Tous les Français adultes volontaires pourront être vaccinés avant la fin de l’été. Cet objectif, annoncé le 2 février par Emmanuel Macron, n'est réalisable qu'avec le renfort des pharmaciens. Les pouvoirs publics ne s’y sont pas trompés, la Haute Autorité de santé (HAS) ayant préconisé le même jour que les pharmaciens puissent prescrire et injecter le vaccin d'AstraZeneca. La distribution des doses ainsi que leur administration à la population passeront nécessairement par le réseau officinal. Ne serait-ce que pour des questions de volumes, d’organisation, mais aussi de proximité à l’échelle des territoires.
Ces arguments étaient martelés avant même l'homologation d'un premier vaccin en Europe par les représentants de la profession, syndicats, Ordre, groupements, mais aussi étudiants en pharmacie. Cette reconnaissance du rôle pivot du pharmacien dans la campagne de vaccination en ville représente donc pour l'officine une nouvelle victoire. Victoire que Philippe Besset, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF), n’hésite pas à qualifier d’historique « car pour la première fois, avec ce vaccin à prescription obligatoire, le pharmacien est autorisé à prescrire. Ce qui nous ouvre d’autres champs dans les soins de premiers recours, les protocoles de soins notamment ». Pour l'heure, cette avancée fait espérer aux officinaux un droit à administrer d’autres vaccins dans les prochains mois. À condition toutefois, précise Philippe Besset, que la vaccination contre le Covid à l’officine ne soit pas instaurée au titre de l’état d’urgence sanitaire, mais entre bien dans le droit commun. Concrètement, le vaccin Covid doit être porté à l’arrêté énumérant les vaccinations autorisées aux pharmaciens, une liste qui ne compte aujourd’hui que le vaccin contre la grippe.
Les médecins ne doivent pas se tromper d'adversaire
C’est grâce à cette mission, exercée depuis deux ans par la majorité de la profession, qu’il est aujourd’hui possible de bâtir de manière rapide la campagne vaccinale contre le Covid à l’officine. Les pharmaciens disposent en effet de la formation, de l’expérience et d’une organisation éprouvée. MG France, syndicat des médecins généralistes, n'en a pas la même vision. « La mission prioritaire des pharmaciens est l'approvisionnement en vaccins et leur délivrance aux professionnels de santé, puis à la population, déclare le syndicat, indiquant a contrario, que le rôle des médecins généralistes est de convaincre les patients puis de déterminer les indications et les contre-indications des vaccins. »
Réduire les pharmaciens à un simple rôle de logisticiens serait pourtant méconnaître les capacités du réseau officinal à répondre à la demande des patients et reviendrait à priver la campagne vaccinale d’un acteur majeur. « MG France confond ; l’ennemi des médecins ce n’est pas le pharmacien mais le virus, et quand on se trompe d’adversaire, c’est qu’on a perdu la boussole », tacle Gilles Bonnefond, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO). Un sondage effectué par le « Quotidien du médecin » montre d'ailleurs que ses lecteurs se prononcent contre la vaccination Covid par les pharmaciens à une courte majorité (53 %). Sans détour, le Syndicat des médecins libéraux (SML) se déclare quant à lui « contre la primo-vaccination par les pharmaciens ».
Quoi qu'il en soit, l’officine ne néglige pas pour autant le volet logistique de cette campagne vaccinale. Les acteurs de la répartition ont confirmé aux officinaux qu’un déconditionnement des lots de dix flacons serait possible, permettant la livraison d'un seul flacon de dix doses à administrer dans la journée. Pour l’heure, ces échanges portent uniquement sur la distribution du vaccin AstraZeneca, le seul pressenti jusqu’à présent pour la ville.
Des questions en suspens
Les pharmaciens et les grossistes-répartiteurs se considèrent par ailleurs comme les experts d’une distribution homogène sur le territoire et parmi les seuls aptes à faire face aux pénuries. Car la menace de ruptures en vaccin est loin d’être écartée. Bien que 10 millions de doses de la solution d’AstraZeneca soient annoncées pour les trois prochains mois, l’expérience des dernières semaines a montré que l’organisation de la campagne n’était pas à l’abri d’un rétropédalage des laboratoires. Ce risque de pénurie interpelle d’autant plus le réseau officinal que certains pharmaciens sont approchés par des short liners affirmant qu’ils ont des doses à disposition.
Dans tous les cas, les officines devront se conformer aux contingents de Santé publique France. « Les premières doses destinées aux professionnels de santé de plus de 50 ans nous parviendront sans doute en flux poussés », estime Laurent Filoche, président de l’Union des groupements de pharmacies d’officine (UDGPO). Quant aux 700 000 doses de la deuxième vague, elles devraient être réservées aux médecins dans le cadre de la priorisation de patients. Des réunions à venir détermineront les modalités de ces distributions, ainsi que la clé de répartition des doses disponibles entre les pharmaciens et les autres vaccinateurs (médecins et infirmiers). Et parce que le diable se cache dans les détails, la question de l’acheminement des aiguilles et des seringues, fournies par AstraZeneca, devra être évoquée.
Rémunération en concertation
Les pharmaciens n’ont pas attendu les réponses à ces multiples interrogations pour se mettre en ordre de marche, les premières vaccinations étant annoncées avant la fin du mois. Ainsi, certains éditeurs de logiciels, à l'exemple de Pharmagest, peaufinent le système de prise de rendez-vous, tandis que le groupement Pharmacorp coopère avec mesoigner.fr. « Ce système a pour avantage de bloquer l’agenda des pharmaciens et de permettre aux patients de préremplir leurs données qui seront alors remontées directement sur la plateforme SI-VAC. Cela fera économiser du temps aux pharmaciens », décrit Laurent Filoche, président de Pharmacorp.
L’enregistrement du patient sur la plateforme SI-VAC fera l’objet d’une contrepartie financière pour le pharmacien, tout comme l’injection du vaccin et sa mise à disposition aux autres professionnels de santé. Une première réunion avec le directeur de l'assurance-maladie, Thomas Fatôme, a posé les bases de cette concertation. « La première proposition qui nous est faite - 6,30 euros de forfait pour l'acte vaccinal comme pour la grippe, 5,40 euros pour renseigner SI-VAC et 3,45 euros par flacon remis aux autres vaccinateurs - nous paraît trop faible. Nous souhaitons aussi une rémunération pour la gestion des flacons à l'officine et n'avons pas eu de réponse quant à l'indemnisation des pharmaciens qui interviennent dans les centres de vaccination », regrette Philippe Besset. Par ailleurs, tient-il à souligner, cette concertation avec la CNAM n'est pas une négociation, ce qui signifie que la décision finale ne requiert pas la signature des syndicats, « c'est le gouvernement qui tranchera ».
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