacien », explique Joseph Coulloc’h : « Le kit contient 50 bandelettes et 50 flacons hygiéniques de recueil d’urine qui ne nécessitent pas d’être ouverts pour mener l’examen. »

Enfin, Thierry Prazuck appelle les confrères à s’emparer des TROD VIH, hépatite B et hépatite C, même si, là encore, cela ne sera possible qu’après évolution de la réglementation. « Tous les acteurs sont les bienvenus dans cette mission de dépistage. Parce que la problématique de l’infection aujourd’hui c’est l’épidémie cachée, c’est-à-dire les porteurs asymptomatiques non dépistés qui ne prennent pas de précaution particulière parce qu’ils ignorent leur statut et qui risquent, à leur insu, de contaminer d’autres personnes. » L’infectiologue reconnaît néanmoins que le sujet n’est pas forcément aisé à aborder à l’officine. « Ce n’est déjà pas simple pour le médecin traitant. À l’hôpital, nous suivons des patients sous prophylaxie pré-exposition (PrEP) qui nous demandent expressément de ne pas transmettre leurs résultats biologiques à leur médecin généraliste parce qu’ils ne souhaitent pas qu’il sache qu’ils sont gays. »

L’atout de la proximité

Le dépistage n’en reste pas moins la clé. Bien que la prévalence du VIH et des hépatites B comme C reste basse en France, estimée chacune à 0,3 % de la population, cela représente environ 150 000 personnes. « Le pharmacien doit être préparé à l’annonce de la positivité et connaître les relais pour orienter le patient. Au CEGIDD** d’Orléans, les TROD VIH, VHB, VHC se font en routine depuis qu’ils sont autorisés, soit respectivement depuis 2010, 2016 et 2021, mais si les pharmaciens s’en emparent, ce sera un progrès indéniable parce que 97 % des Français ont accès à une pharmacie en moins de 10 minutes. » Le maillage territorial des 20 000 officines offre en effet l’atout proximité que ne peuvent atteindre les 336 CEGIDD recensés en 2020. Là encore, AAZ propose des solutions adaptées aux officines et annonce le lancement prochain de nouveaux tests. « Nous utilisons une nouvelle technique, l’immunofiltration, qui permet d’avoir un résultat non plus en 15 minutes comme avec la chromatographie, mais en une minute, précise Joseph Coulloc’h. Nous attendons une autorisation ministérielle dans les jours ou semaines à venir. »

 

D’après une conférence lors de la Journée nationale des URPS pharmaciens, le 13 avril dernier.
* Résultats du sondage mené du 17 au 23 avril sur lequotidiendupharmacien.fr
** Centres gratuits d'information, de dépistage et de diagnostic

Mélanie Mazière

Source : Le Quotidien du Pharmacien